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Le secrétaire de mairie au début du XXe siècle

 

Etre secrétaire de mairie, c'est accomplir une besogne toute matérielle, mais non point se mettre au service d'un parti représenté par le maire et la majorité du conseil municipal. Il rendra au maire tous les services qu'il lui doit, sans jamais se départir de l'impartialité que lui impose sa fonction primordiale.

Le secrétariat est devenu un travail extrêmement absorbant. Mille paperasses l'accaparent: correspondances, tenue des registres, établissement du budget, préparation des séances du conseil, formulaires à remplir pour l'application des lois sociales, les statistiques agricoles ou autres, la météorologie, les recensements, les mutations, dégrèvements d'impôts, secours, etc.

 

On notera également:
...en dehors des heures de classe, on admet que l'instituteur secrétaire de mairie peut exceptionnellement se livrer à des opérations d'arpentage (Circ. 2 février 1885), gérer la Caisse d'épargne municipale, participer aux opérations vaccinales, être secrétaire du bureau de bienfaisance, etc., ces occupations étant considérées comme l'accessoire de la fonction de secrétaire de mairie. (Circ. 7 avril 1905 - arrêt du Conseil d'Etat, 2 juillet 1915). Exception faite pour les opérations de classement des animaux de réquisition, auxquelles, l'instituteur secrétaire de mairie doit assister, même pendant les heures de classe (Circ. 17 avril 1896.)

 

d'après Le Livre des Instituteurs - 1931


La fonction de secrétaire de mairie était souvent exercée par l'instituteur, avec l'accord du Conseil Départemental, dans les petites communes.

 

...

Et puis me diras-tu il y a le Maire, gros propriétaire terrien ou ancien noble déclassé, souvent dédaigneux de tes fonctions; il y a le Conseil Municipal où s'affrontent les personnes et les clans et près duquel il faut quêter des augmentations successives toujours discutées et pourtant bien gagnées. Il y a la population : ce défilé devant la table de travail de gens de toutes conditions, qui viennent s'enquérir, se faire inscrire, demander, réclamer, raconter leurs histoires, tempêter, jurer ou même insulter et qui veulent obtenir de toi, pauvre Maître Jacques du village, les renseignements les plus divers. Depuis le moyen d'épouser une femme polonaise quand on est espagnol non naturalisé français, jusqu'aux dimensions et prix du lopin de terre, dernière demeure qu'on puise acquérir sous le sapin du vieux cimetière.


Il y a l'Administration enfin, avec ses circulaires, ses enquêtes, ses questionnaires interminables et sa complexité toujours accrue. Du Ministre, du Préfet, du Sous-Préfet, du Juge de Paix, de la gendarmerie, de l'Inspecteur du Travail, de la Sécurité Sociale, et j'en passe, tout aboutit au secrétaire de mairie, tout part de lui; il est l'homme de peine, le factotum de l'Administration.

 

Et pourtant je suis de ceux qui pensent que ces fonctions procurent plus d'avantages qu'elles n'offrent d'inconvénients.
Le greffier, appelé à rendre mille et un services ne peut, s'il est dévoué, que voir son autorité s'accroître. On l'estimera dans la mesure où il pourra aider les uns et les autres. En contact journalier avec la population, il gagnera plus vite la confiance...


d'après Le Tout en Un de l'Instituteur par J. Anscombre - 1950

 

 

 

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André, secrétaire de mairie à Bachy (Nord)

 

Après avoir travaillé à la Préfecture du Nord depuis 1964, c'est le 1er février 1969 qu'André Bernard (sur la photo de gauche) fut notre secrétaire de mairie - on disait parfois greffier de mairie. Il succédait à Jules Delaby, qu'on appelait "le petit Jules", vu qu'il n'était pas trés grand. Ce dernier était en poste depuis la fin des années 1930.

 

André fut le dernier secrétaire de mairie, car depuis on les appelle "agents téritoriaux". Il prit sa retraite en 2006. Il exerça sa fonction avec Mme Fortunée Colette, MM Henri Werbrouck et Thierry Lempereur, maires de Bachy. La mairie se situait à l'époque, rue Nationale.

 

 

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Dans cet article de P. Vincent, on remonte le temps jusqu'en 1943, pendant la guerre :

 

Le secrétariat de mairie est devenu le métier le plus compliqué du monde et le moins bien payé...

 

Avant guerre, le secrétaire de mairie était l'homme le plus heureux d’une commune. Aujourd’hui, il est le plus malheureux. Il était une planche de l’édifice social ; il est la base de l’organisation de la cité. Il se rendait à la mairie de temps en temps, pour noter les mariages, les naissances et les enterrements, pour s’occuper du budget primitif, puis additionnel. Après quoi, il allait planter ses choux.

Aujourd’hui, le secrétaire ne peut plus sortir de la mairie, dès qu’il y est entré. Il hésite entre le building des paperasses et l’avalanche des réclamations. Le métier, si épisodique et si simple, est devenu une obsession. La guerre, avec ses multiples exigences — le ravitaillement surtout — en a fait un métier neuf et dur, déconcertant, auquel les autorités locales ne sont pas toujours adaptées.

Quand il sort de la mairie, ce nouveau fonctionnaire se sent la tête lourde et le porte-monnaie léger, car ses indemnités subissent de mauvais traitements.

 

IL NOURRIT 100 HABITANTS AVEC 3.000 FRANCS FAR AN

 

Si on lui demandait "la bourse ou la vie", le secrétaire de mairie n’aurait pas de peine, en effet, à opter pour la bourse

. La loi prévoit deux cas :

Pour les communes de moins de 1.000 habitants, il touche un fixe de 2.000 fr. par an, plus 10 fr. par habitant.

Pour les communes de 1.000 à 10.000 habitants, il reçoit un fixe de 10.000 fr. par an, plus 2 fr. par habitant.

Le rat des villes est moins cher que le rat des champs.

La loi n’est pas assez souple. Il faudrait prévoir plus de deux catégories : le travail change singulièrement de valeur d’un village de 1.000 habitants à une sous-préfecture de 10.000.

Sans doute, ajoute-t-on les indemnités temporaires ou de résidence attribuées aux agents de l’Etat par les lois du 31 octobre 1941 et éventuellement les allocations familiales. Sans doute, ne doit-on pas négliger les échelons d’ancienneté de 1.500 fr. (après 2 ans au choix et 4 ans à l’ancienneté) qui s’élèvent au nombre de 6 pour les villes de plus de 1.000 habitants et de 3 seulement pour celles de moins de 1.000. Sans doute, l’humble salaire peut-il fournir un appoint vital aux instituteurs qui jouent souvent, dans les hameaux surtout, le rôle de secrétaire de mairie. Mais de plus en plus, l’instituteur, s’il veut se donner pleinement à sa tâche d’éducateur au service de la nation, s’avoue submergé sous les paperasses de la mairie et l'on doit songer à créer une corporation autonome des secrétaires de mairie dont les traitements ne doivent pas être supportés seulement par les finances communales afin d’atteindre le minimum vital. En outre, on exige, sauf pour les communes de moins de 2.000 habitants, un examen d’aptitude contrôlé par les écoles régionales d’administration, après épreuves écrites et orales. Il semble juste que ce fonctionnaire, sur qui repose de plus en plus toute la vie d’une agglomération, de qui on exige une instruction et un sens des responsabilités indiscutables, voie ses moyens d’existence loyalement améliorés.

Prenons une commune de 100 habitants, cas fréquent dans nos campagnes de France. Les mêmes problèmes, aussi nombreux, aussi détaillés, se posent que dans un centre plus important.

Indemnité par habitant ...... 2.000 f.

Fixe ..................................1.000 f. (100 x 10)

Total .................................3.000 f.

Ainsi, le secrétaire de mairie touchera 250 francs par mois — moins que le casseur de pierres — pour s’occuper du pain, de la viande, des matières grasses, des souliers, des costumes, des mille autres problèmes impérieux de qui dépend la vie quotidienne et permanente de la commune.

 

LE ROI DE LA PAPERASSE N’A PAS DE CARTE DE PAPIER

 

Le citadin ne peut pas se rendre compte des soucis du secrétaire de mairie rural. En ville, les chefs de division ont multiplié leurs bureaux. Un personnel nombreux se partage les innombrables tâches de la vie 1943. Le personnel de mairie des grandes aglomérations est devenu une famille nombreuse. Le secrétaire de mairie reste seul.

Seul, si l’on peut dire, car il ne manque pas de compagnie. Il est 9 heures, un matin de février. Le secrétaire est plongé dans l’établissement du budget primitif. Il se hâte et dans 3 mois, ce sera le budget additionnel.

Il est content. Il a noté la taxe des chevaux, mulets et voitures, les taxes d’affouage ,de tourbage, de séjour. Il a prévu le droit d’échaudage et de grillage des porcs, l’entretien des fontaines, puits et mares, le traitement de l’attachée à la garderie enfantine et le remontage de l’horloge. Il ne lui reste plus qu’une centaine de dépenses à considérer et il s’attarde sur une proposition d’augmentation sollicitée par le sonneur de cloches.

Un bruit de sabots contre la porte :

— Entrez !

— Je viens d’avoir un veau mort-né.

— Je vais l’inscrire sur le registre communal de cheptel.

— Le veau, c’est encore rien, mais c’est mes poules. On doit donner 18 œufs par poule dans l'année, n’est-ce pas ? Eh bien, on m’a déclaré 21 poules. Je n’en ai que 16. Les autres, c’est des coqs.

— Nous ferons une enquête.

— A propos de poules, vous avez reçu mon bon de chaussures ?

— Pas encore. Au revoir.

Voyons, quel crédit faut-il proposer pour le carillonneur ? Un bruit de galoches contre la porte.

— Entrez !

— Je viens d’avoir un garçon.

— Je vais l’inscrire sur le registre de cheptel, pardon, d’état-civil.

— Vous qüi êtes instruit, vous pouvez me faire une demande de layette ? Et puis, en même temps, une demande d’assistance médicale gratuite et une demande d’assistance aux vieillards pour mon père qui ne peut même plus travailler ?

Une demi-heure plus tard, la porteuse de galoches râcle l’escalier. Décidément, on regardera ce sacré tonnerre de budget plus tard. Justement, il faut s’occuper du relevé des matrices cadastrales. Prenons les livres du cadastre. Ça nous changera les idées.

Un bruit de godillots contre la porte.

— Entrez !

— Vous venez pour une naissance ?

— Non, pour mon automobile. Je viens d’acheter un petit bois. Je voudrais une autorisation d’équiper ma bagnole au gazogène. Et puis, il y a aussi les bons de monnaie-matière qui m’embêtent. Vous n’avez pas vu mon frère ?

—Non ? Il va bien ?

— Pas mal, merci. Il veut vous voir, rapport aux réquisitions. Il serait bien content s’il pouvait toucher un pneu pour son vélo et si vous pouviez employer son fils pour être tambour-afficheur.

Ce n’est pas un gag. C’est un gang. Vingt fois dans la journée, des gens viendront l’assaillir pour les impositions, 1e ravitaillement, la comptabilité municipale. Pour les cartes de pain, il y a presque tout l’alphabet : il y a la carte R (réservataires qui touchent de la farine contre leur blé), la carte P (producteurs). Il faudra qu’il songe aussi à la déclaration des récoltes de céréales, à la récupération des ferrailles et des vieux papiers, à l’établissement semestriel des enquêtes agricoles, à mille autres problèmes urgents et permanents.

Et il est là, sans placard, sans rayons, devant l’amoncellement des demandes.

Le secrétariat de mairie est une tour de Babel de la paperasse. Mais ce roi du papier n’a pas de carte de papier et il faut qu’il coure à la ville pour obtenir quelques feuilles et quelques enveloppes.

Le secrétaire de mairie est plus que le coadjuteur du maire, il est son éminence grise. Ce Richelieu de hameau rend d’inappréciables services à celui qui peut être plus fort devant la charrue que devant les décrets. Le secrétaire de mairie a besoin de renoncer à un second métier qu’il n’a plus le temps de faire pour trouver les ressources.

Il a besoin aussi de vivre dignement : il semble juste que celui qui contribue à nourrir toute une commune n’ait pas un traitement de famine.

 

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LE SECRETAIRE DE MAIRIE, HOMME DE CONFIANCE DU VILLAGE

 

article de presse publié en 1952

 

C'est une belle mairie que celle de ce petit village Une ancienne auberge, sans doute, à en juger par son aspect et l’entrée carrossable qui passe sous le porche imposant. Mais c'est un vaste bâtiment à la façade soigneusement peinte en blanc sur laquelle se détache, en grandes lettres noires, l'inscription "Mairie".

Elle aurait beau être effacée cette inscription, que l’on saurait, néanmoins, que c’est là la "maison commune". Peut-être, parce que c'est le plus grand bâtiment — après l'église — de cette jolie place ombragée. Peut-être à cause de la grande hampe, aujourd'hui veuve de son drapeau, qui domine le porche. Ou encore parce qu’il n’y a pas de rideaux aux fenêtres dont les vitres inférieures sont de verre cathédrale.

De toute façon, quelle qu'ait été l’affectation première du bâtiment, c'est bien ainsi que l'on se représente une mairie de village. Sous le porche, des affiches de couleur. Beaucoup d'affiches administratives dont certaines sont là depuis deux ans au moins. Quelques pancartes aussi indiquent que la mairie, trop vaste pour le village met ses salles à la disposition du percepteur des Contributions et même du correspondant de la Sécurité sociale.

Entrons. Toutes les salles, au papier défraîchi, mais aux belles boiseries anciennes sont vides ce matin. Sauf une, celle où je vais frapper. Un seul mot est inscrit sur la porte ; Secrétariat.

 

Ni Marianne ni Président ! M. B... est là tout seul. Assis derrière un bureau dans le cabinet le plus banal que l'on puisse imaginer. Derrière lui, un grand classeur, ouvert. Sur l'un des murs, un plan de la commune. Un poêle dans la cheminée, tout triste et solitaire, surtout qu’il ne marche pas...

Sur le bureau, un téléphone de modèle ancien Et pour tout mobilier : deux chaises destinées aux visiteurs éventuels.

Je cherche au-dessus de la cheminée le buste de la République et le portrait de M. Vincent Auriol. Mais j’apprends que les seuls existant dans la commune trônent aux places d’honneur, dans la salle de réunion du conseil municipal.

 

Dans ce cadre, entre une femme âgée, tout de noir vêtue. Un châle de laine sur les épaules quoique nous soyons en plein mois d’août. M. B... la salue cordialement :

— Bonjour, mère Davaine. Comment cela va-t-il chez vous ? Et qu’est-ce qui vous amène?...

— Ben, le père Davaine ne va plus fort. Il marche sur ses 75 ans et ne quitte plus son fauteuil que pour gagner son lit... Pourquoi je viens ? C'est bien simple, allez ! Il me faut, à ce qu'il parait, le cachet de la mairie...

M. B... sourit...

— Mais je ne puis pas vous le donner comme cela, le cachet de la mairie. S'il était à la disposition de tout le monde, je le laisserais bien volontiers sur une petite table sous le porche et chacun pourrait l'utiliser à sa façon... Mais je ne puis pas. Dites-moi plutôt pourquoi vous en avez besoin.

La mère Davaine tend une feuille de cahier d'écolier qu'elle tenait bien précieusement pliée en quatre. Cela n'empèche quelle soit tout de même bien froissée. M. B... examine d’un coup d'œil la feuille couverte d'une écriture malhabile.

— Ah! très bien. Je m'en doutais. Vous voulez faire légaliser la signature de votre mari. C'est d'accord, j'apposerai le cachet. Laissez-moi ce papier jusqu'à demain car il y faut également la signature du maire... Mais, dites-moi, qui a signé cette feuille ? Ce n'est pas votre mari !

— Ben non ! C'est moi. Je signe toujours à sa place.

— Voyons, mère Davaine, comment voulez-vous que le maire certifie exacte la signature de votre mari alors que ce n'est pas lui qui a signé. Recommencez votre déclaration. Et faites-la signer par votre mari. Il peut encore tenir une plume, voyons.

La bonne vieille n'a guère l’air satisfaite. Tout s'arrangeait si bien, au début. Elle insiste quelque peu :

— Cela fait bien quarante ans que je signe à sa place, ce n'est pas la première fois que... Mais elle finit par admettre le raisonnement du secrétaire de mairie, et s’en retourne...

— Vous souriez, me dit alors M. B,.., mais cela ne m’étonne plus. Je dois répéter la même chose plusieurs fois par mois. Dans nos campagnes, voyez-vous, les hommes, les vieux surtout, sont bien mieux habitués à manier l'outil ou à tenir les mancherons de la charrue qu’à prendre la plume. Alors, les femmes signent pour eux, remplissent les formulaires ou les déclarations. Seulement, quand il s'agit d'une légalisation de signature, ils s'en trouvent tout étonnés. Et cependant je suis bien obligé de leur faire faire les choses en règle..

 

Un autre visiteur pénètre à son tour. C’est encore une femme. Elle désire un certificat de vie collectif que lui réclame la Caisse d’allocations familiales. Naturellement, elle a omis d'apporter son livret de famille. Mais M. B..., complaisant, lui rédige quand même son certificat. Il connaît toute la famille. Il connaît d'ailleurs tout le monde au village. C'est lui qui est le premier averti — après le papa, tout de même — de l’agrandissement d une famille ou d'une autre. Cependant, il lui faut tout de même feuilleter un peu les registres de l'état civil qu'il est allé chercher tout au bas des classeurs. Car la visiteuse n'est pas très sûre — pas sûre du tout, même — de la date de naissance de son mari. Et puis, pendant que nous y sommes, autant vérifier les dates de naissance des quatre enfants.

— Voilà, conclut M. B..., vous viendrez chercher cela demain...

— Comment demain ! Pourquoi demain ? Il faudra que je revienne, alors... Vous croyez que je n’ai que cela à faire...

— Mais voyons, sans la signature du maire, votre certificat est sans valeur. Et le maire, je ne le possède pas dans la poche. Il est aux champs, vous le savez comme moi. Il passera signer le courrier ce soir, vers les cinq ou six heures. Mais pour vous rendre service, je demanderai au garde-champêtre de vous rapporter ce papier dès qu’il sera signé. Et la dame s'en va ...

M. B... empile les registres les uns sur les autres, puis les remet, avec soin, dans leur casier respectif.

 

"L’état civil, m'explique-t-il, c'est la première et la principale de mes fonctions. D'ailleurs ici, au village, on dit rarement "secrétaire de mairie", mais souvent "le greffier" ou "le greffier de l’état civil".

"Voyez-vous, rédiger un arrêté municipal afin de détourner la circulation un jour de marché hebdomadaire, distribuer aux ayants droit les bons de carburant agricole détaxé remis par le Génie rural ou veiller à l’application d'une circulaire préfectorale sur le curage des fils d'eau ou la destruction des corbeaux, cela représente bien du travail. Que je commette une erreur, il me sera assez facile de la réparer. Mais à l'état civil !... On ne peut pas gratter sur un registre d’état civil. Un nom mal orthographié, une date erronée et il faut un jugement du Tribunal civil pour opérer la rectification nécessaire. Si cette rectification n'a pas été faite, dans une centaine d'années, des gens seront peut-être frustrés d'un héritage important. Bien d'autres complications peuvent encore surgir...

"Tenez, avez-vous jamais entendu parler de cette jeune fille qui fut appelée au service militaire ?... L'histoire débuta à X..., un village pas bien loin d'ici. Une dame venue de la ville s'y était installée pour attendre la naissance de son enfant à la campagne. L'enfant vint au monde. C’était une belle petite fille que le jeune papa, tout fier, s’en fut déclarer à la mairie de X... Le vieux secrétaire sortit son registre, demanda et inscrivit le nom du père, celui de la mère. — Celui de l’enfant ? — Camille, répondit le père. — Camille ! Mais c’était justement le nom de mon ancien confrère, qui, sans hésitation, distrait par la coïncidence, compléta "sexe masculin". Les parents et leur enfant retournèrent à la ville, où, vingt ans plus tard, Camille, devenue une belle et jolie fille, reçut sa convocation pour le conseil de révision... On crut à une plaisanterie de mauvais goût, mais le papier avait tout l'air d'être officiel. Bref, les parents n'avaient pas encore éclairci la chose que les gendarmes se présentaient, voulant savoir pourquoi cet "insoumis" de Camille n'avait pas encore répondu à la convocation. L'histoire, bien sûr, s'arrangea et Camille ne fut pas artilleur, mais que de complications elle amena !... Imaginez qu'avant que la rectification ne soit faite — ce qui demanda un certain temps — Camille ne pouvait pas se marier...

Oui, l'état civil est bien la tâche la plus sérieuse d'un secrétaire de mairie de village, et ne croyez pas que cela puisse devenir une routine. Les grandes villes, elles, ont un bureau de l'état civil que dirige un hommç dont l'habitude fait un véritable spécialiste ; mais nous, ceux des campagnes, nous n'enregistrons pas assez d'actes pour en arriver là. Tenez, il y a vingt-cinq ans que je suis secrétaire de mairie et, le mois dernier, j’ai eu pour la première fois à enregistrer la naissance d'un enfant sans vie, c'est-à-dire d'un enfant né viable mais mort au bout de quelques heures, avant que sa naissance n'ait été déclarée. Je ne pouvais pas le considérer comme mort-né, mais devais-je enregistrer à la fois la naissance et le décès ? Eh bien ! la loi prévoit le cas. Et c'est un acte spécial qu'il m'a fallu établir. Je le sais, maintenant, parce que j'ai "potassé" la question, mais, voyez-vous, j'étais bien embarrassé. Et il y a, comme celui- là,. bien des cas spéciaux, dans les actes d'état civil qui vous paraissent si simples.

 

Bien convaincu de l'importance de sa tâche de greffier d’état civil, je veux tout de même connaître les autres aspects du travail de M. B..., secrétaire de mairie d'un village du Nord. Il me renseigne en me désignant d'abord le classeur rempli de dossiers au dos desquels je lis : "Chemins vicinaux", "Statistiques agricoles"...

— Oui, les agriculteurs viennent faire leur déclaration deux fois par an, me dit B..., une fois après les emblavements et une fois après les récoltes. A moi d’établir les statistiques pour la Préfecture. Mais ce n’est pas toujours simple, car un cultivateur ayant sa ferme sur le territoire de la commune vient me déclarer la récolte dune terre qu’il exploite sur le territoire du village voisin. Et l’inverse se produit également pour mon collègue. Mais il y a longtemps que je m’y suis fait et en échangeant nos renseignements, nous arrivons à établir ces statistiques comme elles doivent l’être. ... "Impôts sur le revenu", "Allocation temporaire", "Bâtiments communaux", "Adduction d eau potable", "Fièvre aphteuse"...

— La fameuse "cocotte" doit vous donner bien du travail en ce moment ?

— Non. pas tellement. Quand un cas se déclare dans une ferme, je rédige un arrêté pour éviter que les bestiaux contaminés n’en rencontrent d'autres. Le maire le signe. J'envoie à la Préfecture qui me renvoie l'arrêté approuvé. Le garde champêtre va coller les affiches et quand l’épizootie est passée on lève l’arrêté : c’est tout !

Le plus gros dossier porte l’inscription "Dommages de guerre. Reconstruction".

— Celui-là par contre, me demande bien du travail. Il y a eu plusieurs fermes et maisons sinistrées, dans la commune. C’est moi qui ai dû constituer tous les dossiers des dommages.

— Mais la plus difficile de vos tâches n’est-ce pas l’établissement du budget communal ?

— Non. pas tant que vous le croyez. Le budget, comme le compte administratif, cela s’apprend, c’est le métier! Et puis, la Préfecture nous renseigne parfaitement à ce sujet. Lorsqu’il s’agit d’établir le budget primitif, le maire énumère les dépenses envisagées pour l’année: la toiture de l’église à réparer, l’école à repeindre, un chemin vicinal à remettre en état. Et puis toutes les dépenses courantes. Je fais mes calculs.

— Alors, cela va coûter combien ? demande le maire. Et pour l’équilibre, faudra-t-il voter des centimes en plus ? Si c’est oui, nous étudions ensemble de quelle façon on pourrait bien réduire les dépenses. S’il y a excédent de recettes, il propose une petite dépense supplémentaire. J’établis enfin le projet du budget qu’il soumet au Conseil municipal. C’est bien rare qu’il y ait quelque chose à reprendre ensuite...

Non. le budget ce n’est pas le plus ennuyeux. Cela ne me demanderait même pas beaucoup de temps si je pouvais seulement ne penser qu’à cela pendant quelques jours. Seulement, voilà ! C’est la diversité des tâches qui fait la difficulté de mon métier.

— Oui, je vois. Vous êtes greffier de l’état civil, comptable des finances communales, administrateur, il vous faut veiller à l’exécution des textes législatifs, des circulaires de la Préfecture...

— Ce n’est pas encore tout ! Loin de là !...

Tenez, avez-vous songé au travail que représente la révision des listes électorales ? Je ne parle pas seulement de la révision annuelle des listes pour les élections politiques, mais il y a aussi celles des élections aux Chambres de commerce, aux Chambres d’agriculture, et, ma commune n’étant pas essentiellement agricole, aux Conseils des Prud’hommes. Pour toutes ces listes, il me faut tenir un fichier particulier, avec précisions sur les personnes ayant quitté la commune, car, vous l’ignorez peut-être, mais aucune loi n'oblige les gens qui quittent une commune à faire connaître leur nouvelle adresse. S’ils ne le font pas, il me faut les garder sur les listes de la commune jusqu’à ce qu’une autre mairie me fasse savoir que M. X... a demandé son inscription sur ses listes électorales.

Vous doutez-vous aussi de la complexité des dispositions actuelles en matière d’assistance ? Et tout cela fait encore partie de mon travail. La mairie du village, c’est un peu le bureau de renseignements pour tout ce qui est administratif.

Lorsqu’un fermier estime trop élevés les impôts qui lui sont réclamés. vous pensez peut-être qu’il s’adresse au contrôleur des Contributions ? Eh bien non, il vient d’abord avec sa feuille à la mairie et je le renseigne dans toute la mesure du possible.

Après, il ira se plaindre au contrôleur, à moins que je n’aie estimé que ses impositions sont normales. Car ils m’honorent tous de leur confiance et j’en suis heureux. Mais quel travail!...

— Encore un exemple! Voici quinze jours, un fermier habitant une commune voisine venait d’acheter un champ sur le territoire de celle-ci. Il vient me voir et me demande à consulter le plan cadastral pour se renseigner sur les dimensions exactes de sa nouvelle terre. La semaine suivante, le père Vanlaten, propriétaire d’un champ voisin du premier, arrive, furieux :

— « Pourquoi que vous avez donné, l’autre jour, de faux renseignements à Lambert. Il a labouré hier, fait disparaître la motte qui séparait son champ du mien et mis un fil de fer comme clôture, mais au moins deux mètres plus loin que l’ancienne motte... N'avez qu’à compter, sur un champ qui fait plus de 140 mètres de profondeur, je perds quelque chose comme 300 mètres carrés.

— Calmez-vous, père Vanlaten, lui dis-je. Je n'ai pas pu donner de mauvais renseignements à Lambert qui est venu ici simplement consulter le plan cadastral. C’est sans doute d'après les cotes de ce plan qu'il a déplacé la limite séparant vos deux champs !

— J'sais point, mais ce qui est sûr, c’est que je vais lui faire un procès à ce voleur...

— C’est votre droit ! Mais écoutez-moi. Avant d’intenter une action en justice, assurez-vous au moins que vous êtes bien dans votre droit. Mesurez exactement les dimensions de votre champ et reportez-vous au titre de propriété que vous devez posséder.

— Ah ! le titre ! Il doit être à la maison, dans les papiers. Mais je suis bien sûr qu’il m’a volé, car mon père m’avait bien dit que le champ allait jusqu’à la motte. Et son grand-père à lui, celui qui avait acheté la ferme et les terres le lui avait dit aussi.

Le lendemain, le père Vanlaten vient me revoir, l’air moins assuré. Il me tend des papiers jaunis, ses titres de propriété vieux de quatre-vingts ans, et me demande :

— Les v’là, les titres ! Qu'est-ce que vous en pensez ? Figurez-vous qu’il y était écrit que l’arrière-grand-pere de Vanlaten avait acquis la ferme et les propriétés en dépendant, notamment le champ en question, limité par le chemin vicinal sur une longueur d’ « environ 210 mètres ». Allez donc engager un procès dans ces conditions à un voisin qui vous a repris deux mètres de terre en s'appuyant sur les cotes du cadastre. C'est ce que j'ai dit au bonhomme qui m' a compris, économisant ainsi les frais d’un procès perdu d'avance.

— Vous êtes donc aussi un peu le juge de paix dans votre com mune ?

— N'exagérez pas! Je vous ai cité cet exemple pour vous montrer la diversité des services que les habitants du village attendent de moi. Ils viennent ici pour être renseignés et conseillés et n’admettraient point que je les renvoie en leur disant : "Ce n’est pas mon affaire"...

 

Au village, la mairie, voyez- vous, c’est plus qu’une simple administration. Et le secrétaire de mairie est seul au service de la population.

Dans une ville, c'est différent ! Je connais, pour y avoir travaillé autrefois, l'administration d'une commune de banlieue de 24.000 habitants. Elle emploie 69 employés et employées. Le secrétaire de mairie et son adjoint ont sous leurs ordres 25 employés répartis en trois bureaux eux-mêmes dirigés par un chef spécialisé ou par un technicien : celui des services généraux, des finances et des travaux. Et il s agit là des effectifs minimums d’une ville à faibles ressources. Une commune voisine ayant à peu près le même nombre d’habitants emploie 150 employés et ouvriers. Dans ces villes, le secrétaire de mairie passe le plus clair de son temps à préparer les délibérations à soumettre au Conseil municipal et à faire appliquer les decisions de ce dernier. Ce n’est dailleurs pas une mince besogne. Mais il n'a pas trop à se soucier des multiples tâches dont doit bien s'occuper le secrétaire de mairie de village, qui, comme moi. est seul agent de la commune — avec le cantonnier et le garde champêtre.

Enfin, si vous regardez une très grande ville comme Lille, Roubaix ou Tourcoing, la mairie, c’est la grande administration. Le travail est réparti entre les multiples divisions, elles-mêmes subdivisées en bureaux spécialisés. Là, le chef d'un bureau de la division de l’Assistance peut fort bien ignorer les repercussions de la taxe locale sur le budget communal et celui de l’état civil n’a jamais à se soucier de l'entretien des routes ou de l’organisation des cantines scolaires.

Quant au secrétaire général, c'est un haut-fonctionnaire qui est avant tout, directeur du personnel et doit veiller au fonctionnement harmonieux des multiples services de la ville.

 

Bien sûr, les ressources d’une ville lui permettent de s’attacher le concours d’un important personnel entre les mains duquel le travail est scientifiquement divisé. Mais dans son village d'un bon millier d’âmes. M. B... est à lui tout seul le représentant de l'administration.

— Ne me plaignez pas!... dit-il en riant, d'abord j’aime mon travail et c’est pour moi une grande satisfaction, ma journée terminée, de savoir que j’ai pu rendre de réels services à plusieurs.

Songez qu’il y a encore, dans des villages plus petits que le mien, des secrétaires de mairie qui, dans la journée, sont instituteurs, à moins qu’ils ne s’occupent de deux ou trois villages.

Et, enfin, notre profession a fini par obtenir son statut promulgué par une loi en août dernier. Nos traitements ne dépendent plus de la seule considération qu’éprouvent, pour nous, maire et conseillers. Nous sommes de vrais fonctionnaires.

M. B... trouve encore le temps de faire de l’humour. Comme je prends congé de lui en m’excusant d’avoir ainsi abusé du temps d’un homme aussi occupé, il me lance :

— Mais non, mais non, savez vous que certains de mes collégues trouvent encore le temps de diriger l’harmonie municipale, d'être secrétaires ou présidents de leur section d’anciens combattants. Il y en avait même un qui était lieutenant de sapeurs-pompiers. Mais il est mort, maintenant...

Cela vous étonne!

 

F. DEROUSSEAUX.

 

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