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The Who à la Locomotive à Paris (1965) - photo de Roger Kasparian
Septembre, plaque tournante de l'année, est l'époque rêvée pour faire le point sur ces vedettes un peu particulières, qui vont, pour certaines, passer directement des plages aux micros des music-halls parisiens : les idoles. Jamais saison de vacances n'aura été plus paradoxale : on pouvait croire Johnny Halliday, le "copain" No 1, un peu oublié depuis son service militaire et son mariage. Or, la Côte-d'Azur a retrouvé en lui une super vedette très organisée, en pleine possession de ses moyens, dont le public déborde largement les hordes de fans qui plébiscitèrent autrefois le jeune champion du rock and roll. Mais en même temps, alors que Johnny, avec à sa suite des garçons sportifs comme Frank Alamo et Hugues Aufray, semblait avoir imposé une Image moderne, aérée, plutôt "play-boy" du chanteur type, c'est un garçon pâlot et doux, ressemblant plus à un chien battu qu'à une idole qui a été le triomphateur de la saison : Salvatore Adamo.
Pour la vente des disques, même surprise. L'époque la plus favorable aux rythmes gais, aux danses de groupes, celle qui a vu s'imposer en leur temps le madison et le hully-gully, a consacré cette année le triomphe de trois slows chantés, on va le voir, par deux quasi anonymes et un presque revenant. Les affiches de la rentrée témoignent de la même évolution : aux hurlements des Beatles, succède à l'Olympia un doux trio folklorique : Peter, Paul et Mary. Adamo, toujours lui, les remplacera la semaine suivante, cependant qu'à Bobino, c'est une véritable chanteuse lyrique, Barbara, qui a ouvert le feu le 15 septembre. Est-ce à dire qu'il faille une fois de plus sonner le glas du yé-yé ? Certainement pas : le Golf Drouot va rouvrir ses portes ; la Locomotive qui l'avait remplacé demeure le temple du rock ; le second film des Beatles, "Help", est attendu dans la fièvre par toute une génération. Mais qu'une certaine douceur romantique soit en train d'envahir la chanson, c'est incontestable. Il suffit d'examiner d'un peu plus près le succès des vacances pour bien situer cette tendance vers un retour au pianissimo.
UN NOUVEAU JOHNNY
Il était grand temps que le sergent Jean-Philippe Smet quitte le 43ème régiment blindé d'Offenburg. A 21 ans, Il est le chef d'une entreprise qui fait vivre à longueur d'année un minimum d'une douzaine d'employés et qui réalisait, avant le départ de son patron pour l'armée, plusieurs millions de chiffre d'affaires par an. La caisse de la "Halliday and Co" ayant fortement souffert du paiement des impôts arriérés, Johnny a dû, comme les cigales, chanter tout l'été pour payer les avances consenties par son imprésario Stark.
Il avait choisi pour banc d'essai de cette rentrée les fameuses arènes de Fréjus où une soirée fort bousculée lui permit de mesurer la fidélité de son public. Ayant commis l'erreur de demander aux spectateurs des rangs éloignés de se rapprocher de lui et de la scène, il déclencha, parmi les 6000 personnes présentes, un véritable raz de marée et l'intervention du service d'ordre rappela les beaux débuts du rock. Pourtant, Johnny, en chemise noire et smoking blanc, a maintenant pour meilleur titre un slow : "Quand revient la nuit". Suivant un programme à l'américaine, il lui est arrivé de faire deux ou trois galas dans la même soirée, adoptant comme Richard Antony, le père tranquille du twist, l'avion personnel pour cette lutte contre la montre. Il fera sa rentrée à l'Olympia le 25 novembre, accompagné d'un sextette de deux Français et quatre Anglais, renforcé d'une section de violons et d'une section de cuivres pour lesquels des arrangements spéciaux ont été écrits par son beau-frère Eddie Vartan. La chorégraphie et la mise en scène du show sont réglées par un spécialiste américain qui s'est déjà illustré dans "West Side Story" : David Winters. Luxe, élégance, chansons bien travaillées avec de fortes concessions aux rythmes lents : le Halliday 1965 se met à ressembler fort au Sinatra de l'après-guerre.
LE TRIOMPHE D'ADAMO
Chez les copines, même tendance, qui nous vaut notamment une Sheila munie d'un répertoire honnête et bien chanté, dont la popularité gentille tient solidement. Françoise Hardy, malgré le pessimisme lucide qui la faisait se déclarer "finie" l'an dernier, conserve un succès honorable grâce aux chansons amères et tendres dont elle a le secret. Quant à Sylvie, il est évident qu'on en parle moins que de son grand mari. Elle a cependant battu tous les records, Il y a quelques semaines en Tunisie, Aznavour, lui-même, n'avait pas déplacé 7500 personnes pour une seule soirée au casino du Belvédère à Tunis. Ses galas de la côte ont été plus Irréguliers. Mais elle peut s'en consoler en pensant aux malheurs de Petula Clark et de Richard Antony qui durent faire annuler une soirée à Fréjus .
Le numéro 1 des tournées d'été, c'est donc ce petit Belge d'origine sicilienne que Paris vient de découvrir. Adamo, avec sa voix râpeuse, ses chansons romantiques dont il est totalement l'auteur-compositeur et ses rythmes vieillots, a été le seul depuis Edith Piaf, à avoir chanté à nos bureaux fermés au théâtre de verdure de Nice (5000 places), aux arènes de Fréjus (8000 entrées, soit 2000 de plus que Johnny) et au palais du Festival de Cannes.
Pourquoi ? Avec une gentillesse qui lui rallie toutes les générations, il chante la tristesse du mal aimé : "Tu ne viendras pas ce soir", "J'ai raté le coche", "A votre bon cœur". Ni copain, ni idole, il ne doit rien à l'Amérique et personne ne l'imite. Il est actuellement la meilleure affaire de disques de l'année.
UN TRIO INATTENDU
Mais à ce propos, il faut revenir aux surprises que révèlent les chiffres de l'été. Ce sont deux inconnus et une vedette oubliée qui ont fait les ventes de disques les plus Importantes de Juillet et d'août. En interprétant des slows, ils ont battu les records des idoles. Ces outsiders dont le succès a étonné sont : Christophe (19 ans), auteur et interprète d' "Aline", passionné de théâtre et de cinéma d'avant-garde ; Hervé Vilard, élevé dans un orphelinat de l'Assistance publique, qui chante "Capri, c'est fin" ; enfin un chanteur que l'on ne voyait plus guère que comme présentateur de variétés à la télévision, François Deguelt. C'est "Le ciel, le soleil et la mer" qui a ressuscité cet artiste de 33 ans. Il s'est produit pour ces trois vainqueurs de l'été une véritable course à la fabrication dans leurs maisons de disques : La France a englouti chaque jour d'août entre 4000 et 5000 45tours de ces trois chansons. Enfin, francs-tireurs de la rentrée, trois intellectuels américains s'attaquent maintenant au public de l'Olympia. Peter, Paul & Mary sont passionnés du folklore, et leur récital contient les succès les plus délicats du répertoire de nos propres idoles. Tout donne à penser, on le voit, à l'orée de cette saison, que la musique va de nouveau adoucir les mœurs : ceux qui ont dépassé les seize ans des teen-agers trouveront sûrement qu'il en était grand temps.
Christophe, Hervé Vilard et François Deguelt
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