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article publié en décembre 1927

 

Il n'est rien de plus reposant qu'une soirée passée au cirque dans la vaste enoeinte aérée où règne une chaleur douce; l'odeur du crottin éparse dans l'air y semble même salubre; elle éveille, sous les lampes électriques, des souvenirs de vacances et de campagne.

Le cirque d'aujourd'hui est bien différent de celui de notre enfance. Nous n'y voyons plus les belles écuyères d'autrefois, qui traversaient des cerceaux de papier tandis qu'Auguste, une main sur son coeur, envoyait de l'autre des baisers à la belle qui paraissait ne pas le voir et continuait son galop. La concurrence des music-halls a obligé le cirque de nos jours à modifier la présentation des numéros, à la corser, à multiplier. les attractions. A une époque où notre émerveillement peut être continu, nous voulons être plus étonnés que jamais quand nous allons au cirque.

Il ne nous suffirait plus de voir un illusionniste qui fait sortir d'un chapeau des fleurs ou un lapin, mais Ryss, que j'ai vu au Cirque de Paris, transforme sous nos yeux de l'eau claire en toute la symphonie possible des liqueurs que nous pouvons désirer, sans parler des boissons hygiéniques. Ce barman de Satan, c'est ainsi qu'il se nomme, tient le bar le mieux achalandé qui soit. Il serait capable de régaler toute l'assistance. Il transforme d'ailleurs tout aussi bien en encre l'eau d'un verre tenu à la main par un spectateur ahuri; si vous le désirez cette encre redeviendra instantanément de l'eau.

Toute une famille, les Neiss, se promène comme dans son appartement sur un fil de fer, tout près du cintre, exécutant des pyramides que jadis nous nous serions contentés de voir sur la terre terme.

Des animaux savants paraissent : les chiens de M. Théo montrent une intelligence au moins humaine et ils exécutent d'extraordinaires sauts périlleux. Mais voici des phoques qui semblent, sautant sur leurs moignons, des chiens gémissants qu'on dirait épilés puis trempés dans l'huide après avoir été ravis aux supplices d'on ne sait quel enfer des bêtes pour jouer devant nous à la paume ou bien emboucher une trompette; battre de la grosse caisse au commandement de la blonde Mlle Wallenda. Ils ont de prodigieux yeux humains: ils sont affectueux; ils semblent tout comprendre et l'on dirait qu'ils veulent nous parler pour nous dire leur secret, nous prendre à témoin de leur incurable misère.

Mais voici un superbe écuyer espagnol qui se présente sur un fringant cheval: une gracieuse danseuse, elle aussi espagnole, bondit à sa suite sur la piste. Elle danse et le cheval danse avec elle. C'est une fantaisie équestre de M. et Mme Rancy.

Quant aux clowns d'aujourd'hui, ils jouent de véritables sketches. Au Cirque de Paris, Antonet et Béby sont fort drôles dans leur parodie de la "Poupée mécanique".

Le cirque n'a pas, comme le music-hall, la ressource des changements de décors pour varier la présentation de ses numéros. Il semble s'efforcer de plus en plus à y suppléer par des jeux de lumière. Il pourrait même y-avoir là le commencement d'une véritable esthétique nouvelle du cirque qui se trouverait liée à celle de la lumière. On voit déjà au Cirque de Paris la nuit se faire soudain dans là salle, tandis qu'un projecteur est braqué sardes- artistes, seuls éclairés. Il est bien amusant de voir les clowns Mylos et Coco balayer avec gravité la traînée lumineuse du projecteur. Le Cirque d'Hiver semble employer plus largement encore les ressources de la lumière. J'y ai vu, certains soirs, le cintre d'un noir d'encre, d'où pendent, au dessus de la piste, des lampas éblouissantes, se peupler d'étoiles, après la nuit faite dans la salle, tandis que les Fratellini, seuls inondés de lumière et qui semblaient irréels,, remplissaient le cirque de rêveuses musiques.

Le spectacle du Cirque d'Hiver auquel j'ai' assisté dernièrement m'a bien charmé aussi. Il était d'une savoureuse variété et il se déroulait à la façon d'une danse aux figures les plus diverses et selon une rapide cadence. Ce sont les The Webb Bros, clowns musicaux, aux costumes somptueux, que j'ai vus se dessiner, cette fois, fantomatiques dans la nuit, comme une apparition hoffmannesque, ruisselants de lumière et de sons.

Au Cirque d'Hiver, aussi, les écuyers affectionnent de plus en plus des présentations spéciales. Les membres de la famille de Jonghe paraissent en cosaques pour leur grand numéro de dressage et d'aorobatie équestres. Chacun, à cheval, conduit, au galop, un attelage de trois et quatre bétes, faisant de la piste leur steppe pour notre émerveillement de voir en un si petit espace évoluer au galop une si extraordinaire cavalerie ; sans parler, ensuite, de toutes les acrobaties équestres, sous forme de combats, et, à la fin, d'un duel au fouet qui fait frissonner.

Un numéro impressionnant fut celui des Eldons, mêlant un comique à certains moments douloureux à l'exercice de force de celui qui, dans la plus incommode des positions, supportait les deux autres au sommet d'une pyramide d'agrès. Ils paraissaient prendre plaisir à ne pas se soucier, tandis qu'ils se livraient à leurs violentes faicéties, de celui pour lequel chaoun de leurs mouvements exigeait un effort nouveau, alors qu'il tenait, en vérité, leur vie non pas entre ses mains, mais entre ses dents.

Un numéro d'une jolie fantaisie fut celui de Rynes et Burke, acrobates d'un tremplin à corde qui est suspendu. Bientôt, comme anéantis par leurs sauts et rebondissements, ils ne semblèrent plus que des pantins de son, dépouillés de leurs oripeaux, que renvoyait le tremplin, sur lequel ils retombaient dans les plus invraisemblables positions, pour rebondir encore comme une matière inerte. Puis, soudain, l'un des deux se reprit à la vie et ce fut pour exécuter de suite cent sauts périlleux.

Les clowns Rico et Alex s'intitulent clowns de prédilection de la maison royale d'Espagne. Je notais rien de plus drôle que la solennité méprisante de Rico cariant à Alex qui, lorsque Rico a tourné le dos, dévore les poissons rouges que oelui-ci avait apportés dans un bocal; et cela finit par une folle course de taureaux.

Le soir où je-me trouvai au Cirque d'Hiver, Desprez, dans une automobile, lancée du cintre, a exécuté avec elle, parmi les pièces d'artifice, les plus extraordinaires loopings, pour retomber avec un fracas de tonnerre.

Voilà de la féerie bien moderne. Celle-ci n'est, du moins, pas truquée. Elle est effroyablement réelle. Ce sont là nos jeux du cirque.

 

 

Le Cirque d'Hiver

 

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