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article de Jean-Philippe Bauermeister publié en 1997 :
A la fin de 1941, les nazis ouvrirent un camp deconcentration à Terezin, petite ville de garnison, située à quelque soixante kilomètres au nord de Prague. Le choix du lieu fut dicté par le fait que cette ville dispose d'énormes remparts, lesquels rendraient toute évasion problématique.
Au début des années quarante, la ville de Theresienstadt qui comptait alors 4000 habitants fut rapidement évacuée et l'on y entassa 60.000 Juifs, arrachés à Prague d'abord, ensuite à la Tchécoslovaquie, puis aux quatre coins de l'Europe. On peut imaginer sans peine les conditions de vie effroyables de ces malheureux, condamnés à une existence où la promiscuité, le manque d'hygiène et de soins et l'absence de chauffage le disputait à la terreur, à la violence et à une nourriture déficiente. Terezin devient alors, dans la démente politique de la "solution finale" un camp de transit où quelque 140.000 personnes passèrent avant d'être conduites dans les sinistres camps de la mort et plus particulièrement Auschwitz.
En tant que camp de transit, Terezin avait un statut un peu particulier ; les prisonniers pouvaient se rencontrer et parler entre eux et s'ils étaient soumis aux corvées, ils n'étaient cependant pas astreints à des travaux exténuants. Dans ces conditions, un miracle s'accomplit: malgré les conditions dramatiques de survie, les Juifs ainsi maltraités trouvèrent la force et l'énergie de conserver leur dignité d'homme en cultivant la musique, créant même des opéras, formant des chœurs, un orchestre, des formations de chambre, donnant des récitals, des spectacles de cabaret et même du jazz. Paradoxalement, alors que les nazis avaient interdit toute musique juive dans le IIIe Reich, on joua à Terezin Mendelssohn, Krasa, Haas, Ullman, Klein et bien d'autres.
Sinistre vitrine
Les nazis, pour qui la survie du peuple juif était une question de temps, ne se préoccupèrent guère de ce qui se passait à Terezin, sachant que les chambres à gaz tournaient à plein régime. Même mieux, ils firent de ce camp une vitrine pour le monde extérieur, tendant à prouver avec un cynisme incroyable que les Juifs y étaient bien traités et qu'ils pouvaient y exercer leur culture et leurs traditions. Le comble est qu'il a bien existé une culture propre à Terezin et que des musiciens ont non seulement pu y pratiquer leur art, mais ils ont pu écrire de la musique. Il faut s'imaginer le tour de force accompli, alors qu'on manque de tout et surtout du nécessaire, pour trouver un piano, des instruments à cordes et à vent, monter un orchestre, donner des concerts, faire des répétitions, rassembler un auditoire, monter des décors, tout cela dans un environnement où la terreur, la promiscuité, les coups et la misère régnent en maître... Et certains trouvèrent encore l'énergie d'écrire de la musique employant n'importe quel matériel: dos de formulaires, vieux cartons, vieux papiers et vieux chiffons...: Pavel Hass, Gideon Klein, Hans Krasa, Viktor Ullmann, Karel Berman, Peter Deutsch, Robert Dauber, Frantisek Domzlicky, Viktor Kohn, Egon Ledec, Karel Reiner, Martin Roman, Zikmund Schul, Carlo Taube, Ilse Weber entre autres. Il a encore fallu compter après la guerre sur une certaine désinformation pratiquée par les communistes, qui ont passé sous silence une partie du calvaire des Juifs et par conséquent le phénomène particulier de Terezin. Aujourd'hui encore, la plupart des compositeurs juifs morts à Terezin ou à Auschwitz n'ont même pas l'honneur de figurer dans un dictionnaire aussi complet soit-il. Il aura encore fallu le courage exceptionnel des quelques rares rescapés, comme Karel Berman, qui ont réussi à conserver les précieux manuscrits — hélas pas tous — écrits à Terezin, pour que le témoignage de ce qui fut sans doute un acte de résistance à la limite de la condition humaine nous parvienne.
Dans les camps de concentration, la cruauté des nazis était sans limite. Pour accompagner des prisonniers à la mort, ils n'hésitaient pas à rassembler un orchestre...
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La musique avant tout !
Pour le profane, il devrait apparaître que cette musique reflète l'effroyable climat du camp et sa sinistre fatalité. Or il n'en est rien. Que l'on écoute Gideon Klein ou Hans Krasa entre autres, et l'on constate que les compositions de Theresienstadt sont avant tout de la musique, avec ce qu'elle traduit de sentiments humains, aussi bien la joie, la tristesse, la nostalgie, la foi que la confiance. Par contre et c'est là encore un paradoxe, la judaïté s'affirme clairement, tout particulièrement dans l'œuvre de Viktor Ullmann, qui n'hésite pas à écrire des chants juifs et parsème sa musique de citations mélodiques juives.
Gideon Klein (1919 à Přerov) était un espoir de la musique tchèque. Son écriture, supérieurement habile donne des gages aussi bien à la seconde école viennoise qu'à Janaceket Bartok. Sa belle Sonate pour piano, écrite à Terezin, est un témoignage captivant d'une musique personnelle, expressive et parfaitement organisée. Après un premier mouvement agité, basé sur un thème de quartes traité dans l'esprit de Berg, un second mouvement d'une extraordinaire densité poétique fait sonner le piano dans une langue encore plus personnelle et plus profonde. Le tout se termine sur une sorte de rondo vif et amusé, éloigné de toute pesanteur. Seules quelques mesures acres et dissonantes rappellent la réalité. On doit à Gideon Klein d'autres ouvrages: un trio à cordes, un quatuor, une Fantaisie et fugue pour quatuor à cordes, des Madrigaux et des œuvres pour chœur.
Pavel Haas, né en 1899 à Brno, appartient à l'élite des compositeurs tchèques. Il suffît d'écouter ses admirables quatuors à cordes pour s'en convaincre. Utilisant des moyens musicaux modernes, en partie hérité de Janacek dont il fut l'élève, il laisse une œuvre abondante, avec un opéra: "Le Charlatan", dont il écrivit lui-même le livret et qui obtint un succès retentissant lors de sa première à Brno en 1937. Plus d'une centaine d'oeuvres figurent à son catalogue, dont les merveilleux poèmes chinois, écrits à Terezin, où le musicien exprime son espoir d'un retour au foyer. Son Etude pour cordes vaut à elle seule le détour. Ecrite elle aussi à Terezin, elle compte parmi les fleurons de la littérature musicale tchèque et c'est un des rares morceaux du compositeur à être joué, heureusement de plus en plus fréquemment.
article de Jean-Philippe Bauermeister publié en 1997
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en complément : Peintures et sculptures de déportés
D'aucuns ont composé et joué de la musique dans les camps de déportation et de la mort. Janusz Korczak a accompagné au bout de la vie à Treblinka (Pologne) "ses" enfants, les orphelins dont il avait la responsabilité. D'autres ont réalisé une œuvre picturale.
C'est le cas du prêtre-résistant Jean Daligault, arrêté en août 1941, abattu d'une balle dans la nuque à Dachau où il a été amené la veille de la libération du camp par les Américains. Jean Daligault a été successivement emprisonné en France, puis en Allemagne. C'est à Trêves qu'il a réalisé la majeure partie de son œuvre, retrouvée par miracle après un bombardement allié dans les décombres de la maison de l'aumônier de la prison de cette ville allemande, où la collection était déposée. Pour survivre mentalement, dans sa dignité d'homme — un peu comme Joseph Czapski discourant de Proust dans le camp —, l'abbé Daligault a utilisé tous les moyens à sa disposition, c'est-à-dire peu de choses: un bout de planche de sa couche, des pieds de tabourets ou des morceaux de papier journal, des couleurs grattées sur les murs de sa cellule. Pour dessiner, sculpter, peindre.
Le Musée de larésistance et de la déportation de Besançon, sur les hauteurs de la Citadelle, est désormais dépositaire de l'œuvre de Jean Daligault. Comme il l'est de celle de Léon Delarbre et d'autres témoignages qui lui sont remis au fil des ans par les derniers survivants de l'univers concentrationnaire nazi et de la période la plus horrible de notre siècle.
article publié en 1997
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