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Gravure d'Omer Bouchery
LA FETE DU BROQUELET
La guerre a tué, semble-t-il, d’antiques traditions au vieux pays flamand... A Lille, en particulier, bon nombre de fêtes, qui, jadis, étaient célébrées avec magnificence, s’éteignent peu à peu... ; pour beaucoup d’entre elles, déjà, il ne reste plus qu’une vague réminiscence dans les mœurs actuelles de la population ouvrière de notre grande Cité... C’est qu’en somme, leurs programmes sont, aujourd’hui, désuets et qu’ils ne peuvent atteindre aux spectacles stupides que prise la mentalité nouvelle : en l’occurrence, cinéma, music-hall, dancing, qui satisfont mieux la perversité et l’exhubérance de la jeunesse ! Ce sont là des faits indubitables ; récemment encore, le mois dernier, la fête du Broquelet a passé inaperçue, et n’était la date qui figure au calendrier syndical de la corporation des "filtiers", on n’en parlerait même plus... Et pourtant, au bon vieux temps, elle était "un peu là !" Voici ce qu’en dit Desrousseaux dans ses "Mœurs populaires de la Flandre Française" :
La célébration de l’antique fête dite du "Broquelet" qui arrive le 9 mai pourrait, maintenant, se résumer à peu près comme suit : Bouquets et cadeaux avec souhaits de bonne fête ; promenades dans les faubourg, et stations plus ou moins prolongées dans les guinguettes ; nombreux mariages, et danses dans beaucoup d’établissements.
Ajoutons que depuis quelques années, on expose dans une des salles de l’estaminet de "Brûle-Maison", ce qu’on nomme un "bouquet du Broquelet", c’est-à-dire un étalage d’échantillons de fils à coudre, de matières premières et d’outillage servant à la fabrication de ce produit. A titre rétrospectif, on y voit un carreau ou coussin de dentellière, chose autrefois bien commune à Lille et qui y est aujourd’hui fort rare.
Qu’il y a loin de cela à ce qui se faisait jadis et que diraient, s’il leur était donné de le voir, les dentellières et les filtiers qui prenaient part à cette solennité populaire il y a une cinquantaine d’années !
Nos lecteurs jugeront de l’étonnement qu’éprouveraient ces braves gens, par la description suivante que nous extrayons du livre posthume de notre regretté concitoyen M. Albert Devienne "Nos lecteurs n’ignorent pas que vers le XVIIe siècle, une notable partie de l’industrie lilloise consistait dans la fabrication de la dentelle, importée en Flandre par les Espagnols. Or, les métiers en forme de carreaux dont se servaient les nombreuses femmes employées à cette fabrication, étaient surmontés de fuseaux ou petites broches, surnommés en patois broquelets. De là cette appellation.
Il serait assez difficile de préciser d’une façon exacte l’origine du Broquelet, qui, par extension, devint peu à peu la fête de tous les ouvriers employés dans l’industrie du fil, mais ce que nos pères nous ont transmis, c’est que pendant plusieurs siècles, les fêtes lilloises du Broquelet jouirent d’une telle célébrité que bon nombre d’étrangers vinrent y assister en curieux.
Dès la première heure du lundi qui suivait la Saint-Nicolas d’été, le guetteur de l’Eglise St-Etienne, située alors sur la Grande-Place, annonçait au son de trompe le commencement de la fête. — Une foule d’enfants accourait de toutes parts et, du haut de la tour, étaient jetés des milliers de gâteaux qu’ils se disputaient, non sans se donner et recevoir force horions. — Un peu plus tard, cette multitude bruyante d’apprentis se rendait à l’Hôtel-de-Ville, où, de chaque lucarne, étaient lancées des nieulles coloriées. Ces légers pains d’autels, qui voltigeaient de tous côtés, étaient poursuivis au vol par les nombreux enfants.
Vers dix heures, l’un des syndics arborait en personne, au sommet de la tour St-Etienne, une immense bannière qui flottait au vent pendant toute la durée de la fête. A partir de ce moment, les maisons se couvraient de guirlandes de fleurs et d e feuillages disposées d’une façon très pittoresque. Certaines fenêtres étaient ornées de pièces d’étoffes parsemées de fuseaux dorés. Dans les habitations du quartier St-Sauveur, la plupart des façades du rez-de-chaussée à l’étage supérieur, disparaissaient entièrement sous les fleurs, les draperies et les branchages.
Puis, peu à peu, la ville était sillonnée de nombreux groupes de jeunes filles des ateliers de dentellières, le front ceint d’une couronne de roses au centre de laquelle était attaché le fameux broquelet.
C’était à qui, dans les ateliers rivaux, organiserait le plus brillant cortège. Les groupes, après avoir parcouru chaque quartier en chantant des refrains de circonstance, se réunissaient quelques heures après sur l’Esplanade dans un immense bal qui se prolongeait jusqu’à l’heure du dîner.
Dans l’après-midi, toutes ces bandes joyeuses allaient se réjouir de nouveau à la Nouvelle-Aventure, au Sabot, au Pierrot libre, au Jardin de la compagnie, etc., où, quelque temps qu’il fît, on voyait arriver des vinaigrettes et des fiacres remplis d’hommes, de femmes et d’enfants entassés les uns sur les autres.
La fête durait ainsi pendant huit jours, employés très diversement. Le mercredi, par exemple, on promenait en ville un mannequin habillé en paillasse que l’on faisait sauter au son du tambour; le jeudi, les enfants des écoles de dentellières assistaient à une messe solennelle avec des cierges ornés de fleurs et de pains d’autel diversement coloriés.
Le cinquième jour, les ateliers et écoles réunis organisaient un somptueux cortège précédé du char traditionnel où deux maîtresses dentellières, richement vêtues, portaient des broquelets ornés de fleurs et de verdure.
Un détail assez curieux, c’est que les femmes seules avaient pendant la fête le privilège d’organiser les divertissements et d’y inviter les patrons, les amis ou les parents. Disons en passant que la plupart des industriels ne dédaignaient pas d’assister au cortège du vendredi, lequel parcourait une grande partie de la ville, au milieu des applaudissements de la foule.
Le huitième jour, pour clore la fête, il était d’usage d’habiller un individu en St-Nicolas et de le promener, sur une civière, avec trois petits garçons, accroupis dans une cuve. C’était alors une procession d’hommes et de femmes chantant à tue-tête, bras-dessus, bras-dessous.
Arrivés au faubourg de la Barre, près du lieu dit le Grand Tournant, les porteurs mettaient en liberté les trois enfants et jetaient à l’eau Saint-Nicolas qui était, comme on le pense bien, un excellent nageur, ce qui lui permettait, après avoir fait ce plongeon, d’aller rejoindre ses amis qui l’attendaient dans un cabaret.
Ainsi se terminait la fête du Broquelet.
article publié en 1921
dessin de Roland Cuvelier
Fête du Broquelet en 1803. Tableau de François-Louis-Joseph Watteau
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