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Tout dort encore au château de Versailles, car le maître dort encore ; tous les volets sont clos et les domestiques assourdissent leurs pas en glissant sous les fenêtres royales pour les besoins du service. C’est unbeau matin d’été pourtant et les oiseaux, depuis longtemps rassasiés de sommeil, chantent et bavardent dans les grands arbres du parc, se glissent dans, le frais abri que leur offrent les rangées de gros buis taillés en cloche et en ressortent ravis, tout trempés de rosée. A ces heures, le jardin en sa magnificence est tout à fait à eux ; pour eux seuls le soleil fait miroiter l’eau des grands bassins carrés qui sont sous le balcon du roi, et reluire ces longues déesses de bronze appuyées sur leurs urnes renversées ; de chauds rayons rougissent les membres blancs de Diane et d’Appollon posés à l’entrée de la futaie, et qui semblent prêts à s’élancer pour la chasse. Heureux l’humble ouvrier qui ratisse dès l'aube en un cadre pareil !

Mais entrons au palais, car un volet vient de claquer à côté de la chambre de Louis XIV ; le valet de chambre qui a couché dans l’antichambre royale se prépare à aller éveiller son maître, car il est plus de huit heures. Doucement les "garçons de chambre" ouvrent les volets, enlèvent la bougie qui a brûlé toute la nuit et les restes de la collation royale.

"— Sire, voilà l’heure", vient dire doucement le premier valet de chambre tandis qu’il a envoyé avertir au gobelet (1) et à la bouche (2) pour qu’on prépare et apporte le déjeuner du roi ; cependant un autre valet de chambre introduit quelques personnes qui ont des fonctions à remplir dans la chambre ou qui ont le droit envié de voir Sa Majesté encore au lit.

Et la cérémonie du lever commence ; cérémonie réglée de point en point par la plus minutieuse étiquette et dont rirait notre protocole démocratique. Nous n’en suivrons que les principaux actes :

Voici le premier valet de chambre qui s’approche du lit, tenant un flacon et une assiette en vermeil. Il verse de l’esprit-de-vin sur les mains de Sa Majesté ; et c’est la principale ablution que fera le roi : Louis XIV ménageait l’eau, et chacun sait qu’il ne prit qu’un bain dans toute sa vie. ,

Le grand chambellan à son tour vient présenter au roi le bénitier ; Sa Majesté prend çle l'eau bénite et fait le signe de la croix ; et tout aussitôt le barbier qui a la charge de ses perruques s’approche, perruques en main, pour demander laquelle il portera pendant le jour. Louis XIV choisit, gravement, une très longue, une courte ou une moyenne suivant l’emploi du temps qu’il s’est préparé et qui comporte ou non des exercices violents (la chasse), des représentations solennelles ou du travail avec ses ministres.

Lorsque le roi a chaussé ses mules, endossé sa robe de chambre, il vient s’asseoir sur un fauteuil placé hors de la balustre dorée qui sépare son lit du reste de la chambre.

Jusqu’ici les familiers seuls, enfants de France, princes et princesses du sang ont pu pénétrer chez le roi ; leur nombre, joint à celui du médecin, du chirurgien, du tailleur, du barbier, et du premier gentilhomme de la chambre, des valets de toutes sortes, était déjà assez joli ; c’était peu pour un souverain qui désirait occuper de sa personne toute la noblesse et lui enlever ainsi l’idée de s’ingérer dans les affaires de l’Etat et de faire échec à son gouvernement ; mais lorsque le premier gentilhomme de la chambre a remis à un valet de garde-robe le bonnet de nuit qui recouvrait la tête de Sa Majesté, lorsque l’un des barbiers a peigné le roi tandis que le premier valet de chambre tenait un miroir devant son visage, l’ordre est donné d’introduire la première entrée ; elle se compose de ceux qui ont une charge auprès du roi, tel que de présenter les chaussons ou les bas, ou de passer la jarretière. Et c’eût été, en vérité, une opération très longue et très confuse que l’habillement de Louis XIV, si chaque mouvement n’avait été à l’avance rigoureusement et méthodiquement réglé.

Le roi voit donc entrer "les officiers de la garde-robe" et les huissiers de sa chambre qui nomment au premier gentilhomme de la chambre les grands personnages qui attendent patiemment dans l’antichambre : cardinaux, ambassadeurs, ducs et pairs, maréchaux de France, gouverneurs ; parmi eux certains ont des "brevets d’entrée", distinction très rare. Le "premier gentilhomme" dit les noms à l’oreille du roi et d’un signe, celui-ci donne l’ordre d’introduire. Nous passons l’énumération complète et fastidieuse de tous ceux qui sont ravis de se serrer à s’étouffer suivant l’indication de l’huissier, très près du grand monarque. Avec sérieux ils assistent à la toilette royale que nous pouvons diviser en un certain nombre d’actes : le premier consisterait dans la présentation des chaussons, du haut-de-chausses et des bas de soie, des jarretières à boucles de diamants, enfin dans l’introduction des souliers ornés aussi de boucles de diamants.

Les rôles principaux au second acte seraient tenus par deux barbiers qui se présentent tous les jours, l’un pour tenir le bassin, l’autre pour raser le roi et le laver ensuite à l’esprit-de-vin, puis à l’eau pure. Pendant ce temps un valet de chambre lève un miroir devant le roi.

Mais Sa Majesté veut son déjeuner ; et souvent, pour sa santé, elle demande d’abord un bouillon, toujours préparé dans les cuisines, ou une tasse de sauge, que lui apporte le chef du gobelet, et que le roi sucrera avec du sucre candi pris dans une soucoupe d’or Après cela, Louis XIV déjeune solidement dès le matin avec de la viande froide ou du poulet.

Après cet intermède, voici l’acte de la chemise, dont les détails sont minutieusement réglés. Un valet de garde-robe apporte le vêtement parfois chauffé, recouvert d’un taffetas blanc ; le grand chambellan ou le grand maître de la garde-robe le prend de ses mains pour le donner à Mgr le Dauphin qui aura l’honneur, le plus grand, le plus haut coté, de ces sortes d’honneur, de le présenter au roi. Si, par extraordinaire, monseigneur est absent, c’est le duc de Bourgogne, le duc de Berry ou Mgr le duc d’Orléans, frère du roi, qui le remplace ; et pendant que se fait la substitution de la chemise de jour à la chemise de nuit, deux valets de chambre tiennent en l’air la robe de chambre que le roi vient de quitter, pour le cacher. Bien que la toilette fût publique, les convenances étaient parfaitement gardées.

Nous ne suivrons pas, par le menu, l’acte où Louis XIV revêt l’épée, la veste et le cordon bleu, ce large cordon bleu en écharpe que nous voyons sur tous ses portraits, auquel sont suspendues la croix du Saint-Esprit et celle de l’ordre de Saint-Louis. Mais nous ne pouvons passer absolument sous silence celui des cravates qu’on apportait à choisir dans une corbeille avec les rubans qui les accompagnaient, ni celui des mouchoirs de trois sortes de dentelle préentés sur une soucoupe de vermeil.

Le maître de la garde-robe apporte au roi son chapeau, ses gants, sa canne ; l’horloger vient remonter la montre de Louis XIV ; celui-ci se dirige alors vers la ruelle de son lit, se met à genoux sur deux coussins placés devant son fauteuil, prie Dieu dévotement et quitte la pièce lorsque l’aumônier a prononcé à voix basse une prière latine.

Louis XIV traverse son antichambre pleine de gens qui attendent un regard de lui, qui peut-être sera suivi d’une faveur ; parfois il fait signe à l’un ou à l’autre de s’approcher, dit quelques mots, tandis qu’il se dirige vers la chapelle où chaque matin il assiste à la messe, ayant derrière lui le flot des courtisans qui sont, pour la plupart, dévots par calcul, comme toutes les dames de la cour.

A ce propos, Saint-Simon raconte comment Brissac, voulant jouer un tour aux belles statues de la prière que Louis XIV trouvait agenouillées et abîmées dans de pieuses contemplations lorsqu’il arrivait aux vêpres, donna un soir aux gardes l’ordre de faire volte-face, le roi ne devant pas, disait-il, venir à l’office ; en même temps que les gardes, par une autre porte s’en allèrent aussitôt les "jolies piteuses" et, elles disparues, Brissac eut la joie de rappeler les Suisses déjà parvenus à l’extrémité du couloir. Louis XIV rit beaucoup lorsque, s’informant de la raison pour laquelle la chapelle était vide, Brissac lui eut conté l’épreuve qu’il avait tentée.

Au sortir de la messe, Louis XIV va travailler avec ses ministres, jusqu’à une heure, heure de son dîner. Le roi est toujours seul à table ; mais quel monde attentif et respectueux s’agite autour de lui ! Cinq gentilhommes en permanence sont debout derrière lui ; s’il demande à boire, trois d’entre eux se mettent en mouvement pour le servir; verser le vin, le goûter, tenir la coupe sont des fonctions que l’on sépare.

Le roi a grand appétit et la viande rôtie ou servie avec des sauces compliquées entre beaucoup dans son alimentation ; les jours de diète, il mange encore le blanc de trois poulets. Les pièces de gibier se succèdent et les pâtés de petits oiseaux, ortolans, mauviettes, très appréciés alors. Chaque plat est apporté de la bouche (c’est-à-dire des cuisines qui sont loin de sa chambre) soigneusement couvert dans de la vaisselle d’argent, par un gentilhomme précédé d’un huissier et d’un maître d’hôtel, escorté de trois gardes du corps, carabine à l’épaule. Cependant lë roi mange sa viande avec ses doigts et son couteau ; si la cuillère est indispensable, il juge que la mode nouvelle de la fourchette est une affectation de délicatesse, et il blâme le Dauphin de la suivre.

Le dimanche, Louis XIV dîne au "grand couvert", c’est-à-dire en cérémonie dans la grande salle à manger. Nous n’en finirions pas si nous décrivions le détail de l’étiquette tout au long du repas, elle est extrêmement compliquée. La "nef", sorte de coffret en orfèvrerie contenant, entre des sachets de senteur, les serviettes à l'usage du roi, est apportée sur la table par un véritable cortège. Lorsque les officiers du palais passent devant, ils font le salut. Chaque plat est "essayé" par les gentilshommes servant et les officiers de bouche. Sa Majesté est ainsi, croit-on, préservée d’un empoisonnement. Une trentaine de personnes sont occupés autour de la table royale parmi lesquelles seize gardes en armes et un aumônier. Les jours de "grand couvert", le public est admis à venir assister au repas de Sa Majesté, il voit la noblesse de France employée au service de son souverain comme des domestiques; le frère du roi, qui lui présente sa serviette, le prince de Condé qui est chef des services de "la bouche" et le peuple emporte l’idée que le monarque est d’une autre essence que les autres hommes.

Pendant que dîne le roi, la reine, mange seule de son côté, dans sa salle à manger et les femmes les plus titrées remplissent auprès d’elle, silencieusement, les mêmes fonctions que les seigneurs auprès de Louis XIV. Elles ne parlent que pour répondre à un mot souvent très banal de leur souveraine.

Après le repas, le roi va se promener dans le parc suivi du flot de ses courtisans, tête nue, jusqu’au moment où il leur a dit : "Le chapeau, messieurs" ce qui équivaut à : "Messieurs, couvrez-vous." Le plus souvent il va à la chasse ou à Marly, sa "maison de campagne" favorite. Il emmène les princesses et quelqu’une de leurs femmes dans son large carrosse, et emporte de plantureuses provisisions. Très galant ordinairement, le roi ne pousse cependant pas la complaisance jusqu’à relever les glaces si l’une des voyageuses a froid, car il aime l’air à la folie.

A Versailles, après avoir été travailler dans son bureau jusqu’à six heures, après avoir dîné, le roi "tient grand appartement" dans l’immense galerie des Glaces. Là des tables de jeu sont installées où l’on perd quelquefois tant, que Sa Majesté est obligée d’y mettre le holà; ou bien on donne un grand spectacle, on joue une comédie de Molière, on représente un ballet avec les plus riches costumes ; ou bien enfin, on danse, et l’on ne voit point là des couples sautillant ou glissant comme à notre époque, mais,entourés curieusement et enviés, deux ou quatre seigneurs el grandes dames, après de nombreuses et laborieuses répétitions, exécutent les pas savants de la courante ou du menuet, aussi émus que s’ils tenaient un rôle dans une tragédie. Rien d’aussi somptueux et d’aussi éclatant que ces fêtes splendides : "De la voûte sculptée, ornée des peintures de Lebrun, où gambadent des "Amours folâtres" descendent, par des guirlandes de fleurs et de feuillages, les lustres flamboyants que répètent et multiplient les glaces qui revêtent toute une muraille de la galerie ; la lumière rejaillit à flots sur les dorures, sur les diamants, sur les têtes spirituelles, et gaies, sur les fins corsages, les robes enguirlandées, brodées de soie et chatoyantes : "Etagées sur les banquettes ou rangées en cercles, les dames forment un riche espalier couvert de perles, d’or et d’argent, de pierreries, de paillons, de fleurs ;" c’est un gigantesque bouquet vivant, sur lequel l’œil du roi se pose avec satisfaction.

Mais le maître est las. Il se dirige vers sa chambre escorté de ceux qui ont le droit d’assister à la première partie de la toilette du soir, au grand coucher ; puis, ceux-ci s’étant retirés, restent seuls les officiers ou seigneurs favorisés du petit coucher; à ces deux actes, tout est réglé comme pour le lever. Enfin, les garçons de la chambre allument le mortier, dans un coin de la chambre, et une bougie, et vont se coucher près des coffres de la chambre, sur un lit improvisé. Le roi, ayant auprès de lui une collation de nuit, composée de trois pains et deux bouteilles de vin, reste enfin seul pour dormir.

 

(1) Service de la vaisselle royale.

(2) Service des cuisines.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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