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C'est une histoire qui illustre de remarquable façon le fameux vers de Boileau : "Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable". Si extraordinaire soit-elle, l'aventure du Cambrésien Martin Guerre est pourtant rigoureusement authentique : les annales judiciaires en font foi. Elle se situe au bon vieux temps, vers le milieu du seizième siècle. Mais, appréciez sa saveur.


Un bon camarade
Martin Guerre était un jeune cultivateur du pays de Gascogne qui avait épousé, contre le gré de ses parents, une charmante demoiselle du nom de Bertrande. Un jour, après une violente dispute avec son père, il quittait le pays et abandonnant femme et biens s'engageait dans l’ armée. Quelque temps plus tard, il participait à la bataille de Saint-Quentin avec les troupes du Cardinal de Montmorency, quand un boulet lui enleva le jambe.
Martin Guerre avait parmi ses compagnons d’armes un ami, un certain Arnould du Tille dont il avait fait son confident. Arnould prouva son amitié à Martin Guerre en allant le chercher sur le terrain et en le portant à l'ambulance. Mais le pauvre Martin était dans un piètre état. Le chirurgien daigna à peine lui accorder un regard. "Rien à faire, il va mourir".
Arnould s'en fut, profondément affecté, mais remâchant déjà un projet que lui dictaient de tout autres sentiments que ceux de la camaraderie. Puisque Martin allait trépasser…


"A la Truie qui file"

Mais Martin, amputé d'une jambe, survécut à ses blessures, et ne voulut plus retourner dans son pays natal, il s'installa dans cette bonne ville de Cambrai où le commerce était florissant et où bientôt on le vit à la tête d'un magasin de marchand linier bien achalandé, situé à l'angle de la rue des Lombards et de la rue des Liniers à l'enseigne de "A la Truie qui file".

Un beau jour, branle-bas dans la maison de Martin Guerre. Un courrier, venu spécialement de Gascogne, lui a apporté des nouvelles qui provoquent une véritable révolution dans sa vie calme et réglée d'honorable commerçant. Il doit se rendre au Tribunal de Toulouse, et pour quelle affaire, grands dieux ! Un usurpateur, un faux Martin Guerre a pris sa place dans sa ferme, et dans son foyer ! Une histoire capable de renverser un homme bien planté sur ses deux jambes.


Le Martin numéro 2
Arnould du Tille, croyant son ami mort, avait décidé d'usurper le nom du défunt et toutes les prérogatives attachées à sa qualité. Fort des confidences que lui avaient faites Martin, il était parti vers la Gascogne et, après avoir complété sa documentation sur les lieux, il s'était présenté dans ce bon petit village d'Artigat ou Bertrande pleurait toujours son époux fugitif et où les vieux Guerre étaient près au pardon. Des années avaient passé, il y avait eu la guerre, les souffrances, les privations... bref, tout le monde reconnut le "Martin Guerre" et on lui fit fête. Il s'installa au logis, fit prospérer la culture et l'aimable Bertrande mit le comble â ses vœux en le rendant père. Un jour, pour son malheur, il se brouilla avec un oncle. Les soupçons que certains avaient sur son identité furent divulgués, la malignité publique s'en donna à cœur Joie. L'oncle traîna le "Martin Guerre" devant les tribunaux en le traitant d'usurpateur.


Une femme qui s'y connaît !

On avait jeté en prison ce "Martin Guerre" prétendu faux et une enquête était en cours. C'est alors que la merveilleuse intuition et le sens psychologique de la femme faillirent jouer un mauvais tour à la souveraine justice. Martin Guerre, alias Arnould que l'on avait interrogé avait donné des réponses satisfaisantes, même â des questions d'un caractère d'intimité conjugale assez délicat. N'alla-t-il pas jusqu'à spécifier que, s'il avait eu un enfant après son retour de la guerre, c’était parce qu'il avait fait appel à un prêtre pour chasser le démon qui habitait sa femme. L'honnête Bertrande confirma par le menu les dires de son mari, et notamment relate le jugement « par d'infinis petits propos et faits secrets qui sont ordinaires entre mari et femme".

Elle avait toutefois une remarque à faire : c'est que son mari parti imberbe lui était revenu nanti d'une majestueuse barbe. L'histoire de la barbe mise à part, le Tribunal ne pouvait que se ranger à l'opinion de l'épouse, fort bien qualifiée, ma foi, pour que son avis fut péremptoire. On décida cependant de porter l'affaire devant le Tribunal de Toulouse, sans doute pour que la réhabilitation de l'accusé fut plus complète. Plus de cent cinquante témoins avaient été entendus et le Tribunal allait rendre son verdict en faveur de Martin-Arnould, quand se présenta un bonhomme venu spécialement de Normandie. C'était un soldat qui avait servi avec Martin Guerre et Arnould du Tille et qui affirma que Martin Guerre, le vrai, se trouvait à Cambrai. Le Tribunaj décida de surseoir au jugement et de convoquer le linier cambrésien à qui l'on dépêcha un courrier.


Un heureux épilogue à Thun-Lévêque

Ce ne fut que deux mois après qu'arriva l'unijambiste qui avait fait le trajet dans une petite carriole. Tout le monde cette fois encore reconnut Martin Guerre et Bertrande lui sauta au cou. Arnould du Tille fut condamné pour punition et réparation de "l'imposture, fausseté, supposition de nom et personne, adultère, rapt, sacrilège, playe larcins et autres cas commis, à faire amende honorable en l'église d'Artigat, teste et pieds nus ayant la hard au col... et estre pendu et étranglé et après son corps brûlé".
Quatre jours après il était exécuté devant la ferme où durant cinq ans il avait vécu cette aventure incroyable. Quant à Martin Guerre, cette histoire eut pour lui, comme principal effet de le rapprocher de son épouse. Il lui donna son pardon, s'excusa en même temps de l'avoir délaissée, puis, comme le pays d'Artigat lui rappelait trop de désagréables souvenirs, il revint avec sa femme et l'enfant de l'autre dans le riche Cambresis. A Cambrai, il trouva sa boutique délaissée par les pratiques mais, comme il était homme de ressources, il entreprit après le négoce, la culture du lin, et il acheta une métairie à Thun Lévêque, sur les bords de l'Escaut.
L'histoire veut que le ménage y vécut heureux et qu'il eut, pour ne pas faillir à la tradition des belles histoires, beaucoup d'enfants.

 

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cet article de presse régionale (Nord de la France) date de 1937 

 

 

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Martin Guerre au cinéma:

Le retour de Martin Guerre, un film de Daniel Vigne (1982) avec Gérard Depardieu (Arnaud de Tih), Nathalie Baye (Bertrande), Bernard-Pierre Donnadieu (Martin Guerre).

 

Sommersby (1993) est un remake américain, sur fond de Guerre de Sécession, réalisé par Jon Amiel avec Jodie Foster, Richard Gere et Bill Pullman.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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