ACCUEIL | LE NORD ET UN PEU DE BELGIQUE | LES COULISSES DU CARNAVAL (LILLE 1938)

 

 

 

 

 

 

 

 

Amusons-nous fillettes.
Profitons des beaux jours.
Le temps des amourettes
Ne durera pas toujours... etc.


Dans quelques jours, ce vieux refrain populaire qu'on entend le jour du carnaval résonnera comme une rengaine à nos oreilles à travers les rues de la capitale des Flandres, où, pour la première fois depuis vingt-quatre ans, à la demande des commerçants de la cité et suivant la réponse favorable, faite par le député-maire M. Saint-Venant, la foule amusée pourra à satiété, avec ivresse même si elle le désire, se livrer au jet des confetti. Que d'aventures, que d'unions sont nées autrefois et naîtront encore de ces luttes aussi peu meurtrières et aussi aimables.

 

On ne peut concevoir de carnaval sans confetti, nous l'avons dit déjà et nous le répétons à dessein. Le confetti, ce tout petit rond de papier qu'on fabrique dans trois usines en France, dans les Vosges, mais c'est tout le carnaval et ni le masque, ni le faux-nez ne peuvent le remplacer. Jusqu'à ce jour - faute de cet élément indispensable dont on nous avait interdit l'emploi - le carnaval se déroulait terne, vide de tout plaisir, de toute animation.

 

Cette année, il semble qu'avec l'autorisation donnée par le maire de pouvoir jeter à la face d'un masque ou d'un loup cachant un joli visage, cette poignée de petites rondelles de papier, le carnaval de Lille va connaître une nouvelle faveur. Evidemment, on ne doit pas espérer retrouver en 1938 la fougue enthousiaste d'antan, car malgré l'instinct des gens du Nord qui aiment avant tout la gaieté, il y a trop de motifs de tristesse, trop de chômage, des soucis de toutes sortes, de la misère... On s'amuse, on veut s'amuser... L'intention y est, mais... on songe… et on réfléchit !

Malgré cela, le carnaval 1938 s'annonce à Lille comme devant être beaucoup plus vivant que les années passées et ce..., à cause des confetti, que de nombreux chômeurs pourront sans doute aller vendre en kilos ou en chopes comme cela se faisait autrefois. Le mardi 1er mars (Mardi-Gras) et le dimanche 27 mars (Mi-Carême) on pourra ainsi se distraire en parcourant les rues de Lille, car l'animation sera grande et.. il y aura des masques.

 

 

Un beau groupe de masques à choisir – Dans cet atelier lillois, on prépare les accessoires carnavalesques

(photos du journal - 1938)

 

 

Nous ne possédons pas, en France, d’usine de faux visages. C'est là, en effet, une industrie particulière à l'Allemagne, mais nous avons chez nous, et à Lille même, des artistes spécialisées, qui, en ateliers ou en chambres, travaillent les accessoires, les costumes, les coiffures. Et c'est justement à la suite d'une conversation amicale avec le Roi du carnaval à Lille que nous pouvons préjuger du succès qu'obtiendra le carnaval 1938. Depuis plusieurs semaines les costumiers sont sur les dents. Evidemment, leurs collections étaient au complet, ou presque, mais encore fallait-il les rajeunir, les transformer suivant le goût du jour : ajouter des perles ou des diamants, remplacer un ruban ou une fleur, donner un nouvel éclat au diadème, peigner, changer ou onduler les perruques. Dans les ateliers elles sont là les petites mains,» les couturières expertes qui, actuellement, manipulent les tulles neigeux, les velours chauds, les ors et les argents, les plumes de paon ou d'autruche, les cabochons, les rubans et les fleurs, les cascades de perles, les paillettes et les pierreries, tout cela en "toc authentique" garanti sur facture.

 

Dans les arrière-boutiques, dans les chambrettes, le papa, la maman, le petit garçon et la fillette veillent tard dans la nuit afin de pouvoir fournir en temps et en heure tous ces travestis faits de papier ou d'étoffes fragiles, ces diadèmes, ces rivières, ces couronnes ou ces tiares, ces boucliers ou ces épées en carton-pâte qui, aux jours de liesse mettront le beau masque en valeur et en beauté. Peu à peu, Lille s’emploie à se spécialiser dans la confection de ces artifices, de ces travestis, de la décoration et du montage des accessoires carnavalesques. Majestés éphémères et brillantes dont la souveraineté sera plus fragile que la beauté, marquises mousquetaires, pierrots, arlequins, espagnoles, danseuses florentines et suissesses préparez-vous donc ; la jeunesse n’a qu'un temps et puisque vous aimes la gaieté, franche et saine, amusez-vous et rendez à votre Mardi-Gras son éclat d'antan avec tout ce qu’il comporte d'exubérance et de charme.

 

article de presse régionale (février 1938)

 

 

publicité presse de 1938

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Le lendemain du Mardi-Gras, on pouvait lire dans ce même quotidien :

 

Lorsqu'on a laissé mourir une tradition, il est très difficile de la ressusciter. Il faut une manière de miracle et la propagande ne suffit pas. Il faut faire entrer dans les mœurs le goût de cette ancienne tradition. Lorsque, par surcroit, il s'agit de faire revivre un Carnaval, il faut donner à la foule le goût des distractions saines, d'un plaisir de quelques heures et d'un amusement sans doute superficiel mais réellement récréateur. Autoriser la vente des confetti, des serpentins, c'est très bien, mais à quoi cela sert-il si on les laisse dans les voitures des marchands ? Et puis le Carnaval n'est pas fait que de jets de confetti. La caractéristique est le déguisement, le masque de carton hideux ou burlesque, le domino élégant et le loup de dentelle. C'est de ce côté-là qu'il faut travailler. On doit pouvoir inciter les gens à se déguiser en groupes et par centaines.

 

Nous disons tout cela en manière de préambule pour les groupements qui ont tenté cette année, courageusement, de faire renaître de ses cendres feu Carnaval. La renaissance n'a pas eu lieu... mais on a réussi à tirer la foule lilloise de la torpeur des précédents Mardi-Gras. L'après-midi a été douce et ensoleillée à souhait. C'est naturellement dans les rues du Centre de la ville que s'est concentrée la foule. Et l'on a vu des déguisements... Combien ? Soyons généreux, une centaine. Quelques-uns très gracieux, notamment les alsaciennes, des cow-boys. On a jeté des confetti... mais ce sont surtout les enfants qui ont livré cette timide bataille. Les marchands avaient baissé leurs prix : 20 sous les deux verres. Il ne s'agit pas de verres à liqueur, bien entendu, mais ce n'étaient pas non plus d'énormes chopes. Les commerçants avaient festonné leurs balcons avec des serpentins. Couleur locale… C'était cependant la grande foule dans la rue de Béthune et ceci compense cela, une foule qui faisait un visible effort pour s'amuser et qui y parvenait... relativement. Des cris joyeux par- ci, par-là, des entrechats sur les trottoirs, des monômes qui zébraient les rues de leurs serpentins humains.


Ne soyons pas trop pessimistes, il n'est que de persévérer dans l'effort commencé et nous retrouverons peut-être, dans quelques années, les Carnavals d'antan. Il reste d'ailleurs à faire cette année l'expérience de la Mi-Carême...

 

Bien que cette photo ne concerne pas Lille, elle donne un aperçu des déguisements confectionnés manuellement au début du XX° siècle

 

 

Et le lendemain de la Mi-Carême :

 

Faire ressusciter un mort ce n'est rien de moins qu'un miracle. Le temps des miracles est passé. S'ils étaient encore possibles, on s’ occuperait de choses plus urgentes et plus sérieuses que de la renaissance de feu Carnaval. On ramènerait le calme en Europe et la prospérité économique et financière en France. On a tout de même essayé à Lille de faire celui-là : la renaissance du Carnaval. On a enfoncé un bon clou : la question des confetti, et le Mardi-Gras a fait la preuve que l'idée était bonne. La renaissance n'était pas admirable, nette, définitive. Pourtant le jour du Mardi-Gras, il faisait un temps magnifique. Le printemps était en avance et c'était déjà un miracle. Mais enfin, ce Carnaval ne s'était pas miraculeusement imposé. Il restait un espoir : la Mi-Carême. La Mi-Carême est passée... et le miracle s'est presque accompli.


Le temps était clément sans plus. La matinée dominicale se déroula comme toutes les matinées du dimanche. Après déjeuner la foule lilloise se répand dans la ville. Le match Fives-Metz prend 20.000 personnes et les cinémas et théâtres une bonne dizaine de mille. Si vous tenez compte des gens qui se livrent aux joies du camping et aux plaisirs du cyclo-tourisme, il vous reste tous ceux que le Carnaval intéresse, mais à qui, par les temps que nous vivons, il faudrait gratter le ventre pour les faire rire. Ce n'est pas, bien sûr, ce qui fut fait, mais chacun oublia pour un instant : Anschluss, la question danubienne et le coefficient du coût de la vie. Chacun acheta pour vingt sous de bonheur, car les confetti, qu'on jette, joyeux, dans les sourires des passants, ne sont-Ils pas un peu l’image du bonheur qu'il faut attraper quand il passe, car vite il retombe aux pieds. Rue Gambetta, rue Neuve, rue de Béthune, les paves étaient transformés en une admirable c'céramique rose et mauve. Les gens se bousculaient, riaient de recevoir plein leur chapeau et leurs cheveux de ces petits ronds de papier qu'ils n'avaient pas reçu depuis tant d'années. Cependant des concours carnavalesques étaient organisés dans deux quartiers de la ville.

...

L'important était de donner l'ambiance Ces concours aboutirent à ce but et le dépassèrent. Grâces en soient rendues aux organisateurs... Le soir arriva une heure plus tard puisque c'était l'heure d'été. Le mot "été" était une ironie. Il faisait l'enthousiasme de la jeunesse qui cria, qui hurla, sauta, rit, s'amusa, envahit les cafés, les dancings, esquissa une rumba ici, un tango là, un fox-trot par ailleurs avec, bien entendu, des déguisements divers et le plus souvent jolis, élégants ou originaux, quand ils n'était pas, hélas ! ridicules... et au petit jour on rentra chez soi, las et avec des confetti dans la bouche.

 

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