article publié en 1997 :

 

Il est un lieu commun qui intervient presque inévitablement lorsqu'une discussion s'engage autour des théories scientifiques douteuses. Ce lieu commun, autrement cette figure de style, soutient que celui qui a tort contre l'autorité pourrait être en fin de compte dans le juste. Comme Galilée, symbole de la justesse contre le dogme.

 

Il semble que la plupart des controverses tentent de s'inscrire dans une tradition polémique par rapport à laquelle elles pourraient être spontanément identifiées. Pour assurer la valeur d'un argument discutable, d'aucuns font référence par exemple à une fâcheuse décision politique — à l'image de cet appel récemment remis au goût du jour: "Faisons en sorte que dans cinquante ans, nous n'ayons pas à regretter nos actes".

Les protagonistes d'une controverse choisissent donc dans l'histoire un "moment" jugé particulièrement représentatif. En science, un de ces événements est le procès de Galilée, au printemps 1633. Ainsi, un grand nombre de ceux qui soutiennent un discours entrant frontalement en conflit avec une autorité institutionnelle font, tôt ou tard, référence à ce qu'ils appellent "la persécution de Galilée".

Formellement, "l'appel à Galilée" — autrement dit cette référence directe à l'événement de l'histoire des sciences que représente la condamnation des écrits du savant — a la structure d'un "précédent". Celui qui argumente par un précédent établit tout simplement un parallèle entre une situation antérieure et la controverse présente.

Le modèle de référence n'est toutefois pas toujours exposé comme exemple positif, mais aussi comme contre-exemple. Le procès de Galilée fait précisément office d'antimodèle et vise à désigner d'une façon immédiate et irrémédiable les rôles du juste (Galilée) et de l'imposteur (l'Inquisition).

En plus d'assurer implicitement la validité de la théorie discutée, l'argumentation basée sur l'appel à Galilée permet deux dénouements différents.

Soit l'interlocuteur est instamment prié de réserver ses jugements. Cette invitation à la modération soutient simplement que "l'avenir tranchera" — comme le temps a donné raison aux propos de Galilée. Soit l'interlocuteur est directement prié de changer d'opinion. Plus émotionnel que le précité, ce dénouement joue sur le fait que personne ne tient à être comparé à un juge de l'Inquisition — que le bon sens présente toujours comme doctrinaire, intellectuellement frileux et vaniteux.

Dans les deux cas, l'appel à Galilée propose un "différé temporel de la preuve", 1'ins-cription dans le présent de la controverse étant supposée nuire à la discussion.

De plus, et ce de façon absolument fondamentale, l'appel à Galilée permet de déplacer la polémique du contenu vers une interprétation globale de la situation.

Faire référence au procès de Galilée est un moyen décisif pour faire oublier les enjeux d'une controverse — à savoir la valeur, l'intérêt et la validité des arguments soutenus.

L'appel à Galilée n'est en fait qu'un cas particulier d'une figure rhétorique définissant deux temps et différents acteurs. Le premier temps renvoie à toute occasion où, dansl'histoire des sciences, une théorie n'a rencontré qu'incrédulité lors de ses premières formulations mais qui s'est révélée, par la suite, fondée. Le deuxième temps est fixé par la situation actuelle où une théorie revendiquant un statut scientifique se le voit refuser par la "science officielle".

Un tel cadre argumentatif, en tant que stratégie, est capital en science. En effet, parce qu'il attribue des rôles et des camps (le penseur incompris, le dogmatique aveugle), il impose une lecture de la controverse qui n'a en fin de compte que peu de rapports avec la valeur des hypothèses.

L'appel à Galilée, en bref, joue sur la peur du ridicule. Le risque d'être identifié aux inquisiteurs, aux scientifiques obtus, aux ennemis de la modernité, incite efficacement à la réserve.