Ses mains de médecin guérissent les malades, manient la truelle ou le rabot, courent sur le clavier de l'orgue pour interpréter Bach... Il a suivit quatre vocations différentes et il est tout ensemble philosophe et musicien, théologien et médecin. Il y a près de cinquante ans, cet homme universel, dans la tradition de Léonard de Vinci ou de Goethe, renonçait à l'extraordinaire carrière qui aurait pu être la sienne pour consacrer sa vie à secourir les déshérités d'Afrique Noire.

UN ECOLIER CEHETIF ET MEDIOCRE

Le 14 janvier 1875, naissait à Kayserberg, en Haute Alsace, Albert Schweitzer. Enfant chétif qui ne devait apprendre à lire et à écrire que fort tard, on ne lui connaissait qu'un don extraordinaire : la musique. Dès l'âge de sept ans, il avait construit un hymne des mieux construits et, un jour de fête, impromptu, il avait remplacé l'organiste défaillant aux claviers des grandes orgues ! A force de volonté et d'enthousiasme, Albert Schweitzer allait rattraper le faux départ de son enfance. C'est ainsi qu'il allait se livrer à l'étude de l'hébreu. En bref, à vingt six ans, il est docteur en philosophie, maître de conférence à la Faculté de Théologie, musicologue renommé et organiste de concert.

UNE STATUE ET UN ARTICLE DE JOURNAL

Six ans plus tard, sur la place de Colmar, il s'arrête bouleversé devant la statue d'un amiral aux pieds duquel un Noir enchaîné est agenouillé... Le même jour, un article sur le Congo tombe sous ses yeux. C'est l'appel au secours d'un missionnaire :  Pendant que nous nous efforçons de convertir les indigènes, nous les voyons souffrir et mourir, victimes de maladies contre lesquelles nous ne pouvons rien. Cette journée allait être décisive : Albert Schweitzer consacrerait le restant de sa vie à soigner les Noirs déshérités du Gabon... A trente huit ans, il recevait le titre de docteur en médecine. Sa femme qu'il avait épousé un an plus tôt décidait à son tour de faire des études d'infirmière afin de seconder utilement son mari.*

UNE SALLE DE CONSULTATION DANS UN POULAILLER

Après avoir recueilli à force de démarches, de conférences et d'articles, les premiers fonds nécessaires, le jour du Vendredi Saint 1913, le docteur et son épouse s'embarquaient pour Lambaréné, une région infestée de mouches tsé-tsé, de fourmis, de termites et de moustiques porteurs des germes les plus meurtriers. Faute de meilleur abri, Schweitzer s'installe dans un poulailler dont il enduira les murs d'une épaisse couche de chaux. Un lit de camp servira de table d'opération. C'est dans cette insolite salle d'opération que le docteur opérera un malade de l'appendicite. La guérison du patient vaudra au docteur Schweitzer son premier triomphe. Petit à petit, avec le concours des Noirs étonnés des prodiges du sorcier blanc, un hôpital de brousse va s'édifier et, pour nourrir sa clientèle de plus en plus nombreuse, le docteur universel va défricher un coin de forêt et y planter des légumes. Aujourd'hui, l'hôpital  de Lambaréné qui peut recevoir quatre cents malades, ressemble à un village indigène. Les malades y viennent de très loin et s'installent avec femme et enfants. Assisté d'un de ses neveux médecin et d'infirmières européennes, le docteur Schweitzer a pu sauver des milliers de vies.

DE LA MUSIQUE ET DES ANTILOPES

 

En 1952, le docteur Schweitzer recevait le Prix Nobel de la Paix. On raconte qu'il fut étonné par la ruée de photographes : Seigneur ! s'exclama-t-il, vous me croyez donc aussi important qu'un champion de boxe ? A Lambaréné, au moment de quitter le réfectoire, le docteur bourre ses poches de friandises pour aller les porter aux antilopes. Après avoir caressé ses bêtes favorites, il regagne son bureau. Alors, redevenu musicien, Schweitzer ouvre son piano... Par la fenêtre ouverte, l'immortelle musique de Bach se mêle à l'immense murmure de la forêt vaincue.

extrait du journal L'Intrépide  Hurrah ! n° 581 (14/12/1960)

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Albert Schweitzer est décédé à Lambaréné, le 4 septembre 1965.