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JEU DU SAINT SANG

 

Le Jeu du Saint Sang tel est le titre d'un mystère qui a pour cadre le Beffroi et la Halle de Bruges (B).

 


Il n'y a guère de temps, se déroulait avec un succès triomphal sur le parvis de Notre-Dame de Paris, un mystère, le "Vray mistère de la Passion". Voici que Bruges n'aura désormais plus rien à envier à la capitale française, puisqu'elle a aussi son "mystère" qui s'intitule le "Jeu du Saint Sang".

 

On sait la légende du Saint Sang recueilli dans le Graal et dont quelques gouttes furent rapportées à Bruges après une croisade par Thierry d'Alsace, comte de Flandres. La procession bien connue de tous dans notre région commémore cet événement. C'est sur ces thèmes qu'a été brodé le scénario du "Jeu", qu'une musique adéquate et des chœurs complètent heureusement.

 

 

Le charme de ces représentations réside aussi surtout dans le fait que l'action se déroule devant le Beffroi et la Halle de Bruges, sur un podium très adroitement installé et qui semble incorporé dans la masse même de l'édifice. Une foule de figurants y participe avec une vie intente, la voix des cloches de la ville, les accents plaintifs ou triomphants du carillon se mêlent aux chœurs et à la musique et tout cet ensemble confère aux représentations un incomparable accent.


La première eut lieu samedi soir*, aux lumières, le cycle s'est poursuivi hier en fin de Journée et se continuera cette semaine. Le plus légitime succès est d'ailleurs venu couronner les efforts des auteurs et réalisateurs de cette œuvre.

 

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* samedi 20 août 1938

 

 

 

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LA PROCESSION , DU SAINT-SANG A BRUGES

 

Respectueux d'une coutume séculaire, ce lundi étant le premier après le 2 mai, Bruges la Morte s'est réveillée. Elle a écarté ses brumes, oublié ses langueurs, ses eaux dolentes, ses blanches heures de béguinage pour retrouver dans une allégresse enluminée un passé fastueux.

C'était le grand jour du Saint-Sang, la fête de cette relique rapportée voici huit cents ans de la deuxième croisade par Thierry d'Alsace, comte de Flandre, qui l'avait reçue du patriarche de Jérusalem : une fiole octogonale renfermant quelques gouttes du sang recueilli par Joseph d'Arimathie sur les plaies du Christ.

Et comme aux vieux siècles, pour commémorer cet événement, on l'a promenée longuement, pompeusement par la ville. Ah ! qui aurait reconnu la Bruges des pâles silences et des façades recueillies. Un violent soleil allumait mille étincelles aux oriflammes médiévales flottant aux pignons dentelés et jusque sur la couronne de pierre du beffroi piquée d'un arbre de mai, seul en plein azur. Un vacarme de manèges, de tirs, d'orgues de Barbarie accumulant leurs tentes bariolées dans le décor gothique de la Grand'Place et sous les ormes des mails, déferlait sur une foule truculente, accourue de toute la Belgique et même de Hollande. Des grappes de ballons roses flottaient sur ce peuple compressé à refus où se coulaient des camelots glapissant en argot de Gand et s'affolaient de placides Zélandaises en coiffe empesée, mirettes d'or et collier de corail.

Le profane et le mystique se combinant comme il sied dans les Flandres, le cortège du Saint-Sang traversait cette kermesse et pour le mieux voir on escaladait les montagnes russes. Je n'entreprendrai point de vous décrire chaque groupe de cette procession aux couleurs bibliques ou de livres d'heures, composée d'au moins trois mille Brugeois jaloux de ce privilège et qui mettait plus de deux heures à s'écouler sur une majestueuse cadence que le carillon cristallin du beffroi égrenait sur les rues.

Un tel cortège se présentait ailé de bannières, de gonfanons, d'étendards restituant un faste de tapisserie de haute lisse à cette cité de pinacles, de campaniles, de frontons ouvragés, de ponts écussonnés sur les eaux vertes aimées des cygnes. Il s'ouvrait par un essaim de jeunes filles que le programme nommait galamment les "Pucelles de Bruges" et qui s'en venaient, chantant, vêtues comme des moniales, à scapulaire rouge, le front voilé, ceint de feuillage.

Puis commençait la partie religieuse comme un théâtre dont les vivants tableaux se succéderaient sans interruption sous nos yeux, illustrant l'Ancien Testament et l'Evangile. A quelques années de distance, je croyais revoir l'énorme figuration de la Passion d'Oberammergau avec ses chevelures bouclées, ses barbes opulentes, ses tuniques, ses voiles aux suaves teintes de pastel.

Un ange aux ailes écarlates maudissait Adam et Eve en peaux de bête. Isaac portait sous son bras le fagot de bois que lui destinait Abraham terriblement barbu. Moïse et ses tables précédaient un groupe d'israélites ténébreux où se camouflait un piston pour maintenir la cadence entre deux envols de carillon. Le roi David grattait en vain sa lyre de carton doré. Tout cela entrecoupé de groupes, de chars, de porteurs de statues et d'enfants vêtus de tuniques soyeuses qui exhibaient de longues pancartes où une inscription en flamand annonçait le tableau snivant.

Les personnages dialoguaient à voix de stentor chemin faisant. Un blondinet aux joues roses, en tunique cramoisie, figurant Jésus enfant, répondait d'un ton péremptoire, toujours en flamand, aux docteurs de la Loi aux barbes rigides. La foule, parfois, se divertissait : la vierge Marie, en voile blanc, tenant une poupée dans ses bras et fuyant en Egypte manqua choir de son âne qu'une mouche agaçait et que Joseph tentait vainement de dompter. Mais cette ironie demeurait bon enfant, dans la ligne de la familiarité populaire avec ses saints.

On comparait les Jésus qui défilaient, celui de Jérusalem, celui des Oliviers, celui de Caïphe, celui du Calvaire, car il en fallait pour chacune de ces images mouvantes. Mais, outre la riche enluminure de tous ces personnages, de toutes ces lentes cohortes, la foule se laissait séduire par le jeu et ses regards apitoyés s'attachaient aux clous, aux dés, aux fouets, les instruments de la Passion que des anges mauves voilés de crêpe présentaient sur des coussins recouverts de linges blancs. Ainsi venait l'évocation des cinq plaies et ce Saint-Sang dont on voyait un Joseph d'Arimathie porter plein un large bassin.

 

Le cortège historique

 

Le reste du cortège se faisait historique, évoquait dès lors ce Saint-Sang glorifié le jour de son entrée à Bruges. A voir tous ces échevins à houppelande, ces magistrats en fourrure grise, ces dames en justaucorps, ces chevaliers, cette luxuriance de couleurs, d'étoffes et de formes archaïques, il semblait que tous les vieux personnages, peints par Memling, maître de Bruges, avaient quitté pour un jour leurs cadres, leurs retables, leurs châsses, leurs triptyques, pour se répandre par les rues

Et derrière eux venaient en procession dix groupes de porteurs de reliques des diverses paroisses, moines noirs, clercs en dalmatiques brochées, vermeilles ou nacrées soutenant sur leurs épaules des châsses en forme de chapelles, de fleurs, d'oiseaux, de flammes, d'astres qu'encadraient, vêtus de brocart, des porteurs de lourdes lanternes orfévrées si étincelantes dans le soleil que la flamme de la chandelle entre leurs vitres semblait de mince ivoire.

Et tout au bout, dans une brume nacrée d'encens, apparut, porté par l'évêque de Bruges et trois autres prélats haut mitrés, le coffret tant attendu contenant le Saint-Sang, et que surmonte un baldaquin d'or massif ciselé par Jean Crabbe, le maître orfèvre brugeois du XVII° siècle.

Cette vision d'un autre âge. après avoir tourné dans Bruges, vint s'enfermer sur la place du Burg, où un autel en forme de chapelle gothique se dressait devant la façade de l'hôtel de ville, s'harmonisait avec ses fleurons, ses fenêtres à meneaux, ses clochetons, ses statuettes. Alors sur ce fond de décor prestigieux, l'évêque, ayant sorti la relique de sa châsse, l'éleva lentement pendant que retentissaient les trompettes thébaines, pour bénir cette foule multicolore, surgie de tous les âges, qui s'écroulait, agenouillée dans une opulence de bannières, d'ors et de velours, toute composée, semblait-il, pour tenter une fois de plus le pinceau précis de Van Eyck, l'inimitable.

 

texte d(Emile Condroyer publié en mai 1938

 

 

 

Brugge

Une scène typique de la procession qui, dans les rues de Bruges, retrace "la sanglante montée au Calvaire"

 

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La procession du Saint-Sang dans les rues de Bruges (1911)

 

Chaque année, la première quinzaine de mai voit défiler, dans les rues de Bruges, la célèbre procession du Saint-Sang, artistique et somptueuse reconstitution de la vie du Christ.

 

Au son des cloches des églises et du carillon du beffroi, la procession se déroule, encadrant la châsse qui recèle les quelques gouttes du sang du Christ, rapportées de Terre Sainte par Thierry d'Alsace, comte de Flandre, en 1150. Une foule compacte se presse, à ce propos, dans les rues d'habitude plus paisibles de l'ancienne capitale des Flandres, et les coiffures des hommes se soulèvent avec un traditionnel respect devant la relique, considérée comme une sorte de palladium par le peuple flamand.

 

photos ci-dessus :
1. LE CHRIST ADRESSE UN SERMON AU PEUPLE. 2. LA VIERGE, SAINT JOSEPH ET L ENFANT JÉSUS.

 

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