Inégalé depuis sa mort, le clown le plus génial de notre temps est né dans le Jura bernois. Salut l'artiste !

Charlie Chaplin, pourtant avare de compliments, lui avait dit un jour, subjugué: "Si je suis le plus fort à l'écran, vous êtes le plus fort sur la scène !". Bel hommage du vagabond à ce clown blanc au sourire malicieux: Grock, alias Charles-Adrien Wettach.

Il a joué devant les reines et les rois, devant tout ce que l'époque comptait de beau linge et de stars et même devant Hitler et Coebbels - ce qui lui sera amèrement reproché jusqu'à sa mort. Grâce à un numéro inimitable interprété en huit langues, Grock fit le tour du monde, entraînant ses valeureuses godasses et son petit violon dans lalégende. De la salle Pleyel à Paris au Coliseum de Londres, il irradiait. Magique. Et universel. Le premier ministre britannique avait été pris au piège. Churchill ne lui avait-il pas déclaré un jour, d'un ton assuré, à l'issue d'un spectacle: "Eh bien reconnaissez, Monsieur Grock, que tous les meilleurs comiques sont anglais !" Le clown lui précisa qu'il n'était point, hélas, sujet de sa gracieuse Majesté mais... suisse! Dissimulant son étonnement derrière son flegme bien british, Sir Winston lui dit alors: "Eh bien, allez donc vous faire naturaliser!"

Grock a réussi grâce à un numéro,toujours le même, qu'il peaufinait sans cesse, avec la minutie et l'obstination toute horlogère de sa terre natale. Il s'était d'ailleurs inspiré de l'accent traînard de ses compatriotes avec ses fameux "pourquoâââ" et ses "sans blâââ-gue". Lui, le moins que rien, était arrivé à l'autre opposé.

Clown de génie mais aussi homme d'affaires redoutable, il était devenu riche, très riche. Peu attiré par les femmes, il adorait jouir de sa richesse patiemment amassée. Joueur, il disputait de fiévreuses parties de billard. Mondain, il fumait de gros cigares. Mégalo, il se fit construire un château rococo, à Imperia, sur la Riviera italienne, style facteur Cheval et Rocambole. Un palais qui suscita même la convoitise du brave Alphonse XIII qui proposa à son bienheureux propriétaire de l'acquérir, mais qui se vit répondre: "Ce château n'est pas à vendre, il appartient déjà à un roi, au roi des clowns !

Comme un ultime feu- d'artifices, Grock est mort dans sa villa de rêve le 14 juillet 1959. Dernière grimace. A l'entrée de son palais on pouvait lire: "C'est ici où je ris".

Le violoniste Max van Embden, fidèle partenaire de Grock durant plus de trente ans et qui vivait à Genève, est mort en août dernier à l'âge de 93 ans. Il aurait été ingrat de ne pas citer ce fabuleux faire-valoir à la verve contagieuse. La boucle est bouclée. Mais la règle du jeu nous rappelle que le spectacle continue. Adieu Max

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 Charles Adrien Wettach, dit Grock, est né le 10 janvier 1880 en Suisse et est  mort le 14 juillet 1959 en Italie.

GROCK EN 1947

Il a fait rire tous les chefs d'Etat, sauf Hitler et Mussolini ! Pour lui n’existe qu’une doctrine : l'optimisme. C’est celle qu’il impose au monde par la pitrerie. "Le rire est la santé de l’âme" affirme-t-il. Missionnaire en son genre, ce bouffon est nourri de dons puissants malgré leur multiplicité. Il en doit une partie à l’hérédité paternelle, l’autre à ses débuts dans la vie. Très tôt, celle- ci s’est appliquée à ne pas toujours le faire rire.

Né à Loveresse, dans le canton de Tessin, d’une mère douée pour la musique et d’un père, horloger par nécessité mais baladin par vocation. Adrien Wattach (tel est son nom véritable) préfère très tôt la compagnie des tireurs à l'arc, des champions de lutte et des acrobates à celle de l’instituteur et du pasteur. Encouragé par l’exemple de son père qui n’hésite pas. un beau jour, à abandonner sa boutique pour partager la vie errante d’une troupe déquilibristes, il se lie d’amitié avec un clown réputé, Franz Wetzel, dont il s’ingénie à copier les grimaces. Quand celui-ci quitte le pays qu’il a cessé d'amuser, Adrien éprouve sa première déception. Il tombe malade, dépérit. Le médecin diagnostique une tristesse chronique. Un seul remède; l’autoriser à suivre la tournée de Wetzel. Ainsi devient-il un virtuose du piano.

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(extraits d'un article publié en 1947)