ACCUEIL | LE CINEMA | TRENTE ANS DE DESSINS ANIMÉS (1908-1938)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On a commémoré officiellement, le 17 août 1938, le trentième anniversaire du dessin animé. En effet, ce fut le 17 août 1908 que le français Emile Cohl présenta, au théâtre du Gymnase, le premier film tourné d’après cette technique toute particulière, et qui nécessite tant de qualité de la part des réalisateurs; elle est basée sur une invention pour laquelle M. Gaumont avait pris un brevet dès 1900, et qui avait permis de montrer sur l’écran le développement d’une action relativement lente, telle que le déplacement des armées au cours d’une bataille. Un premier film, basé sur cette invention, avait été projeté en effet dès 1900. Il schématisait la bataille de Spion Kop, important épisode de la guerre du Transvaal.

 

C’est à Cohl que devait revenir le mérite d’utiliser la même invention pour la représentation des personnages humains et des animaux. Emile Cohl s’appelait réellement Emile Courtet, et était né en 1857; après de solides études de dessin, sous la direction d’André Gill, il avait connu Paul de Kock et avait collaboré comme dessinateur à plusieurs publications demeurées célèbres, parmi lesquelles il faut citer le Charivari et l’Hydropathe. Ses premiers essais de dessins animés cinématographiques datent de 1906, et le premier film qu’il présenta, intitulé Fantasmagorie, avait une longueur de 36 mètres et comportait un peu plus de mille huit cent cinquante images. Comme Emile Cohl l’avait réalisé seul, il avait, pour gagner du temps, simplifié à l’extrême la facture des dessins, qui, comme le disent Bardèche et Brasillach dans leur Histoire du Cinéma, "ne dépassaient pas le gribouillage d’un écolier sur son cahier". Mais, il faut bien le dire, l’essentiel du dessin animé y était, et ce film très simple contenait en puissance tout ce qui nous charme aujourd’hui.

 

Qu’est-ce donc au juste que cette technique ? Si vous le voulez bien, c’est à Emile Cohl soi-même que nous l’irons demander. En effet, sous le nom de J.-B. de Tronquières, il publia, en août 1925, dans le Larousse Mensuel Illustré, un article fort documenté sur l’art auquel il avait consacré plusieurs années de son existence.

 

On appelle dessins animés, écrivait Cohl, une suite de dessins, ordinairement de naïfs bonshommes, exécutés par le moyen d’une plume, d’un pinceau, etc., qui analysent toutes les phases successives d’un mouvement et qui, cinématographiés, paraissent, à la projection, doués de la mobilité des êtres vivants.

Pour se rendre compte de la manière d’opérer afin d’obtenir de tels effets, il faut, avant tout, savoir que l’appareil cinématographique, dans la prise de vues ordinaire, enregistre huit images photographiques par tour de manivelle. (On doit se rappeler, en effet, que, à l’époque où fut publié cet article, le cinéma était encore muet, et que les caméras étaient encore actionnées à la main.)

Pour le travail qui nous occupe, continuait Cohl, on a dû transformer l’appareil de prises de vues, et l’on a démultiplié mécaniquement par huit ce tour de manivelle, de façon à ne prendre qu’une image à la fois.

...C’est une affaire de patience surtout, et d’adresse aussi; la patience est agrémentée d’un travail formidable dont nous allons essayer de donner une idée...

...Pour chacune des premières bandes, l’artiste avait dessiné autant de dessins que d’images à prendre, soit 52 croquis par mètre de film...

...Les premiers essais avaient été faits sur un papier transparent éclairé par derrière; l’artiste dessinait directement sur le papier, et l’appareil de prise de vues, placé devant, enregistrait les images qui se succédaient. Mais ce papier transparent, très mince, était sans consistance, malgré le verre dépoli placé dessous; il se gondolait et n’offrait aucune résistance au pinceau chargé d’encre de Chine qui, très légèrement cependant, venait tracer les croquis ; on dut chercher un autre système.

C’est celui que nous allons décrire ici et qui, du reste, n’a guère varié en France jusqu’aujourd’hui. (Nous sommes, rappelons-le, en 1925.)

L’artiste, continuait Cohl, a fait ses dessins suivant certaines lois qui trouveront leur explication plus loin. Il ne s’agit donc plus que de les tourner. Nous n’avons besoin, pour 'instant, que d’une table de un mètre environ de longueur, bien d’aplomb sur ses quatre pieds. De chaque côté de la table, des montants. L’appareil de prise de vues est fixé solidement entre ces montants. Quelques fils de tension accrochés au plafond le maintiennent bien fixe. L’objectif est dirigé vers la table, au milieu de laquelle on place le dessin à reproduire, bien dans le champ de l’appareil, et fixé au moyen de trois pointes inamovibles, une en haut et une de chaque côté, car il est indispensable que les dessins soient minutieusement repérés.

Le dessin n" 1 est photographié d’un tour de manivelle, puis on le retire et l’on place sur les trois pointes de repère le deuxième croquis que l’on photographie; on le retire pour le troisième dessin, et ainsi de suite jusqu’à épuisement des croquis.

Lorsque tous les dessins sont photographiés, sur la pellicule vierge, celle-ci est alors développée comme d’usage, et l’on tire un positif; on colle titre et sous- titres, et la bande, toute prête, s’en va par le monde divertir pendant quelques minutes les petits et parfois les grands.

Comment les dessins ont-ils été conçus et comment les mouvements divers ont-ils été calculés? C’est là que réside en somme tout l’intérêt.

Chaque mouvement doit être, en quelque sorte, chronométré. S’il doit s’effectuer en une seconde, il faut faire 16 dessins pour ce geste, puisque la projection qui dure une seconde réclame 16 images. Ce sont ces 16 images qui décomposent le mouvement.

Tel était l’ingénieux procédé mis en œuvre par Emile Cohl pour la réalisation des dessins animés.

 

En dehors de l’utilisation purement spectaculaire de cette technique, il faut mentionner qu’on eut, de bonne heure, l’idée de s’en servir pour des fins scientifiques. Les démonstrations délicates, les explications concernant certaines parties de la mécanique, de l’anatomie, de la physiologie, de la géographie, s’accommodent parfaitement des dessins animés, et leur exposition gagne grandement, en clarté. On a montré ainsi, entre autres choses, la circulation du sang, le fonctionnement de la machine à vapeur, des écluses, le déplacement des astres et des planètes. En bref, lorsqu’un phénomène est impossible à enregistrer directement ou lorsqu’il est trop complexe pour que la cinématographie directe permette d’en comprendre le mécanisme, il est toujours possible, grâce aux dessins animés, de le schématiser d’une manière aisément assimilable, et ces dessins deviennent alors, comme l’a écrit Cohl, "les adjuvants clairs et précis de la parole des maîtres".

 

Cohl , encouragé par son succès, produisit de nombreux films de dessins animés. Entre 1908 et 1918, il en tourna plus de quatre cents. D’une exécution très sommaire au début, ainsi que nous l’avons vu, pour permettre un travail plus rapide, ses dessins furent améliorés à mesure que la technique de la prise de vues se perfectionnait et, dès 1911, les dessins animés réalisés par Cohl qui, du reste, travailla durant plusieurs années aux Etats-Unis, sont aussi parfaits que ceux que l'on produisit après la guerre dans ce pays où cette industrie a pris, comme on le sait, une grande extension. La grande firme cinématographique française pour laquelle Emile COHL travaillait possédait du reste une filiale aux Etats-Unis et y exporta les permières bandes réalisées par l’artiste. Un caricaturiste américain, nommé Windsor Mac Kay, se procura l’une de ces bandes, l’étudia image par image et se mit, lui aussi, à réaliser ces dessins animés qui jouiront d’une vogue considérable, ce qui encouragea plusieurs dessinateurs et caricaturistes à se lancer dans la voie ouverte ainsi avec tant de bonheur.

 

 

Emile Cohl (au centre) photographié avec M. Pierre Bourgeon (à droite)

 

 

En 1914, l’un d’eux, Earl Hurd, mit au point un perfectionnement qui devait simplifier dans une notable mesure la confection des dessins. Ce perfectionnement consiste à exécuter les parties fixes des dessins, telles que les fonds, sur un bristol appelé "carton", les parties mobiles étant au contraire dessinées sur des feuilles de celluloïd ou "cels". Pour la prise de vues, on place les "cels" successifs sur le fond et on les cinématographie. On conçoit que cet artifice permet de n’exécuter le fond qu’une seule fois et accroît la rapidité du travail.

 

Depuis 1918, la technique a continué à se perfectionner. Il ne m’est pas possible d’examiner ici toutes les améliorations qui ont été réalisées. Mais quelques-unes d’entre elles ont été si importantes qu’elles ne sauraient être passées sous silence. Les premiers, les frères Fleisher se sont préoccupés de donner, dans leurs images, l’impression du relief et ils y sont parvenus dans une certaine mesure en photographiant à travers les feuilles de celluloïd portant les dessins, des maquettes en relief, collées sur une sphère tournante. Bud Iwerks, préoccupé par le problème, peint les décors sur des plaques de verre ou des feuilles de carton espacées les unes des autres. Pour les "travellings", c’est-à-dire pour les prises de vues pendant lesquelles doit exister un mouvement relatif de la caméra par rapport au sujet mouvant, on a eu l’idée d’utiliser plusieurs fonds, établis sur des feuilles de cellulose qui, superposées, se déplacent avec des vitesses différentes. On arrive ainsi à donner l’illusion optique de la profondeur, à la condition de déterminer ces vitesses avec beaucoup de précision.

 

Lorsque la technique du dessin animé en couleur eût été mise au point, on a créé une machine, la "Multiplane", qui, utilisant la couleur, permet de donner dans une certaine mesure l’impression du relief, moins bien cependant que les procédés dont nous venons de parler. Parallèlement aux progrès techniques, l’organisation de la partie purement artistique s’effectuait peu à peu, et les grands producteurs avaient recours, pour l’exécution des dessins, à des collaborateurs de plus en plus nombreux. L’artiste créateur n’exécute plus, aujourd’hui, la totalité des dessins; il ne dessine que les figures principales, avec leurs fonds, et il confie à ses collaborateurs, instruits du thème du film, le soin de dessiner les phases intermédiaires des mouvements qu’il s’agit de représenter.

 

En 1927, le cinéma sonore faisait son apparition et, la même année, Pat O'Sullivan réalisait le premier dessin animé. Peu après, en 1928, Walt Disney présentait son premier Mickey Mouse. L’introduction de la couleur dans les dessins animés a, bien entendu, compliqué encore une technique déjà fort complexe. Je ne puis citer ici que quelques-uns des problèmes nouveaux qu’il est nécessaire de résoudre, mais leur seule énumération suffira certainement à vous montrer les difficultés supplémentaires qu’ont à vaincre les réalisateurs. En premier lieu, les couleurs doivent être constantes pour éviter l’obtention d’effets désagréables à l’œil. On est donc contraint de préparer des couleurs en assez grandes quantités, et en prenant des précautions extrêmement minutieuses pour assurer la stabilité de leurs propriétés colorantes; il est nécessaire, pour cela, de les conserver dans des conditions bien définies de température et d’humidité. D’autre part, il n’est plus possible, avec la couleur, de superposer autant de feuilles de celluloïd que dans la technique du dessin en noir et blanc. Au delà de deux feuilles superposées, le résultat est médiocre. Enfin, certaines précautions doivent être prises au cours du coloriage qui, pour éviter les bavures, s’effectue au verso des feuilles de celluloïd, tandis que le dessin est exécuté au recto. Il est nécessaire également de colorier les fonds d’une manière plus intense que les dessins sur celluloïd qui leur sont superposés et qui en atténuent l’éclat.

 

R. Beaulieu.

 

 

 

 

 

 

_______________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  ACCUEIL | LE CINEMA | TRENTE ANS DE DESSINS ANIMÉS (1908-1938)

 

bachybouzouk.free.fr