ACCUEIL | LE NORD ET UN PEU DE BELGIQUE | BELGIQUE : ARCHERS ET COLOMBOPHILES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le texte suivant a été publié en 1931.

 

Archers et colombophiles

 

Un petit vieillard trapu entra dans le café. Il portait une calotte noire, un chandail, et, comme beaucoup d'archers, un épais brassard de cuir au-dessus du poignet gauche.

— Regardez-le bien, me dit le secrétaire du club. C'est notre Rex Imperator.

— Fichtre !

— C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire. Trois années de suite, il a descendu le coq dans le tir du roi. Alors, de roi qu'il était, le voici devenu empereur.

— Et qu'est-ce que ça lui, rapporte ?

— Il a la gloire.

—. C'est tout ?

— Il a aussi le collier d'argent ciselé. Vous n'êtès jamais allé, à Gand, au musée de la Byloke ?

— Non.

— Allez-y et demandez le Trésor. Vous en verrez, des colliers de roi ! Songez qu'en Belgique on tire à l'arc depuis le douzième siècle. Jadis, c'était pour défendre les villes. Aujourd'hui, c'est un amusement et un sport. Un vrai sport. Rien de tel pour vous faire les biceps et les pectoraux. Un arc "pèse" généralement 25 kilos, c'est-à-dire que, pour le tendre, il faut développer une puissance musculaire égale à 25 kilos. Mais j'ai vu des arcs de 90 kilos.

— Et leurs propriétaires parvenaient à les tendre ?

— Comme je tends l'élastique de mon lorgnon. Le secrétaire du club m'apprit encore qu'il existe en Belgique environ 500 sociétés de tir à l'arc, dont 260 fédérées, groupant au total environ 25.000 membres. Il m'assura que ce noble sport jouit toujours d'une très grande vogue et que, dans les campagnes, les enfants s'exercent dès leur plus jeune âge sur l'arc de leur père ou de leur grand-père. Il déplora qu'en France le tir à l'arc ne soit guère connu et pratiqué que dans la région de Valenciennes.

Le café où nous nous trouvions possédait une "perche" couverte. C'était, dans une haute tour de maçonnerie, intérieurement tapissée de lattes de bois, une de ces perches verticales que les tireurs préfèrent généralement à la perche horizontale. Elle était en acier et mesurait 28 m. 50. A son sommet, les plumets bigarrés que doit abattre l'archer et qu'on appelle les "oiseaux" étaient disposés en triangle sur une herse mobile. Ils évoquaient les tribus d'hirondelles qui, chez nous, à l'automne, se rassemblent sur les fils télégraphiques avant de partir vers le soleil.

— Au sommet du triangle, m'expliqua le secrétaire du club, sur la plus haute branche, c'est le coq. Au dessous, ce sont les deux poules. Au dessous des deux poules, les deux canes. Au-dessous des deux canes, enfin, la multitude des petits oiseaux.

"Et maintenant, poursuivit-il, voici comment se dispute un concours. Chacun des archers qui y prennent part verse une mise de 20 ou de 30 francs. Puis on tire, à tour de rôle, et l'on touche une prime plus ou moins élevée selon qu'on abat un coq, une poule, une cane ou un petit oiseau. Le "bois" de l'oiseau, que l'on doit toucher avec la flèche, est à peine de la grosseur d'un hanneton. A 30 mètres, ce n'est pas à la portée de tout le monde. Voulez-vous essayer ?"

Je me récusai, mais je passai ma soirée à lire le dernier numéro de la Flèche belge, organe du tireur à l'arc et des sociétés de tir, où se trouvaient annoncés, pour le mois à venir, plus de cent concours tous dotés de nombreux prix, soit en espèces, soit en volailles vivantes, le tombeur du coq gagnant quatre poulets, celui d'une poule trois poulets, celui d'une cane deux poulets, celui d'un petit oiseau un seul poulet. La Flèche belge annonçait également des "Tirs d'argenterie", des Tirs de charité, et, pour suivre les épreuves, de grandes dégustations d'anguilles à la daube. Un concours en plein air devait avoir lieu, le lendemain, dans un faubourg de Bruxelles. J'y allai. "J'aperçus de très loin, au-dessus des toits, tout environnées d' "oiseaux" bleus, rouges et jaunes, les pointes de deux perches verticales, et, bientôt, je débauchai dans un grand pré où soixante tireurs, pour la plupart des commerçants grisonnants et cossus, s'escrimaient sur les coqs, poules, canes et volatiles de moindre importance. Le public n'étant pas admis aux concours d'archers en raison des accidents possibles, leurs prouesses n'eurent que deux témoins Martin, un ânon de deux mois, la mascotte du club organisateur, et moi-même. Martin regardait les quinquagénaires corpulents se renverser en arrière pour viser et tirer, puis tournait vers moi ses grands. yeux d'or : "Hein ! crois-tu; quelle souplesse !"

Le tir terminé, j'allai boire du lambic avec les membres de la gilde, chez le cafetier auquel appartenait le pré. Soudain, dans la conversation, quelqu'un prononça ce nom : Hubert van Innis. Aussitôt s'établit un silence respectueux et solennel.

Je répétai : "Hubert van Innis ?"

Dix voix extasiées se chargèrent de me renseigner:

— Le plus grand de tous les archers !

— L'émule de Guillaume Tell !

— Il était champion à seize ans!

— Il l'est encore à soixante-cinq ! Un archer à la barbe grise, qui semblait être le doyen de ia compagnie, conta au milieu d'une-profonde attention :

— J'ai vu le plus beiau tir de Van Innis. Ce jour-là il avait vidé pas mal de pots, lui comme les autres. Nous allons à la perche. Van Innis prend son arc et il dit : "J'abats le coq ». Pan ! le coq tombe. Il reprend son arc : "J'abats la poule de droite". Pan ! elle tombe. "L'autre poule, maintenant". Pan !...

Le conteur était si ému qu'il termina en flamand son récit commencé en français. Puis tout le monde se remit à parler en même temps.

— Quel dommage, me disait un archer d'Audenarde, que l'on ne fasse plus la procession, comme autrefois ! Ah ! le fou, qui dansait devant, avec plein de petites sonnettes sur son habit rouge ! Ah ! les colliers ! Ah ! les bannières !...

Et, tout mélancolique :

— Une bien jolie coutume, sais-tu, monsieur !.

 

Autres délassements, autres sports: le jeu de balle qui oppose deux équipes de cinq joueurs, et qui réunit, parfois, autour des ballodromes, trois mille fanatiques de la "petite peine blanche"; le jeu de crosse, sorte de golf qui, le jour de la Saint-Antoine, dans la région-de Mons, donne lieu à de grands matches à l'issue desquels on va manger le lapin aux prunes, lapeign a prones ; les combats de coqs, enfin. Les combats de. coqs sont aujourd'hui interdits..Pourtant, dans la banlieue de Charleroi, plus d'un cafetier profite encore du sommeil des gendarmes pour organiser de discrètes tueries de gallinacés dans l'ombre de son arrière-boutique. Et l'on voit s'engager, entre spectateurs, des paris souvent insensés.

Je n'oublie pas la colombophilie. Il y à, en Belgique, plus de cent mille personnes qui pratiquent le culte du pigeon comme les anciens celui du bœuf ou celui du chat. Culte intéressé, s'entend. Sur les pigeons transportés en avion à Creil, à Saint-Quentin ou à Bordeaux, et qui doivent regagner Bruxelles à grands coups d'ailes, on parie des sommes considérables. Le riche engage des milliers de francs, le pauvre le gain de sa semaine. "Avec un pigeon, que j'ai, me confiait récemment une brave femme, j'ai gagné de quoi. renouveler tout mon ménage." Et dire que certaines gens s'imaginent que le pigeon est uniquement fait peur être mangé aux petits pois !

 

Jean Botrot

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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