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En septembre 1970, un quotidien suisse publiait cet article sur Michel Simon (de son vrai nom François Simon), acteur suisse (1895-1975).
MICHEL SIMON DIT ADIEU AU PUBLIC AVEC LA MAISON
A soixante-quinze ans, Michel Simon, monstre sacré s'il en fut, annonce qu'il prend sa retraite, après avoir figuré au générique d'environ cent cinquante films et à l'affiche de quelque quatre-vingts pièces. Mais en même temps qu'il quitte son Noisy-le-Grand pour le Midi, il nous dit adieu avec un dernier film, La Maison. Tous ceux qui aiment cet acteur magistral - et ils sont nombreux, de la foule anonyme qui le salue affectueusement dans la rue, aux jeunes professionnels tels Delon, Brialy, Belmondo qui le révèrent comme un exemple - se féliciteront qu'il ait aussi bien choisi son heure : en1970, Clo-Clo part, en effet, en pleine gloire, avec la tendresse du public et l'hommage de toute la critique. Son passage à l'Olympia, cet hiver, où il a gentiment volé la vedette à la tête d'affiche, l'a démontré de façon éclatante : en quatre rengaines d'autrefois, il a pulvérisé les records de "l'applaudimètre". De même, invité par Philippe Bouvard à "RT.L.-Non-Stop", où l'auditeur inconnu n'est pas toujours courtois, il a recueilli avec son énorme gentillesse les messages les plus sympathiques.
Or, il y a moins de cinq ans, par la force triste du destin, Michel Simon était encore un misanthrope à part entière, brouillé avec les Français tout au moins – les Américains lui avaient fait pleine confiance pour Le Train - et s’était "mis en ménagerie" comme d'autres se mettent en ménage. Ses vrais amis avaient disparu, comme André Lefaur ou Sacha Guitry, les femmes qu'il avait aimées de tout son cœur, Arletty et Alice Cocéa, malades ou vieillissantes. Lucide et amer, isolé comme un diplodocus survivant d'une époque révolue, le merveilleux compagnon de Pitoëff et de Jouvet savait pertinemment que la France ne voulait de lui à aucun prix. L'accident très grave que lui avait causé une teinture pour la barbe et les cheveux, et qui avait bien failli lui coûter la vie, empêchait les compagnies d'assurances de le "couvrir". Ce fut un chômage plein d'amertume, où seuls singes, chats, chiens et oiseaux le distrayaient de souvenirs sans gaieté.
TRIOMPHES ET SCANDALES
Car les triomphes de Michel Simon ont très longtemps été empreints d'un caractère de véritable malédiction. Depuis que ce fils de charcutier, né à Genève en 1895, qui aimait trop les bêtes pour ne pas fuir le foyer paternel et "monter" à Paris dès l'âge de dix-sept ans, avait choisi la vie d'artiste, le sort voulut qu'il fit toujours scandale.
Après son immense succès dans Jean de La Lune, en 1929, il reçut des dizaines de propositions qui lui présentaient exactement une réédition du personnage de "Clo-Clo". Il lui fallut attendre trois ans pour que Renoir lui demande enfin quelque chose de différent avec La Chienne, à laquelle succéda Boudu, du même auteur, et enfin l'admirable Atalante de Jean Vigo. Dans ces trois films, le prodigieux acteur réussit à se libérer de l'esclavage d'un texte, à participer au scénario et aux dialogues. On sait hélas, que, devenus maintenant des chefs-d'œuvre de cinémathèque, ceux-ci ne connurent à leur sortie que de noirs échecs commerciaux. Boudu fut même interdit par la police, les spectateurs hurlant au remboursement parce que le doux et affreux clochard prenait des sardines à pleines mains et que, lorsqu'il se grattait, le public avait l'impression d'avoir aussi des puces ! Bien que tenté encore par l'avant-garde (Drôle de drame fit lui aussi un beau scandale en exclusivité), Michel Simon se laissa alors séduire par les joies tranquilles du cinéma commercial dont certains titres, comme Fric-Frac, lui ont laissé des souvenirs très agréables.
Au théâtre, même évolution : écœuré par de faux rapports d'affection avec Pitoëff ou Jouvet, il passa sans regrets au boulevard.
LA REVANCHE DU VIEIL HOMME
Mais la guerre et ses séquelles allaient le conduire à l'hypocondrie et l'ermite un peu paranoïaque de Noisy-le-Grand semblait disparu du box-office lorsque coup sur coup une pièce et un film en refirent la plus éclatante des vedettes. Devenu tout d'abord en 1966 le pauvre Roque-Feller dans la parodie de western de René de Obaldia, Du vent dans les branches de Sassafras, il creva de nouveau l'écran avec Le Vieil Homme et l'Enfant, premier film de Claude Berri. Depuis, Boudu, sauvé de son propre zoo, a retrouvé toute sa chaleur humaine.
Dans La Maison, qui semble donc devoir marquer son départ définitif de l'écran, il fait un numéro somptueux de vivacité coléreuse, de tendresse sarcastique et d'appétits toujours solides. Incarnant le personnage de vieil homme de sciences que Gérard Brach, le scénariste attitré de Polanski, lui a fignolé sur mesure pour son premier long métrage de réalisateur, il rayonne de charme et de goguenardise face à une gamine américaine qui le quittera aux bords des larmes. Le film comporte certes quelques maladresses, mais pour ce dernier portrait de Simon et d'admirables dialogues avec son domestique, l'ineffable Paul Préboist, il mérite d'être bien accueilli par le public. Consacré par un volume des éditions Pierre Seghers, sollicité encore par Serge Korber qui voudrait lui faire tourner Le Beau Rivage, d'après Fallet, le dernier de nos géants peut se reposer sur ses lauriers : il a enfin rompu avec sa réputation d'acteur maudit et ne risque plus d'incarner le triste fantoche de La Fin du Jour, ce cabot vieillissant qu'il avait campé avec une justesse inquiétante.
Isabelle VOLCLA1R
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autre article publié en 2002 :
"Je suis né en 1895 et comme un malheur n'arrive jamais seul, cette année-là les frères Lumière inventaient le cinématographe", aimait à plaisanter l'acteur d'origine suisse Michel Simon. En fait, on ne connaît pas avec exactitude sa date de naissance car le personnage a toujours aimé s'entourer d'un certain mystère. On sait qu'il fit ses débuts au théâtre avec Louis Jouvet et que ses premières apparitions au cinéma ne furent guère triomphales. C'est le rôle de Clo-Clo dans "Jean de la Lune" (Choux, 1931) qui le rendit célèbre. Suivirent "La chienne" (Renoir, 1931) et "Boudu sauvé des eaux" (Renoir, 1932): Michel Simon y crève l'écran. A partir de ce moment, l'acteur, par sa seule présence, réussit à rendre intéressants même les pires navets. Marcel Carné sut reconnaître son talent et lui confia de grands rôles: Molyneux dans "Drôle de drame" (1937) et Zabel dans "Quai des brumes" (1938). Après la guerre, il brilla encore dans "Panique" (Duvivier, 1946), "La beauté du diable" (Clair, 1949), "La poison" (Guitry, 1951). Acteur mythique, Michel Simon était aussi, dans la vie, un personnage hors du commun. Jouant les pauvres, il était au contraire fort riche et consacrait son temps et son argent à collectionner des objets érotiques.
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