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Georges Duhamel a le goût des âmes. Il éprouve pour elles amour et pitié. Durant la guerre de 1914, il fut médecin aux armées.

Cette Ballade de Florentin Prunier, est extraite des Elégies (1920). Vous serez sensible à la sobriété de ce poème, au son profondément humain qu’il rend au milieu de la guerre inhumaine et à sa gentillesse toute française. (journal Tintin – 1951)

 

BALLADE DE FLORENTIN PRUNIER

 

Il a résisté pendant vingt longs jours

Et sa mère était à côté de lui.

Il a résisté Florentin Prunier,

Car sa mère ne veut pas qu’il meure.

Dès qu’elle a connu qu’il était blessé,

Elle est venue, du fond de la vieille province.

Elle a traversé le pays tonnant

Où l’immense armée grouille dans la boue.

Son visage est dur sous la coiffe raide :

Elle n’a peur de rien ni de personne.
Elle emporte un panier avec douze pommes,

Et du beurre frais dans un petit pot.

 

Toute la journée elle reste assise,

Près de la couchette ou meurt Florentin.

Elle arrive à l’heure où l’on fait du feu

Et reste jusqu’à l’heure où Florentin délire.

Elle sort un peu quand on dit  « Sortez ! »

Et qu’on va panser la pauvre poitrine.  

Elle resterait s’il fallait rester :

Elle est femme à voir la plaie de son fils.

Ne lui faut-il pas entendre les cris,

Pendant qu’elle attend, les souliers dans l’eau ?

Elle est près du lit comme un chien de garde,

On ne la voit plus manger ni boire.

Florentin non plus ne sait plus manger :

Le beurre a jaunit dans son petit pot.

Ses mains tourmentées comme des racines

Etreignent la main maigre de son fils.

Elle contemple avec obstination

Le visage blanc où la sueur ruisselle.
Elle voit le cou, tout tendu de cordes,

Où l’air en passant, fait un bruit mouillé.

Elle voit tout ça, de son œil ardent

Sec et dur comme la cassure d’un silex

Elle regarde et ne se plaint jamais :

C’est sa façon, comme ça, d’être mère.

Il dit : « Voilà la toux qui prend mes forces. »

Elle répond : « Tu sais que je suis là ! »

Il dit : « J’ai idée que je vas passer. »

Mais elle : « Non ! Je ne veux pas mon garçon ! »

 

Il a résisté pendant vingt longs jours,

Et sa mère était à côté de lui,

Comme un vieux nageur qui va dans la mer

En soutenant sur l’eau son faible enfant.
Or, un matin, comme elle était bien lasse

De ses vingt nuits passées on ne sait où,

Elle a laissé aller un peu sa tête,

Elle a dormi un tout petit moment ;

Et Florentin est mort bien vite

Et sans bruit, pour ne pas la réveiller.

 

Georges Duhamel (1884 - 1966)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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