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TROIS INVASIONS

 

article de Roger Céré publié en 1945 : 

 

Trois fois la France a été envahie par les armées allemandes. En 1870, après les désastres d’une première guerre-éclair dont le gouvernement impérial porte incontestablement la responsabilité, en 1914, puis en 1940. Deux fois en un quart de siècle la même génération française a dû faire la même guerre, qui lui a été imposée par deux agressions allemandes. Trois fois le même ennemi a franchi notre frontière et a occupé notre territoire; trois fois notre pays a subi, de ce fait, de tragiques épreuves. Il les a surmontées, mais les sacrifices qu’il a faits ont servi, au delà de sa propre cause, celle du monde.

 

C’est un lourd fardeau que nous avons dû porter après 1871. Une occupation de trois années, avec toutes les charges qu’elle entraînait et les sentiments qu’elle développait, une indemnité à payer, avec toutes les incidences que ce règlement devait comporter, enfin une perte considérable de notre substance nationale, telles sont les trois dures conditions auxquelles il nous a fallu nous soumettre sans discussion. A ces charges du moment, que la France a pu supporter grâce à sa richesse acquise par des siècles de travail, sont venues s’en ajouter d’autres qui se sont accumulées sans cesse : nous avons dû nous engager dans la voie que nous imposait notre puissant adversaire, celle des armements. Notre région du Nord-Est est devenue une véritable marche-frontière couverte de garnisons et de forteresses où a régné, de 1873 à 1914, cette inquiétude constante que des crises périodiques renouvelaient. Et pendant cette histoire de notre pays qui va du traité de Francfort au 2 août 1914 la trame de toute notre vie politique est un sentiment national issu de la défaite, fait d’humiliation et de rancune, qui a envahi la conscience française.

 

 

 

1870-1871. Zone de guerre (grisé clair) ; régions occupées, 1871-1873 (grisé joncé).

 

 

 

On l’a bien vu en 1914. L’agression allemande, minutieusement préparée, échoua toutefois devant l’intrépidité de nos troupes et le génie de certains de nos chefs. Mais il fallut quatre années de guerre pour venir à bout de l’Allemagne. Quatre années pendant lesquelles la France n’a marchandé ni ses hommes ni ses ressources. Avec une générosité sans pareille, elle a tout donné. Tout le monde connaît ce bilan impressionnant de nos pertes, comme celui de nos ruines. Il eût fallu de bien longues années pour que la France rétablisse son équilibre.

 

 

 

1914-1918. Régions dévastées (grisé joncé).

 

 

 

Mais un destin tragique nous était réservé, et sur nous allait s’abattre la troisième des plus terribles épreuves qu’un peuple puisse traverser. Et cette fois c’est l’ensemble du territoire national qui allait être envahi et la population entière livrée à un vainqueur insatiable. Tragiquement troublé au point de vue moral par le contact avec un ennemi perfide, systématiquement épuisé, vidé, notre pays paraissait devoir perdre même son âme. Quel pays eût été capable de supporter cette succession de saignées, puis de crises physiques et morales tout en gardant intactes sa cohésion et sa foi ?

La France a pu trouver assez de ressources en son long passé pour donner ce spectacle au monde, à qui nous devons dire ce que ces trois invasions successives représentent. La première a été le point de départ de l’hégémonie allemande. Elle a consacré une rupture d’équilibre dont les conséquences ont été les deux guerres mondiales.

C’est au milieu d’une Europe hostile ou indifférente pourtant que la guerre de 1870 s’est déroulée. La France battue, l’influence que notre pays exerçait sur la politique européenne disparaissait et l’Europe se livrait à d’autres maîtres. La crainte de notre trop grande puissance, inspirée par une politique facile, a caché le véritable danger que la Prusse allait faire courir au monde.

Mais la France était, à dater de cette époque, le champ de bataille où devaient s’aborder la force et le droit. C’est ainsi que la première guerre mondiale s’est déroulée sur notre sol, et c’est sur notre sol que les Alliés sont venus écraser l’ennemi commun. Mais, une fois la victoire remportée, la France est restée seule. Notre isolement nous laissait en Europe une tâche écrasante. Nous avons voulu la mener à bien, mais elle dépassait nos forces et il nous a fallu, une fois de plus, livrer notre pays à la bataille commune. Pendant quatre ans il a été souillé, puis ruiné par les combats.

 

 

1940-1944. La partie gris joncé a été occupée continuellement ; la partie claire l’a été depuis le 11 novembre 1942.

 

 

 

Regardez les trois cartes ; si la première peut laisser indifférents des juges insensibles, les deux suivantes sont celles où le destin du monde s’est joué. Nous ne regretterons jamais nos sacrifices. Mais il faut qu’on les reconnaisse et qu’on entende notre voix. Il n’est plus possible que nous portions seuls cette responsabilité géographique de notre position continentale qui pourrait faire de notre pays une région morte. On ne peut trouver sur la carte du monde pareils champs de destructions qu’à l’autre bout de l’Europe, dans cette zone qui va de la Baltique à la mer Noire.

 

Le monde peut-il exiger de nous que nous fassions encore un dernier sacrifice qui nous coûterait la vie, ou veut-il que nous apportions, suivant le destin qui paraît être le nôtre, toute notre ardeur aux œuvres de paix, avec notre intelligence et notre génie ? Et cela dans un cadre fini, car nous n’avons pas d’ambition dominatrice hors du territoire national, un des premiers formés en un Etat cohérent, mais d’où doivent disparaître les champs de bataille qu’une terrible fatalité a placés sur le sol de notre patrie.

 

 

 

 

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