ACCUEIL | L'HISTOIRE | 1347 - LES BOURGEOIS DE CALAIS |
Le groupe d'Auguste Rodin
1347. Sans répit, depuis onze mois, les Calaisiens luttent avec un fier courage contre les troupes d’Edouard III, roi d’Angleterre. Les Français ont fait des prodiges de valeur : à plusieurs reprises ils sont sortis de la ville, tombant sur les assaillants à bras raccourcis, les frappant comme seigle vert de leurs bonnes épées et de leurs javelots, besognant si rudement que les autres perdirent pied et s’enfuirent maintes fois, laissant bon nombre des leurs sur le terrain.
Tant de témérité ne trouva pas sa récompense. Telle la marée qui ne s’enfuit que pour mieux envahir le rivage, les adversaires se reformaient et revenaient à la charge plus nombreux et plus décidés que jamais. La rage au cœur, la vaillante petite troupe renonça aux sorties et s’enferma définitivement à i’intérieur de l’enceinte.
Six notables pieds nus, en chemise et la corde au cou
Des semaines ont passé. Et des mois-... Presque une année de siège déjà : et l’Anglais, toujours là, cerne impitoyablement la cité. Impossible d’obtenir des renforts. Impossible de recevoir des vivres. Aussi, c’est grande pitié parmi les citadins : on ne voit que gens amaigris, pâles, sans forces. Une lourde atmosphère de désolation et de famine envahit chaque rue et chaque maison ; "c’estoit le plus horrible spectacle qu’on vist onques". Devant tant de misères, Jean de Visme, maître de la Place, décide de négocier la reddition.
Sire Gauthier de Mauny, envoyé d’Edouard III, arrive... Jean de Visme n’est point grand forgeur de phrases et s’entend mieux à tenir l’épée qu’à faire des discours ; il va droit au fait et parle clairement :
— Nous avons défendu Calais du mieux que nous pouvions, selon les ordres envoyés par notre maître royal. Malheureusement, le sort des armes ne nous est pas favorable et, si vous ne nous secourez, nous mourrons bientôt tous de faim. Dites à votre roi que nous sommes prêts à nous rendre, pourvu qu’il laisse vie à tous mes compagnons, car il ne se trouve ici que sujets courageux et honorables.
— Dieu vous entende et adoucisse notre grand roi ! Je crains tout de même qu’il ne soit impitoyable : sa rancune est grande contre les Français qui ont fait passer de vie à trépas maints de ses soldats. Mais peut-être pourrai-je gagner son cœur et vous obtenir la faveur souhaitée...
Hélas ! Edouard III se montre exigeant : ceux de la ville sans exception aucune, doivent être mis à mort ! Au risque de perdre la faveur de son maître, ou, pis encore, de subir les effets de sa colère, Gauthier de Mauny prend la défense des Calaisiens. Après tout, ils n’ont fait que leur devoir tout comme les Anglais. Et à quoi servira une aussi féroce cruauté, sinon à rendre également impitoyable les ennemis de l’Angleterre ?
Après réflexion, le roi, revenu au calme, se laisse vaincre : grâce sera faite aux Calaisiens à condition que six d’entre eux, parmi les plus riches et les plus importants, viennent lui remettre les dés de la ville. Ils se présenteront pieds nus, nu-tête, en chemise et la corde au cou. Le souverain disposera d’eux selon son bon plaisir.
Bien vite, Gauthier a rapporté la nouvelle à Jean de Visme. L’ordre de faire sonner la cloche est donné ; les habitants, hommes et femmes, s’en viennent rapidement sur la place du marché, à demi-morts de famine, mais heureux d’ouïr quelques nouvelles. Selon son habitude, messire Jean de Visme parle son rude et droit langage : le vainqueur exige six otages et demande une réponse immédiate. Que tous prennent sur l’affaire avis et bref conseil.
Il vaut bien mieux que nous mourions
Il y eut, bien sûr, des pleurs et des grincements de dents. Des larmes mouillèrent même les yeux du commandant de la place... Un peu de temps passa encore. L’on vit alors se lever le plus riche et le plus respecté bourgeois de la ville ; il se nommait Eustache de Saint-Pierre. Selon Froissart, il prit la parole en ces termes :
— Bonnes gens, ce serait grande pitié et grand méchef de laisser un tel peuple que celui-ci mourir par famine ou autrement, quand on y peut trouver aucun moyen. Et ce serait grande aumône et grande grâce envers Notre-Seigneur à celui qui de tel méchef les pourrait ôter et garder. Pour moi, j’ai si grande espérance d’avoir grâce et pardon de Notre- Seigneur si je meurs pour sauver ce peuple que je veux être le premier à me mettre de mon plein gré en pure chemise et nu-pieds, la hart au col, en la merci du noble roi d’Angleterre.
Successivement, avec le même calme et la même simplicité, Jean d’Aire, Jacqueme de Wissant et son frère Pierre de Wissant, Jean de Piennes, puis enfin André d’Andre offrirent de se livrer au roi d’Angleterre "en la forme et l’état que dit le traité".
Le déshabillage s’opère sur-le-champ, les clefs sont remises aux six otages. Et c’est le départ à pied, au milieu des femmes, des enfants, des chevaliers et des écuyers tous épleurés et "braillant si haut que c’était pitié à considérer". Avant de franchir les portes, les six bourgeois se retournèrent et d’après le chroniqueur, adressèrent au peuple ces paroles de consolation :
— Bonnes gens, ne pleurez point. Ce que nous faisons, c’est pour le bien et pour sauver le reste de la ville. II vaut bien mieux que nous mourions, puisqu’il faut qu’il en soit ainsi, que de laisser mourir les bonnes gens de la ville...
Les portes ae refermèrent. Les six notables étaient aux mains des Anglais. Volontairement, ils se plaçaient "en la pure volonté de l’adversaire" pour sauver le peuple de Calais qui a souffert beaucoup de maux".
On connaît la fin de l’aventure. Edouard III ordonne qu’on leur coupe la tête sur-le-champ. Gauthier de Mauny intervient une nouvelle fois en leur faveur ; les agressifs soldats, impassibles devant la mort, ont senti quelque chose remuer dans leur cœur et font aussi appel à la clémence du souverain. Peine perdue, ce dernier demeure courroucé et ne veut rien entendre. Seules, la grâce et la délicatesse de la gentille reine viennent à bout de la rancune de Monseigneur.
Les six bourgeois étaient sauvés. Mais Ils avaient auparavant renoncé à tout, fait le sacrifice de leur vie pour ne pas "laisser mourir toutes les bonnes gens de la ville."
Geste sobre, jailli du cœur, sans appétit de gloire, qui rejoint l’ample lignée de tant de héros de notre Histoire, serviteurs de leurs frères français.
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