A mon maître, Mr Mulley.

 

Je n'entre jamais dans une classe sans revoir par la pensée le maître de mon enfance. C'était un jeune maître, à cette époque lointaine. Il menait notre petite bande avec un mélange d'enjouement et de sérieux, une gaîté sereine que je n’ai vue qu'à lui.
Nous l'admirions et nous l’aimions. A l'approche du terrible certificat, dès sept heures du matin, il nous faisait travailler, gratuitement. Bien souvent, quand arrivait trois heures et demie, si la classe était fatiguée, il prenait un livre et nous lisait quelques belles histoires. C'est lui qui m'a révélé Molière et l'Avare, Corneille et le Cid, Alphonse Daudet et Tartarin de Tarascon. Il s'intéressait à nos familles, il pensait à notre avenir, il conseillait à l'occasion, nos parents inquiets de nous choisir un métier.
A présent, il a neigé sur ses cheveux et sur les miens. Il est en retraite, après une carrière bien remplie, et qui aurait pu être brillante, car il était, en intelligence, l'égal de tous les hommes que j'ai connus, et il les dépassait presque tous par le cœur. Certes, j'ai eu d'autres maîtres auxquels je dois beaucoup et dont plusieurs furent des professeurs éminents, qui enseignèrent dans des chaires illustres. Mais celui qui a formé ma pensée et mon cœur, qui m'a fait aimer le travail et qui m'a montré comment on travaille, celui à qui je dois mes meilleures habitudes d'esprit, d’ordre, de ténacité, l'amour de la besogne bien faite et de la tâche accomplie jusqu'au bout, c'est l'instituteur qui m'a préparé, voilà longtemps, à l'humble certificat d'études.

 

Extrait de Pour enseigner la morale par Ch. Ab Der Halden

 

(L'auteur, devenu Inspecteur général de l'Enseignement, parle avec admiration et amour du maître de son enfance. Avec admiration quand il évoque l'entrain d'un jeune maître, son intelligence et ses qualités d'esprit : ordre, de ténacité, amour du travail bien fait. Avec amour quand il retrouve les marques de son dévouement et de ses qualités de cœur.)