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19 mai 1643 : Bataille de Rocroi

 

Quel spectacle poignant que celui de Louis XIII, que la mort guette déjà en cette fin d’année 1642, se faisant transporter au chevet de Richelieu, agonisant, pour arrêter avec lui le plan de campagne de 1643 ! Une campagne décisive, à la vérité. L’Espagne occupe presque tout le Brabant, les Flandres, l’Artois — moins Arras, Bapaume et Hessin, Le Hainaut, le Luxembourg : une seule bataille perdue et c’est pour elle le chemin libre jusqu’à Paris.

Mais à qui va-t-on confier le commandement ?

— A Anguien, Sire ! propose sans hésitation le Cardinal.

Le Roi 's’est récrié : il n’a que 21 ans !

Richelieu insiste :

— Je le connais ; les Pères de Bourges m’ont confirmé ses rares qualités ; il sera le premier homme de guerre du royaume.

Et c’est ainsi que Louis II de Bourbon, duc d’Enghien — le futur grand Coudé — fut investi du commandement des armées de Champagne et de Picardie, les principales dont disposait la France.

Le Roi obtint cependant de son ministre une concession : Enghien sera assisté du vieux François de l’Hôpital (qu’on élève tout exprès à la dignité de maréchal) et devra "toujours agir avec le bon advis dudit sieur".

 

Le 17 avril 1643, Enghien a rejoint son poste, avec toute sa maison.

Qu’a-t-il pour instructions ? "de pénétrer les desseins des ennemys et d’en empescher l’effect". Et encore "De faire ce qu'il jugera le plus avantageus, sans s’engager à rien dont l’issue ne doibve, par toutes les apparences humaines, estre glorieuse pour les armes de sa Majesté"

C’est tout, c’est peu pour un adolescent qui n’a jamais commandé en chef. Par surcroît, l’armée qu’on lui confie est désorganisée ; la discipline est nulle, le mécontentement gronde ; l’argent est rare, la solde en retard. Alors que l’armée espagnole, conduite par Don Francisco Melo de Braganza, est supérieure enenombre (28.000 hommes) et en prestige...

Qu’importe ! Enghien compte sur son seul talent. Et passant outre au "bon advis" de l’Hôpital, qui veut esquiver la bataille, il décide de marcher droit à l’ennemi.

 

Le 14 mai, alors qu'il va donner l’ordre de se porter en avant, un courrier arrive de Paris : Louis XIII est au plus mal et le prince de Condé "invite " son fils à revenir en hâte à la Cour en abandonnant le commandement à son coadjuteur, le maréchal. Or, au même instant, des éclaireurs reviennent : les Espagnols approchent ! C'est l’invasion de la France qui commence...

Enghien n'hésite pas : "les ennemys entrent en France du côté de Vervins", répond-il à son père, "Ils sont à une journée de moy et, demain, nous serons en présence. Jugez si mon honneur ne seroit pas engagé au dernier poinct de laisser l’armée dans cette conjoncture...".

Le 15, il apprend la mort du Roi. Va-t-il revenir sur sa décision ? Non ! "Je marche demain à Rocroy que les ennemis assiègent depuis hier", se borne-t-il, le 16, à annoncer à Maza- rin.

Et, aussitôt, il concentre ses troupes entre Aubenton et Rumigny.

 

De son côté, Don Francisco Melo est plein d'optimisme. Il a facilement investi Rocroi, qui ne compte que cinq bastions, et il pense bien en venir à bout en trois ou quatre jours, car, selon lui, les Français sont encore loin.

C’est donc en toute quiétude que, le 18 mai, après le repas de midi, il commence sa sieste habituelle, imité par son Etat-Major, le comte d'Isembourg, le duc d’Albuquerque et le brave comte de Fontaines.

Mais à peine s’est-il retiré sous sa tente que surgit une estafette croate :

... Capitaine, Général ! Les Français se montrent en bordure du plateau !

Incontinent, c’est le boute-selle dans les campements avancés, le branle-bas dans le rang des tercios viejos...

Il n’est que temps. Le duc d'Enghien a déjà pris position à deux kilomètres de Rocroi... Aussi, vers 4 heures de l’après-midi, les 18 pièces de l'artillerie espagnole commencent-elles à se faire entendre — pour la forme. De part et d’autre, ce sont quelques escarmouches sans imoortance jusqu’à la nuit qui ramène la trève de Dieu.

 

A une portée de mousquet des lignes ennemies, Enghien a développé ses troupes sur un front de 2 km 500. Au centre, 15 bataillons de 800 à 900 hommes chacun, disposés en échiquier sur deux lignes ; aux ailes, 23 escadrons de cavalerie ; la réserve en arrière et, devant, 12 canons — soit au total environ 23.000 hommes.

Le soir venu, au mot de ralliement "Anguien", le duc va de régiment en régiment, s’assurer que chacun est à son poste. Il y a là des régiments célèbres — les "petits vieux" comme on les appelle alors : Piémont, le premier de tous, Rambures, qui, depuis Ivry, est synonyme de bravoure ; la Marine, celui que préférait Richelieu ; Picardie, le doyen de l’infanterie française ; et d’autres encore... Enghien a revêtu sa cuirasse et, au chapeau, il porte, comme Henri IV, la plume blanche qui est l’insigne du commandement en chef. Et alors un premier miracle s’accomplit : cet adolescent au regard profond et au profil énergique a subjugué toute l’armée ; sa parole autoritaire a brisé les velléités de rébellion qui, hier encore, se manifestaient dans les rangs. C’est un ordre étonnant qui règne partout. L’Armée Française s’est retrouvée.

 

Et, le 19 mai, à 3 heures du matin, c’est l’attaque.

Mais les premiers moments nous sont funestes : tandis qu’Enghien et Gassion se sont élancés à la tête de l’aile droite, notre aile gauche, commandée par la Ferté-Senneterre, est défaite ; son chef est fait prisonnier ; nos canons sont pris, l’Hôpital est blessé ; la Vallière hésite...

De l’éminence où il est arrivé, le duc aperçoit un effroyable tumulte qui, de la gauche, arrive jusqu’au centre qui recule.

C’est alors que quelques instants lui suffisent pour arrêter un nouveau plan de bataille — idée géniale qui va décider de la journée. Il fait exécuter à sa ligne de colonnes un changement de front presque complet et le lance, en un torrent impétueux, sur les bataillons qui lui tournent le dos.

— Nous sommes cernés ! s’écrie-t-on dans les rangs adverses.

Et aussitôt c’est la débandade... Le vieux comte de Fontaines, qu’on portait au combat sur une chaise à cause de ses infirmités, est au nombre des morts...

Aqui quiero morir con los senores italianos ! (1), se lamente le pauvre Francisco qui, dans la bagarre, a perdu son bâton de commandement. Et à la place qu’il occupait le matin même, l’armée aperçoit maintenant le panache blanc du duc d’Enghien : "L’action l’a grandi, son visage pâle est devenu superbe ; c’est le dieu Mars !". Cette apparition suffit à fanatiser nos troupes : un dernier choc de la réserve entraînée par Sirot et l’ennemi demande quartier...

 

Alors, "le prince fléchit le genou et, dans le champ de bataille, il rend au Dieu des Armées la gloire qu’il lui envoyait", devait dire Bossuet dans son oraison funèbre de Condé...

Ce fut en effet le premier geste du jeune vainqueur, tandis que s’amoncelaient à ses pieds les drapeaux, le trésor de guerre et un butin considérable. Nous laissions 2.000 hommes sur le terrain ; mais du côté espagnol les pertes avaient été terribles :

— Combien étiez-vous ? demandait-on à un capitaine castillan après le combat.

— Comptez les morts ! se contenta- t-il de répondre...

L’Espagne était vaincue, la France sauvée de l’invasion. Et l’adolescent qui allait devenir le grand Condé avait gagné à Louis XIV enfant, le quatrième jour de son règne, l’une de nos plus belles victoires.

 

Jacques Gosclaude. (publié en 1943)

 

(1) "Je veux mourir ici avec vous. Messieurs les Italiens !".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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