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Quiconque n'a jamais trempé ses lèvres dans un Springbank ou un Lagavulin, n'a jamais connu le bonheur de communier avec la terre, l'air, l'eau et le feu... Visite au pays des lochs.
Pour beaucoup, l'Ecosse évoque un pays de radins où les autochtones mâles portent des jupes sans rien dessous et vivent dans des châteaux hantés par leurs ancêtres. Mais l'Ecosse est aussi un pays d'une beauté sauvage, où les éléments naturels s'associent subtilement pour produire le "scotch malt", un whisky au caractère exceptionnel et d'une complexité inégalée parmi les eaux-de-vie. A chaque gorgée de ce nectar, dont la robe varie du jaune paille à l'ambre, le néophyte découvre avec étonnement un subtil équilibre entre la douceur de l'orge maltée - composante dominante des whiskies écossais - et la force des feux de tourbe. Ce sont eux qui confèrent au single malt son merveilleux bouquet. Cette puissante symphonie s'enrichit encore avec l'eau jaillisant des roches granitiques, l'air vif des Highlands, l'odeur des bruyères, du iode ou des embruns venus lécher les landes. Même l'amateur de cognac, souvent méprisant pour l'eau-de-feu des porteurs de kilt, lui envie cette large palette de nuances.
Highlands et Lowlands
Après avoir trempé les lèvres dans un single malt, la plupart des gens reviennent à contre-cœur aux blended (whisky d'assemblage provenant principalement d'orge non maltée, Johnny Walker, Ballantines, Chivas,etc.) ou aux bourbons (whisky américain). Outre sa complexité, ils en découvrent peu à peu la diversité en s'aventurant d'une distillerie à l'autre. Car les single malt ont tous un caractère propre à leur région. Ceux des Highlands - les plus connus - se distinguent par leur rondeur, leur goût de fumée et une note de sherry. Ceux des îles, par la tourbe, le iode et un relent d'algues marines. Les whiskies de Campbeltown sont salins et profonds. Ceux des Lowlands exceptionnellement doux. Ces quatre régions regroupent les quelque cent vingt distilleries que compte l'Ecosse. La plupart sont plus que centenaires. Même si certaines se sont dotées d'équipements modernes, le mode de production reste artisanal. Pour les Ecossais, distillation rime avec tradition. Un seul étranger, ancien viticulteur du Bordelais, Michel Couvreur, a pu s'initier à ces rites. Son savoir-faire, ainsi que la pureté de l'eau de la source près de laquelle il a installé sa distillerie, lui permettent de produire un whisky qualifié d'exceptionnel.
Percée spectaculaire
On peut s'étonner que, vu le nombre de distilleries, les single malt soient encore si peu connus dans nos vallées. La faute en incombe principalement aux importateurs. Craignant que le caractère bien trempé des scotches n'effraie les consommateurs, ils préféraient se rabattre sur les biended. Ce n'est que dernièrement que les single malt ont opéré une percée spectaculaire en Europe, notamment grâce aux boutiques free-tax des aéroports. Depuis lors, ils ne cessent de faire de nouveaux adeptes. Si c'est en Italie que l'on trouve le plus vaste choix sur notre Vieux-Continent, il est désormais possible de dénicher en Suisse d'excellents crus, en général chez des négociants en vin. Vous pourrez ainsi initier votre palais à ce monde étonnant, peuplé de bouteilles aux noms aussi poétiques qu'imprononçables.
Pour profiter pleinement d'un single malt, il est nécessaire de respecter certains principes lors de sa dégustation. Tout d'abord, il se boit à la température ambiante. Ensuite, les glaçons, comme l'eau gazeuse, sont proscrits. Inutile de préciser que l'adjonction de Coca-Cola représente l'hérésie suprême! Par contre, une larme d'eau plate, dans le verre ou à part, est conseillée. En guise d'apéritif, on commencera par les plus civilisés. Par exemple, la douceur d'un Cardhu, d'un Glenkinchie ou le caractère subtil d'un Glenmorangie, dix-huit ans d'âge. A moins de céder à la sensation de légèreté de l'Isle of Jura ou du Talisker. A la différence du cognac, certains whiskies pur malt se marient fort bien avec les mets.
Avec un jambon cru ou un saumon, les relents d'embruns et d'algues marines d'un Lagavulin, d'un Port Ellen ou d'un Caol Ila feront merveille. Au dessert, on associera pourquoi pas le caractère et la rondeur d'un Oban, d'un Tormoreou d'un Bruichladdich. Une fois les assiettes rangées, on choisira pour la digestion entre la bruyère du Highland Park, les délicates tonalités aigres-douces du Dalmore ou les notes de calvados et de sherry d'un Macallan, dix-huit ans d'âge. Enfin, "last but not least", en toute fin de soirée, confortablement installé dans un fauteuil, en train de refaire le monde avec des amis, on s'abandonnera aux plus sauvages. Le Bowmore, très iodé, le Laphroaig, le plus fumé et le plus huileux de tous, ou, pour terminer en beauté, le seul single malt à faire l'unanimité parmi les spécialistes, un sublime Springbank, d'au moinsvingt ans d'âge!
Si le vin est le sang de la terre, nul doute que le single malt en est l'âme. Il suffit de respirer son parfum pour s'en convaincre. Et après avoir fait sa découverte charnelle, on approuvera ces quelques lignes de Michael Jackson (pas le buveur de lait décoloré d'outre-Atlantique, mais le spécialiste mondial du whisky): "Il est bien étrange que les gens puissent ne pas aimer le scotch, mais les âmes pusillanimes hantent cette terre. Le plus souvent, elles en ont après ce qu'elles appellent son goût médicinal (...). En fait, elles en ont après la tourbe, comme le rustre qui se plaindrait d'un soupçon de cèdre dans un cabernet de première cuvée du Bordelais"*. Que dire de plus, sinon "Sl´ainghie vha !", comme on dit là-bas, au pays des lochs.
* M. Jackson, "Le grand livre du whisky", Editions Larousse
article de Jean-Luc Maradan paru dans un quotidien suisse en 1996
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