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INTERNET TRANSFORME NOTRE VIE 

 

article de Luciano Floridi, chercheur au Wolfson Collège, Oxford, publié en 1995 :

 

En 1963, Arthur C. Clarke publiait "Tapez F comme Frankenstein" construit autour du scénario suivant: le 31 janvier 1974, le dernier satellite de communication est lancé pour réaliser l'interconnexion complète du système téléphonique international. Le lendemain, tous les téléphones de la Terre se mettent à sonner en même temps: c'est le cri terrifiant d'une super-intelligence artificielle engendrée par le réseau planétaire des 80 milliards de fiches individuelles que contiennent les centraux automatiques mondiaux. Trente ans plus tard, Internet est une réalité bien plus rassurante. Grâce à ce réseau global, des millions de personnes peuvent dialoguer, formant la communauté intellectuelle la plus cultivée que la Terre ait jamais connue - une véritable académie mondiale.

 

Internet est un univers complètement nouveau dont nous ignorons beaucoup de choses. Nous savons ce qu'il est, et que chaque jour on en découvre de nouvelles possibilités d'utilisation. Mais quels seront les effets d'une révolution aussi radicale sur notre manière de traiter l'information? Pour tenter de répondre à cette question, on peut dire que cette synthèse de plusieurs technologies novatrices qu'est Internet stimule le développement du savoir et, en même temps, génère des formes d'ignorance jusqu'ici inconnues. Mais il n'y a là rien d'extraordinaire. L'histoire de la technologie nous montre que dès qu'un changement radical intervient dans notre manière d'aborder la connaissance, certains individus restent à la traîne, sans avoir été initiés, et, qu'en revanche, ceux qui maîtrisent la nouvelle technologie prennent soudain conscience d'autres domaines du savoir qui restent encore à explorer.

 

Le plus impressionnant avec Internet, c'est sa portée: non seulement il a déjà élargi notre conception de l'analphabétisme et produit de nouvelles formes d'isolement et de discrimination culturels, mais il est aussi en train de transformer nos vies. Il construit un village électronique et bouleverse des secteurs entiers d'activités, tels la communication, l'écriture, l'édition, la publicité, la vente, la consommation, les opérations bancaires, l'enseignement. Internet a transformé des citoyens de chair d'une société moderne en "résoyens immatériels d'une communauté cybernétique post-moderne", comme se plaisent à dire d'eux-mêmes des mordus de l'informatique. Du jargon peut-être, mais il n'empêche que les changements sont quasiment tangibles. La publicité se fait désormais à l'échelle internationale et notre intimité a pris une dimension électronique, puisque nos conversations passent par le courrier du même nom. Les bonnes manières se jugent à l'aune de "l'internétiquette" sociale. Les droits civils incluent maintenant la manière dont les informations sur la personne peuvent être produites et stockées dans des bases de données pour être ensuite extraites et utilisées par le biais du réseau. De nouveaux délits sont apparus, de la pornographie électronique aux virus, de la reproduction illégale de logiciels à la manipulation erronée de systèmes électroniques et à l'intrusion illicite dans ces systèmes, du non-respect des droits d'auteur au plagiat électronique.

 

Mais le plus inquiétant peut-être, c'est que le savoir risque de se fragmenter en se décentralisant. Internet s'est développé de façon vertigineuse et chaotique à la fois. Il souffre d'un manque d'organisation globale, d'uniformité et de planification stratégique. Tandis que nous lui confions des pans toujours plus vastes de l'encyclopédie humaine, nous laissons Internet en tant que tel dans un état totalement anarchique: dans quelques décennies, le savoir organisé pourrait bien se perdre dans un labyrinthe de millions de dépôts virtuels, où l'information serait aussi facile à trouver qu'une épingle dans une botte de foin. Je ne prône pas la création d'un bureau international pour gérer Internet, une sorte de "Big Brother" digital. Pas plus que je ne souhaite voir des organismes nationaux prendre le contrôle de notre nouvelle frontière électronique. Mais je suggère qu'Internet soit considéré comme un nouveau pays, avec une population de plus en plus nombreuse, composée de millions de citoyens bien formés. Il n'a pas besoin d'une police des inforoutes, mais plutôt d'une "infostructure", un "système de bibliothèque nationale virtuelle" par exemple. Ceci permettrait de garantir la fiabilité et l'intégrité de l'encyclopédie digitale; d'y accéder de façon permanente et non discriminatoire; de fournir une carte "routière" régulièrement mise à jour aux "voyageurs" de la pensée; d'élargir le nombre des sources disponibles, notamment celles non utilisables commercialement; de soutenir et d'améliorer les méthodes et outils du réseau, pour établir une véritable encyclopédie digitale, dans laquelle l'information serait stockée, trouvée, extraite et maniée.

 

Aujourd'hui nous donnons à l'ensemble du savoir organisé une nouvelle vie électronique et érigeons le patrimoine digital du prochain millénaire. Selon la façon dont nous relèverons le défi, les générations futures nous considéreront comme de nouveaux Pygmâlion ou de vieux Frankenstein.

 

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