"Par décret du président de la République la mobilisation des armées de terre et de mer est ordonnée. Le premier jour de la mobilisation est le dimanche 2 août 1914."

Vingt-quatre ans ont passé depuis que les affiches blanches multipliaient par la France ces phrases laconiques. Un enthousiasme vibrant de "Marseillaise", de cris, soulevait Paris, entraînait vers la gare de l'Est surtout des cohortes chantantes. La casquette de l'ouvrier s'y mêlait au melon bourgeois, au feutre de rapin ; la musette en bandoulière battait pareillement sur la cotte, le veston, la blouse, la jaquette. Et les femmes, visage plus grave, accompagnaient ces générations qui allaient s'effeuiller sur les champs de bataille.

Une troupe de réservistes qui passait, képi ou fleur au fusil, pantalons rouges, traînait une escorte délirante brandissant des drapeaux. Les enfants tenaient encore la main des pères ou des grands frères. Devant les rames de wagons de bois couverts d'inscriptions à la craie commençaient les scènes des adieux, les exhortations, la douleur des mères secouées de pleurs ou la face durcie à force de maîtrise de soi pour ne pas altérer la noblesse du sacrifice.

Premier jour de la tragédie héroïque qui allait durer plus de quatre ans.

Voici près d'un quart de siècle de cela. Combien d'hommes aujourd'hui, tempes blanches, se retournent sur ce passé qui fut leur jeunesse et songent à ceux qui ne revinrent pas.

Songent aussi aux leçons de ces heures. La dureté de nos temps y prête.

Tant d'espérances sont mortes qui soulevaient ce dimanche d'août 1914 les hommes prêts pour le dernier holocauste, le dernier des derniers qu'eût dû connaître le monde. Du moins que le souvenir de ce jour où s'écartelèrent tant de foyers nous confirme dans la volonté d'être forts pour éviter le retour de ces déchirements innombrables. Et qu'il nous commande cette même union fraternelle d'où dépendent le salut et la grandeur de la nation.

 

publié en 1938