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LA FRANCE S'EST-ELLE RELEVEE DES RUINES DE LA GUERRE ? - GRANDES VILLES DU PAS DE CALAIS

 

Ayant confessé l'émotion que j'ai ressentie à parcourir ces provinces de Flandre et d'Artois, proclamé l'admiration que j'éprouve pour les hommes qui, en si peu d'années, ont ramené vie et prospérité sur ce qui n'était plus, en 1918, qu'un immense champ de dévastation, peut-être me sera-t-il permis d'ajouter-quelques ombres au tableau que j'ai tenté.

Certes le climat de ce pays est inclément, le ciel morose. La plaine s'étend à l'infini, sans accident, avec une désespérante monotonie. Et si, à certaines heures crépusculaires, les groupes d'usines, au-dessus desquels se dressent les tours des hauts fourneaux et les cheminées fumantes, acquièrent une sorte de beauté tragique, il sembla toujours à celui qui n'est pas fils de ce terroir, qu'y vivre doit être une épreuve.

Mais telles que nous les connûmes avant guerre, ces villes, même les plus humbles, avaient leur caractère. Ceux qui lentement, au cours des siècles, maison à maison, les avaient construites, de façon empirique parfois, sans grand souci de l'ordre, de la perspective, de l'hygiène, leur avaient conféré un certain charme. L'église, l'échoppe de l'artisan, la petite place, la halle étaient un amusement pour l'œil et disaient en un langage émouvant l'histoire de la cité.

Ces réflexions me venaient tout à l'heure, en visitant certaines voies d'Arras. d'Arras où 73 % des maisons furent détruites ! C'étaient, pour la plupart, de solides bâtisses. aux murs de belle épaisseur, élevées sur de profondes caves voûtées et dont on voit encore çà et là les vestiges. Pour tes construire, on avait arraché au sous-sol ce grès d'Artois magnifiquement indifférent aux intempéries. N'avaient été l'obus et la bombe, elles eussent continué d'abriter bien des générations sous leurs vJeux toits.

Par quoi furent-elles remplacées ? Par de petites constructions, frèles, légères, presque toutes conçues sur le même modèle, dont beaucoup n'ont même pas de fondations et pour lesquelles on employa la brique, souvent posée sur champ. Or, la région est une des plus humides de France. Aussi, dès l'automne et durant tout l'hiver, l'eau ruisselle-t-elle dans ces habitations qui déjà portent des traces de désagrégation et dont, si vite, le temps aura raison !

Et que dire de ces portes vernissées, de ces fenêtres, de ces personnes, de ces grilles, de ces décors fabriqués en séries, ajustés en hâte ?

Mais c'est dans les villes entièrement neuves comme Lens ou rien, absolument rien, ne subsiste du passé que l'impression est particulièrement pénible.

Là aussi la maison de briques succède inexorablement à la maison de briques. Là aussi on a bâti, aménag, peint, décoré — si je puis dire — en série ! Aucune recherche, aucune originalité, aucune fantaisie ! La porte, la fenêtre, la vitre, le carreau de céramique, la serrurerie, la marquise à la fois frêle et prétentieuse sont partout les mêmes.

Les maisons sont des visages, disait une légende de Jean Véber. Ici toutes ont le même visage. On pense à un régiment où tous les hommes se ressembleraient comme jumeaux. Et c'est une obsession.

Cette rue que je quitte, où rien n'a réussi à attirer mon attention, comment la reconnaîtrai-je si je veux y revenir, puisqu'elle a la même largeur, est bordée des mêmes immeubles que celle où je m'engage et dans laquelle aboutissent, à angle droit, d'autres voies, n'ayant, elles non plus, aucun caractère propre ?

Pénétrai-je en cette maison, en cette boutique, en cet hôtel, en ce café ? Déjà partout le bois a "joué". Les lisérés blancs qui cernent les panneaux m'en instruisent.

Et puis tout est faux, en simili, en"ersatz". Cet appareillage électrique "verni cuivre" n'est pas du cuivre. Cette étagère de chêne ou d'acajou est de sapin. Il n'y paraît que trop car, déjà, la peinture fendillée dénonce l'innocente supercherie. Le cuir de cette banquette est du carton véritable, cette frise de faïence de l'authentique fer-blanc repoussa à la machine et le marbre de cette table est peut-être du linoléum, du papier comprimé ou autre chose quon ne saurait déterminer et qui, pour quelques semaines, pour quelques mois peut-être, "fera encore la blague".

Car on a l'impression, la certitude, que tout cela ne durera point. La porte et la fenêtre répètent et geignent déjà pour s'ouvrir et se fermer, la ferrure est tordue, l'enduit s'écaille, le crépissage s'effrite, la brique se descelle, la tuile et l'ardoise du toit glissent, le carreau bascule sous le pied, le parquet se gondole.

Loin de moi la pensée de formuler une critique trop sévère et trop facile, d'ironiser à peu de frais. J'imagine comment, au prix de quels efforts, de quelle volonté, au sein de quelles difficultés, ces villes et ces villages si mornes en leur banalité, en leur uniformité, bâtis trop vite, sans le secours du temps et qui, partant, ne seront pas respectes par lui, purent renaître.

Quand nous pûmes rentrer-ici, me disait, il y a quelques jours M. Vermeersch, secrétaire gépéral de la mairie de Lens, nous avons trouvé notre ville entièrement rasée. Nous étions alors trois employés de mairie, douze habitants, six gendarmes. six agents de police, et tout ce dont nous disposions était un appareil téléphonique de campagne.

La situation était si tragique, la tâche de reconstruction nous paraissait à ce point dépasser les forces humaines qu'il nous arrivait parfois de penser que nous n'en viendrions pas à bout. Déblayer le terrain, établir le plan horizontal sur quoi nous élèverions la cité future représentait déjà une entreprise telle qu'aujourd'hui je me demande vraiment comment nous n'avons pas reculé devant elle. Pourtant, nous en eûmes raison...

Et puis, peu à peu, les maisons sortirent de terre. Beaucoup furent construites avant que nos concitoyens apprissent que la France leur viendrait en aide et qu'ils toucheraient des dommages de guerre. Jamais on ne dira assez quels furent le courage, l'abnégation. le désintéressement des Lensois en ces mois qui suivirent l'armistice. Et quelle entente régnait entre eux !

En voulez-vous un exemple ?

Dans une conférence qu'il fit au Conservatoire des arts et métiers, à Paris, M. Cuvelette, directeur général des mines de Lens, rapporte ce souvenir :

— C'était, dit-il, au début d'octobre 1918. Quelques jours après que l'armée allemande avait quitté notre ville. J'y revenais. Pendant qu'on réparait le pont sur le canal, je gagnai l'emplacement de ma maison. Quand j'y parvins, je ne trouvai que trous d'obus se touchant. Mais sur le gravat, au bord des cratères, ce n'était que fleurs: roses d'automne, chrysanthèmes, soucis. J'en pris une brassée pour les rapporter chez moi, et pendant ce temps, M. Basly, députe ét maire, était allé, lui aussi, voir son jardin. Lui aussi en rapportait des fleurs. Et quand nous nous retrouvâmes, nous avions dans nos bras, lui, des roses blanches, et moi des roses rouges. Dans un premier mouvement, je lui dis : "M. Basly, la nature s'est trompée, il faut échanger nos roses", puis j'ajoutai aussitôt : "Mais non, partageons-les plutôt." Autour de nous on applaudit, en disant : "La voilà. l'union sacrée."

— A cet esprit d'union sacrée. poursuivit M. Vermeersch, nous sommes constamment restés fidèles et c'est en unissant nos efforts que nous avons pu reconstituer, en si peu dp temps, notre ville dont aujourd'hui, la population est numériquement ce qu'elle était avant guerre.

Eh oui ! C'est cela même l Il fallait aller vite, créer en hâte, fournir dans le moindre délai l'habitat à l'homme qui revenait vivre, travailler sous ce climat si rude. Pouvait-il être question, alors, de beauté, de grâce, de charme, de diversité ? Hélas ! le travail en série s'imposaiL Et, malgré les réserves que j'ai faites, il est de stricte équité de reconnaître que les municipalités des régions libérées n'ont point failli à leur tâche.

 

publié en 1927

 

 

Arras

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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