Long et mince, frais et rose, le ver de terre se plaît surtout à la campagne où, solitaire et retiré, il vit comme Cendrillon, mais sans le moindre espoir de chausser, quelque soir, des pantoufles de ver.

Extrêmement mou de sa nature, incapable pour arriver de faire ni des pieds ni des mains, il ne met sa souplesse au service d'aucune ambition et ses menées souterraines n'ébranlent jamais les bases de notre société.

Il ne sort de son trou que contraint et forcé soit, tombant sur un bec, pour se faire gruger par de vulgaires volailles, soit pour participer à quelque partie de pêche et se laisser asticoter de façon fort désagréable.

Certain ver de terre, cependant, défraya naguère la chronique. Ce ver galant, amoureux d'une étoile, exhala sa passion, tel un simple Lamartine, dans le langage des vers. Il eut beaucoup de succès.

Mais quelle était la femme aimée ? Un premier sujet du corps de ballet ? Une vedette de music-hall ? Une star de cinéma ?... (1) Nul ne l'a jamais révélé. Et personne ne saurait dire ce qui charmait le ver, dans sa brillante étoile : la beauté, la richesse ou le fromage blanc ?

Le flirt, du moins je le suppose, ne dut pas aller très loin. La dame, le jugeant trop ver, méprisa vraisemblablement ce modeste soupirant en qui elle n'eût point trouvé, si minime que fût sa pointure, une chaussure à son pied !

D'autres vers, moins audacieux, pour s'être épris d'une frisée ou d'une tendre romaine, finirent lamentablement dans le panier à salade.

Le ver de terre, en somme, est un malheureux dingo. Il se tord, sans raison, comme une petite folle et ne sera jamais accepté dans les salons tant qu'il n'aura pas perdu cette fâcheuse habitude de se promener tout nu.

 

Jean Bonot

 

(1) D'aucuns prétendent que l'étoile était une reine... et le ver, un ver à pieds. C'est assez invraisemblable.

 

paru dans un quotidien en 1923

 

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Vert galant : homme d'un certain âge encore alerte et entreprenant auprès des femmes... Surnom attribué au roi de France Henri IV.