ACCUEIL | LA MUSIQUE | BARBARA (1970)

 

 

 


 

 

 

Disque PHILIPS 6009-53

 

L'Aigle Noir "Dédié À Laurence"

Quand Ceux Qui Vont

 

 

 

 

 

article de Lucien Rioux publié par un quotidien suisse en février 1990 :

 

Des mois durant, elle s'est préparée. S'isolant, n'accordant que parcimonieusement ses interviews, au compte-gouttes pourrait-on dire... Elle a abandonné sa calme maison d'Ile-de-France et vit en permanence au théâtre Mogador, là où elle se produit. Elle y répète, s'yconcentre, s'y détend, s'imprègne de l'atmosphère de la salle, en écoute le son, respire l'odeur des fauteuils. La manière pour elle d'être chaque soir prête à affronter le public.

 

Elle a toujours agi ainsi, Barbara. A ses débuts, du temps où elle n'était que "la Chanteuse de minuit" du cabaret "L'Ecluse", elle arrivait plusieurs heures avant son tour de chant et, plongée dans le placard à balais qu'on appelait pompeusement une loge, elle se tendait pour l'action, entendant plutôt qu'elle ne les voyait les numéros de ses camarades. Elle chantait alors des rengaines 1900, des oeuvres de Bach ("les Flamandes") ou de Brassens ("Pénélope") qu'elle métamorphosait, les adaptant à sa façon d'être, de vivre et de transmettre ses sentiments. Elle ne s'était pas encore trouvée, mais déjà elle se ressemblait.

 

Grande, elle l'est depuis nombre d'années. Depuis l'époque où, surmontant ses inhibitions, elle décida d'écrire. La chanson devint alors pour elle une sorte de confession permanente. Elle y racontait ses histoires, y mettait à nu ses angoisses et ses espoirs, avec une émotion contenue, une légère auto-ironie, un mélange d'inquiétude et de bonheur.

 

Aujourd'hui elle va plus loin, transforme son spectacle en cérémonie. Avec un code, un rituel, attendus et parfaitement réglés: les tours de piste, les stations assises au piano, le ballet des mains, brusque parfois, à la limite de la brutalité; souvent gracieux, harmonieux, semblable à celui qui anime les danseuses balinaises... Symboliques, ses gestes n'illustrent pas les phrases qu'elle prononce. Ils leur apportent un plus, une signification supplémentaire... que le public comprend. Comme il comprend son jeu très théâtralisé: un mouvement rapide des mains annonce la colère ou la révolte, un arrondi, un geste de prière apportant la tendresse, la chaleur, l'amitié... La voix aussi participe au rite. Elle part doucement, suggestive, glisse comme une confidence, puis elle se module, s'enfle, brûlante et dévorante. Quelquefois, elle prend tant de place qu'on en oublie les mots: elle se suffit à elle-même, elle explique sans dire, elle envoûte. Comme envoûterait un personnage féérique.

 

Brune de la tête aux pieds comme une sorcière, elle a choisi comme tenue de scène le négatif d'un costume de Pierrot: un pantalon qui s'élargit aux chevilles, une blouse ample, le tout couleur nuit, bien entendu. La couleur qu'attendent ses fidèles. Unanimes dans l'admiration, ils sont entre eux très différents. Il y a dans la salle des anciens amoureux de "la Longue dame brune" que chantait Moustaki, et des jeunes perdus, incertains, pour lesquels elle est la grande consolatrice. C'est pour ces derniers qu'elle chante douloureusement le Sida, qu'elle conte l'aventure de Coline, adolescente que la drogue a tuée, qu'elle décrit les filles qui, dans les parloirs des prisons, attendent. Pour tous qu'elle exhume, sur un rythme rigolard, "la Plus bath des javas", un succès sexagénaire du comique Georgius.

 

Elle rit, elle gémit. Elle provoque le sourire et elle bouleverse. Très vite, on se rend compte que le cérémonial, admis et aimé par tous, n'est là que pour donner une structure au concert. L'important, le vrai ne sont pas là. C'est par l'émotion, la sincérité que Barbara gagne. Elle chante le Sida et va dans les hôpitaux réconforter les malades; les prisons, elle s'y rend, par besoin d'aider ceux qui souffrent. Le rituel, la gestuelle ne sont pour elle que des protections. Mais on sait que, derrière l'attitude convenue, il y a une femme sensible, compréhensive, qui jamais ne trompe ceux qui croient à sa "Plus belle histoire d'amour". C'est cette femme que l'on applaudit debout, longuement, inlassablement, lorsque chaque soir s'achève le spectacle de "Mogador".

 

 

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née le 9 juin 1930 et morte le 24 novembre 1997

 

 

 

 

 

 

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