La carte perforée remonte à 1725 (utilisation pour la commande de métiers à tisser. On la retrouvera dans les orgues de Barbarie et les pianos mécaniques. C'est à la fin du XIX° siècle qu'on l'utilisera pour facilitér les statistiques et autres recensements. Le XX° siècle verra les débuts de l'ére informatique où les cartes serviront en quelque sorte de "mémoire".

article publié en 1942 :

 

LE CERVEAU MÉCANIQUE

 

Les Bottes de Sept Lieues ?... Le Tapis volant ?... Les exploits de Sindbad ?... Et tant d'autres contes de fées !... Avez-vous songé que toutes ces fables qui ont émerveillé notre enfance ont été dépassées — et de beaucoup — par la technique moderne ? Nos ingénieurs actuels font preuve de bien plus d'imagination que les conteurs du temps passé... Et, eux, ils ne se contentent pas de raconter... Ils réalisent !... Ainsi, cette invention qu'est la Radio est autremént prodigieuse que tous les récits réunis des Mille et Une Nuits. A côté d un ancien élève de l'Ecole Centrale, qu'est-ce aujourd'hui que Shéhérazade ? Une centrale électrique a plus de "potentiel"» magique que tous les antres de sorcellerie des légendes traditionnelles; grâce a elle, nous avons la parole de mille lieues, — le train-éclair, — le feu sans flamme..., et aussi le cerveau d'acier... Car je viens de voir fonctionner une série de machines où l'homme n'intervient qu'à peine, et qui réussissent des opérations méthodiques si intelligentes que seuls les techniciens très exercés y parviendraient, non sans peine, à la main et en y mettant cent fois plus de temps. On a vraiment le sentiment que ces mille rouages silencieux sont non seulement vivants mais extrêmement cultivés ! Ceci demande quelques explications préalables.

 

Un million de réponses

 

On sait qu'un Comité général d'organisation du commerce recense actuellement tous les commerçants de France. Un Questionnaire très complet est envoyé à chacun d'eux. Il doit le emplir très exactement. Et de ces questionnaires le Comité général tire tous les renseignements possibles et imaginables sur la situation économique de la France. Il décidera ensuite — fait capital — de répartition équitable des marchandises et matières premières. Il évitera aussi, plus tard, qu'une région soit encombrée de telle sorte de négoce, alors que le même négoce serait à peu près inexistant dans une autre ville. En un mot, de ces questionnaires sortira l'Economie dirigée du pays. Travail gigantesque, qui n'avait jamais été tenté, et qui n'est comparable à aucun autre. Nous sommes allés le voir, en plein fonctionnement, dans le building du 14, boulevard Poissonnière, où est installé le C. G. O. C., comme on dit maintenant. C'est M. Poitou, chef de la mécanographie, qui nous "pilote"» au milieu de ces fameuses machines.

— Nous estimons qu'un million de questionnaires nous parviendront, me dit-il. Ils nous arrivent actuellement à une cadence de trois mille par jour. Ce qui représente cent cinquante mille renseignements quotidiens à enregistrer.

— Tous les commerçants vous répondent-ils ?

— Au début, un certain nombre, il faut le reconnaître, ont étié hésitants. Ils craignaient sans doute, Dieu sait pourquoi, une inquisition fiscale. Mais nous leur avons donné toutes assurances à ce sujet. Ils ont compris. Ils nous facilitent notre tâche. N'est-ce pas leur intérêt, d'ailleurs ? Ceux qui seront recensés bénéficieront les premiers des répartitions de marchandises. Alors, n'est-ce pas ?...

 

Travail préliminaire

 

Nous suivons pas à pas un questionnaire qui vient d'arriver. Il est d'abord examiné. Est-il incomplet, inexact ? On le renvoie à son expéditeur. Le cas est d'ailleurs assez rare. Mais notre commerçant a bien rempli les diverses demandes. La réponse globale est alors immatriculée et classée selon un système nouveau fort ingénieux. Et ensuite commence le travail de classement mécanographique proprement dit.

 

Un code... en petits trous

 

Une fiche est prise. Elle comporte un grand nombre de colonnes aussi bien horizontales que verticales. Chaque case ainsi délimitée répond à une question précise. Alors, s'aidant du questionnaire, des employées spécialisées, avec une rapidité inouïe percent la fiche de chaque négociant. Il en résulte, en quelques minutes, une"grille" absolument incompréhensible au profane, mais qui, tout à l'heure, sera claire pour le cerveau-machine. Prenons un exemple : la perforation, de la colonne verticale 13, horizontale 9, exprime un établissement employant un seul salarié. La perforation 19-4 voudra dire marchand d'objets de ménage, etc.

 

Les machines entrent en jeu

 

Et c'est alors que les fiches n'appartiennent plus qu'aux machines. Une de celles-ci commence par copier la fiche en autant d'exemplaires qu'il peut être nécessaire, et cela, avec une rapidité folle : près de trois cents à la minute ! La machine fait-elle une erreur ? Elle s'arnête automatiquement, et une lampe s'allume, alertant ainsi un mécanographe. Toutes les fiches sont pêle-mêle. On les place dans une seconde machine, et aussitôt, avec une telle vitesse qu'elles échappent au regard, les voila classées selon l'ordre désiré : numériquement, soit par ordre alphabétique ou selon la ville, le département, la marchandise vendue, etc... Non seulement elles sont classées, mais encore elles sont comptées par catégories. Une autre machine, plus compliquée encore, celle-là même qui mérite le nom de cerveau mécanique, prend chaque série de fiches, et en résume, pour statistiques ou rapports, tous les renseignements dont on a besoin. Veut-on, par exemple, savoir combien d'épiciers dans le 15e arrondissement emploient plus de quatre vendeurs ? Combien d'entre eux ont un capital de 500.000 francs ? Les fiches sont alors soumises à la machine-cerveau. quelques secondes se passent, et les renseignements arrivent, tout imprimés, sur une bande de papier.

 

Le principe

 

Il ne peut être question, certes, d'expliquer ici le mécanisme de machines aussi complexes — qui exigent pour les faire fonctionner des techniciens éprouvés — et qui coûtent plus d'un million. Mais, au moins, peut-on en exposer le principe, qui est extrêmement simple.Nous avons tous connules orgues des chevaux de bois : une feuille cartonnée, percée de trous, laisse passere l'air comprimé nécessaire à la mise en marche des tuyaux acoustiques. A chaque perforation correspond nécessaire un son. C'est appliqué à l'électricité, le même principe qui reste à la base des machines électro-mécaniques : seulement chaque perforation correspond cette fois au jeu d'un électro-aimant. Le courant électrique passe quand les éléments se trouvent trouvent fois au devant jeu d'un un trou de la fiche. il est arrêté quand le carton est intact. Il faut, d'ailleurs, que les fiches soient découpées dans un carton spécial, très bon isolant.

 

Comme nous sommes loin, devant de telles réalisations, des bureaux d'antan, où régnait, avec une sage lenteur, une désespérante routine !

 

Pierre Montloin.