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En 1793, le problème du ravitaillement fut l’un des plus graves qu’eurent à résoudre les hommes de la Révolution française. La situation était terrible. Le long dos frontières, les armées de l’Europe cernaient la France, tandis que les flottes anglaise, hollandaise, espagnole, et napolitaine faisaient le blocus de ses ports, coupaient ses relations avec les colonies. "La République, s’écriait Barère, n'est plus qu'une grande ville assiégée !" Il fallait tenir coûte que coûte, jusqu’à ce que les armées da la République eussent desserré l’étreinte ennemie. On décréta le droit de réquisition, pour pourvoir aux besoins de l’armée. On vota la "Loi du maximum", qui obligeait les marchands, sous peine de mort, à vendre leurs marchandises à prix fixe. Et l’on prit un certain nombre de dispositions pour assurer le ravitaillement équitable de la population.

 

Le "pain de l'égalité".

 

De bonne heure, par mesure d’économie, de nombreuses municipalités avaient interdit la fabrication du pain de luxe. Toutes les farines étaient mélangées, et l’on ne cuisait plus qu’un pain unique : le "pain de l'égalité". Brioches, petits pains, pâtisseries avaient disparu des éventaires. Des pâtissiers s’ingénièrent à tourner la difficulté. À Alençon, le boulanger Gautier trouva le premier ersatz : il mêla de la fécule de pommes de terre à de la farine ; ses gâteaux furent trouvés excellents. Il fut félicité par le maire et invité à faire connaître sa recolte à ses confrères.

Mais ces palliatifs se révélèrent bientôt insuffisants. Au mois d’août, la section parisienne du Gros-Caillou institua une carte de pain. Le système ayant fonctionné à la satisfaction générale, la Commune de Paris l’étendit à la population parisienne tout entière. Les consommateurs furent classés par catégories ; on attribua "une livre de pain par jour aux femmes et aux enfants, une livre et demie aux ouvriers non de force. Il n’y aura qu’aux ouvriers de force auxquels on en donnera deux livres". Ces derniers, de nos jours, seraient rangés dans la catégorie T. Des peines furent prévues : "Quiconque, avait décidé la municipalité de Besançon, sera reconnu qui aura déclaré dans sa famille plus d’individus qu’il n’en existe ou un âge plus avancé pour ses enfants, sera condamné à une amende de 100 livres ; il sera écrit sur sa porte affameur du peuple."

 

La chasse aux contrevenants.

 

Les boulangers qui vendent sans exiger des coupons de leur pratique, sont également poursuivis, ainsi qu’en témoigne cet extrait, daté du 30 nivôse, du registre des délibérations de la section de l’Observatoire de Paris :

"Est comparu au Comité le citoyen Sutteau, boulanger, qui nous a déclaré et reconnu que sa femme avait vendu 8 pains de quatre livres à trois femmes non munies de cartes. Lecture faite, a dit contenir vérité et a signé, en nous observant qu’il a toujours défendu à sa femme de vendre sans carte, et que sa femme ne l’avait fait que sur les sollicitations d’une citoyenne de la section dont il ignore le nom. Le Comité ayant égard pour cette première fois au délit commis par son épouse arrête que le citoyen Sutteau surveillera avec plus d’exactitude la vente de son pain, qu’il remboursera le prix des huit pains aux citoyennes à qui ils ont été vendus et que les huit pains seront confisqués pour être distribués aux pauvres de la section".

Le résultat de toutes les mesures de ce genre fut que, jusqu’à la fin de la crise, la population de la France ne manqua pratiquement pas de pain.

 

 

Le "Carême civique"

 

Dans le courant de cette môme année 1793, de vives nquiétudes se manifestèrent au sujet de la viande, dont on craignait une pénurie. Vergniaud lance l’idée des jours sans viande. Mais dans la phraséologie révolutionnaire, cette initiative est baptisée le "carême civique " :

"Ne serait-il pas nécessaire, demande- t-il, d’arrêter pendant un temps déterminé la consommation des veaux ? La religion avait ordonné un carême pour honorer la divinité... Pourquoi la politique n’userait-elle pas d’un moyen pareil pour le salut de la République ?" Mais la Convention craint trop de contrarier le peuple de Paris, réputé "carnassier", et elle décide une demi-mesure, qui consiste à taxer la viande. Bouchers et charcutiers cherchent alors à tourner la loi.

Comme la taxe ne s’applique qu’à la viande crue, ils la font cuire et la vendent ensuite le prix qu’il leur convient. Des troubles en résultent. Les queues se forment à la porte des boucheries. Les pauvres n’obtiennent que les bas-morceaux, garnis de "réjouissances", c’est-à-dire d’os et de graisse.

 

 

 

 

Sus aux Bouchers !

 

Le Comité de surveillance du département de Paris fait alors afficher une proclamation menaçante : "Vous devenez les perfides instruments des contre-révolutionnaires, hommes insensibles qu’on appelle bouchers... Vous violez les lois avec une audace que rien n’intimide, vous foulez aux pieds les avertissements qui vous sont donnés... Le pauvre qui se présente chez vous n’en emporte que des os de rebut, tandis que le riche est accueilli avec une politesse recherchée, trouve les plus belles tranches, les morceaux les plus délicats parce qu’il paie... parce qu’il satisfait votre sordide avarice !..."

Une telle situation ne pouvait durer. Le 26 germinal, le Comité de Salut public établit la carte de viande. Les bouchers ont le droit de faire un bénéfice de 10 % sur le prix d’achat, et récoltent en outre les langues de bœufs et les fressures, à titre d’indemnité pour leur frais de transports. La ration de viande autorisée était de 500 grammes par tète pour cinq jours.

 

Manque d'huile, de beurre, de matières grasses...

 

Par la suite, la nécessité s’impose, selon les endroits et les circonstances, d'instituer encore d’autres cartes. Certaines sections parisiennes créèrent, par exemple, la carte de sucre. A Alençon, on imprima des "billets de sel". A Bergues, le savon et la chandelle ne furent distribués que sur présentation d’une carte. Dunkerque rationna le beurre, le savon, les œufs. A Senlis, on distribua six œufs et un quarteron de beurre par décade. Dans la Vienne, les épiciers ne délivraient l’huile que sur le vu d’un permis municipal. A Poitiers, comme il fallait économiser le suif, on décréta que les "billardiers-cafeliers ne pourraient avoir de chandelles dans leur salle, après Je soleil couché".

 

Le "marché noir".

 

Mais ce sont les trafics clandestins qui inquiétaient le plus les autorités. Le "marché noir", sans porter le nom qu’on lui donne aujourd’hui, existait déjà, dénoncé au courroux des citoyens par do véhéments polémistes.

Dans l'Ami du Peuple, Théophile Leclerc qui se proclame l’héritier de Marat, réclame la peine de mort "contre tout homme qui, par une astuce criminelle, chercherait à soustraire aux perquisitions et accumuler les denrées de première nécessité ; car celui-là doit être traité comme un assassin et il est réellement l’assassin du peuple, qui entasse dans son grenier des subsistances pour mettre à son gré le consommateur à contribution".

Ces appels furent entendus. Par la loi du 27 juillet 1793, la Convention remit "toutes les denrées nécessaires à la vie sous la main des autorités", et frappa le crime d’accaparement de la peine capitale. Des "commissaires aux accaparements" furent désignés pour vérifier les déclarations des dépositaires et effectuer des visites domiciliaires chez tous les suspects.

 

Une erreur judiciaire

 

Cette justice expéditive avait cependant ses inconvénients. Un jour, un riche marchand de vins en gros de l'Arsenal, Pierre Gaudon, avait fait la déclaration de marchandises entreposées chez lui. Mais les commissaires s’étant présentés en son absence et n’ayant pas trouvé sur sa porte l’affiche mentionnant les quantités et prix de ses vins que la loi lui faisait une obligation d’apposer verbalisèrent, et le marchand fut traduit au tribunal criminel, Gaudon fut, séance tenante, condamné à la peine de mort.

Sur ces entrefaites, son gendre rentrant au magasin, apprend ce qui se passe, et découvre que si l’affiche en question n’a pas été apposée, c’est en raison d’une simple négligence de son beau-frère, oublieux des instructions paternelles. Le jeune homme se précipite au ministère de la Justice, expose le cas, supplie qu'on sursoie à l’exécution. I.a requête est transmise à la Convention. Mis au courant, l’orateur à la tribune soumet la cause à l’Assemblée et s’écrie : "Citoyens, sauvez un innocent, rendez un père à sa famille !". La proposition fut adoptée à l’unanimité, et l’ordre expédié au bourreau de relâcher le marchand. Il n’était que temps...

La Convention n’oublia pas la leçon. Elle, décréta que l’ "application de la loi sur les accaparements serait suspendue jusqu’à ce qu’ait été fait un rapport par la commission qui en a été chargée pour déterminer d’une manière claire et précise le cas où la peine doit être prononcée". Les accapareurs ne furent pas châtiés avec moins de zèle ni de rigueur, mais les innocents ne risquèrent plus de payer pour eux.

 

 

Visites domiciliaires des commissaires aux accaparements

 

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