ACCUEIL | L'ECOLE | L' ECOLE DES FORAINS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES PETITS FORAINS SONT ASSISDUS A LEUR ECOLE ROULANTE

 

On sait que le temps n'est plus où les enfants des forains avaient le privilège, à la fois agréable et grave dans ses conséquences, de continuer leurs jeux tandis que tous les autres gosses prenaient le chemin de l'école, au retour des vacances. Depuis de longues années déjà fonctionne, pour eux, l'école primaire foraine créée par la Ville de Paris. Rappelons pour ceux qui ne la connaissent pas que ce n'est pas une école pareille à toute les écoles, un grand bâtiment de pierres percé de beaucoup de fenêtres, avec des préaux. Non, l'école des petits forains est modeste ; deux roulottes que relie une plate-forme, deux roulottes peintes en vert, rayées de filets jaunes et portant en lettres ocre, l'inscription : "Ecole primaire foraine de la Ville de Paris". Au-dessus des lettres brille l'écusson aux armes de Lutèce.

 

Pour être modeste, l'école-roulotte ne rend pas moins de grands services. Avant qu'elle quitte la foire du Lion de Belfcrt pour se diriger vers une autre fête, nous avons voulu aller surprendre en plein travail ses petits écoliers qui, depuis le 1" octobre, gravissent chaque jour son escalier de bois. Il était 15 heures. Nul bruit ne filtrait à travers les panneaux de la roulotte, l'accès sur la plate-forme était défendu par une toile. Nous avons soulevé celle-ci et nous avons frappé deux coups discrets à la porte. Mme Nicolas, la directrice de l'école qui. depuis vingt-cinq ans, avec un inlassable dévouement, enseigne les "grands" (de 8 à 13 ans), vint nous ouvrir. Derrière son dos, les têtes d'une douzaine d'élèves, garçons et filles, se retournèrent, montrant des yeux curieux vers la porte. Mais Mme Nicolas, pédagogue avertie des réflexes des écoliers, devina le mouvement. Elle fit volte-face et d'une voix autoritaire commanda :

— Voulez-vous travailler. Allons ! Et la directrice nous dit, avec une légère pointe de reproche dans la voix :

— Vous tombez en pleine composition de français ! Et puis, en ce moment, je pousse certains élèves qui désirent rejoindre leurs parents sur d'autres foires. Tenez, cette grande fille, là-bas, suit ses parents à Saint-Denis. il faut qu'elle termine sa composition, car sa mère m'a bien recommandé de ne pas lui faire rater un devoir !

— Nous venions vous demander, madame la directrice, où en était le développement de l'école foraine. Tous les forains y envoient-ils leurs enfants ?

— Vous pouvez dire que le succès de l'école est grand. Tous les ans le nombre de nos enfants augmente. Il n'est plus un seul père de famille forain qui nous Ignore. Et c'est avec beaucoup de peine que les parents nous reprennent nos écoliers quand le hasard de leurs déplacements les contraint de s'étonner trop de notre roulotte. Cette année, il y soixantequatre inscrits. Ce nombre serait doublé si diverses fêtes locales ne dispersaient pas les forains.

 

La directrice que nous devons laisser à son étude nous permet de jeter un coup d'oeil dans sa classe. Comme c'est étroit ! Deux rangées de pupitres miniatures que l'on croirait taillés pour des poupées, et, au bout, la petite châtre de l'institutrice. Aux murs, c'est-à-dire sur les parois de la roulotte, pendent des cartes géographiques, des tableaux noirs. Dans un angle, une mappemonde. Au centre, un bon poêle. L'ensemble est chaud, intime, confortable. Bien des écoliers de campagne n'ont pas ce confort, cet abri où il doit faire bon entendre Ja pluie battre les vitres.

La roulotte d'en face est affectée à la classe des petits que tient Mlle Carmen, en fonctions depuis 1926. Mlle Carmen enseigne l'abécédaire et donne des rudiments de dessin. Elle prodigue aussi les conseils relatifs à l'éducation et à l'hygiène.

Peu après notre visite, un homme qui partage son activité entre l'industrie foraine et une efficace propagande pour l'école, M. Dacharry, nous confiait :

— L'école primaire foraine accomplit une œuvre d'envergure. Mais il lui a fallu les patients efforts de courageux animateurs. Son budget, sachez-le, n'exige pas moins de 45.000 francs. Pour trouver cette somme, de nombreux concours étaient, cela se conçoit, nécessaires. Aujourd'hui, le budget est aisément bouclé grâce aux subventions du Conseil municipal, du Conseil général, des caisses des écoles, aux dons émanant de particuliers et à deux souscriptions ouvertes aux foires du Trône et de Neuilly.

Quant au fonctionnement de l'école, il donne toute satisfaction aux forains. Les classes commencent à 13 heures et se terminent à 18 heures. Elles sont coupées de courtes récréations. Le jeudi et le dimanche sont, comme partout, jours de congé. J'ajoute que l'accès des classes est absolument gratuit. Vous voyez, conclut M. Dacharry, que nos chers petits forains ne manqueront pas d'instruction. Le seul souhait que nous formulions, c'est que l'an prochain le chiffre des élèves Inscrits soit plus important encore. Ainsi, les petdts forains peuvent suivre leurs parents dans toutes leurs pérégrinations. Ils troueront toujours auprès de Mme Nicolas ou de Mlle Carmen en même temps qu'un bon accueil la nourriture indispensable à leurs jeunes cerveaux.

 

texte publié en 1933

 

 

 

_________________________________________

 

 

L'Académie française vient de s'honorer grandement en décernant un prix Montyon à une admirable femme de bien, Mlle Bonnefois. La somme est mince, deux mille cinq cents francs seulement !

... Mais ce qui est inestimable, c'est l'éloge public si éloquemment fait de Mlle Bonnefois par M. Jules Claretie dans son beau discours. Avec émotion, il a parlé de cette excellente petite vieille de soiscante-dix ans bientôt, et dont toute sa vie, déjà longue, fut uniquement consacrée au bien.

Son père, d'instituteur, se fait forain, et voilaà que commence la misère. Au contact de la souffrance matérielle, les méxhants regardent en haut, ragent et envient. Les bons, au contraire, abaissent doucement les yeux vers ceux dont la peine est plus grande encore que la leur, se consolent et s'efforcent de consoler.

Mlle Bonnefois avait une âme exquise : elle se souvint de ses chagrins d'enfant et eut pitié des pauvres petits qui grouillaient autour d'elle dans les fêtes foraines. Elle résolut d'améliorer leur sort en leur donnant l'instruction.

Oh ! les débuts furent modestes. Elle n'avait rien qu'un vieux livre d'images, mais elle possédait une ineffable volonté d'accomplir le bien, et peu à peu les enfants se groupèrent autour d'elle, si bien qu'elle en a maintenant deux cent cinquante, à qui elle prodique le pain de l'esprit, elle qui dispose à peine pour soi-même du pain du corps.(1)

Son école n'est point un de ces énormes bâtiments construits de toutes parts et trop grands souvet, hélas ! pour ceux qui ont à recevoir. C'est une baraque de la forme des autres que l'on voit à la fête, baraque qui se déplace aisément, car ce ne sont pas les élèves qui la suivent - ils ne le pourraient point, les chers petits ! - c'est elle qui vient derrière eux, partout où les entraînentles hasards de la vie foraine.

Mlle Bonnefois est une des meilleures d'entre nous, des plus dévouées, des plus modestes, des plus simples. Si j'osais, j'ajouterais bien un mot qu'elle ne m'a pas chargé de dire, - je n'ai pas le très grand honneur de connaître.

Ce mot, le voici :

Mlle Bonnefois est très pauvre, ses petits élèves également. Les 2.500 francs de l'Académie française ne l'enrichissent pas beaucoup. Elle ne demande rien oh ! non, certes. Elle s'est tirée d'affaire jusqu'ici et continuera ; mais enfin... si vous insistie, je crois qu'elle accepterait, et puis, si cela vous ennuie d'aller lui porter vous-même votre offrande, nous nous en chargerions de bien grand cœur... (2)

 

publié en décembre 1897

________________

1. Le pain du corps, qui maintient l'individu en bonne santé physiologique. Le pain de l'esprit, que vous appelez instruction, acquisitions, conquêtes ...

2. L’année suivante, on lui remit les Palmes Académiques

 

 

Eugénie Bonnefois (1829-1914)

 

_________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  ACCUEIL | L'ECOLE | L' ECOLE DES FORAINS

 

 

bachybouzouk.free.fr