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Quand on brûlait les sorcières ...
A l'image de l'Europe entière, le Pays de Neuchâtel (Suisse) connut un XVIIe siècle placé sous le signe de la chasse aux sorcières. Voici quatres histoires écrites par M. Alfred Guye et publiées en 1985 dans un quotidien suisse.
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1620. Les procès de sorcellerie se succèdent les uns aux autres dans toute l'Europe. Le Pays de Neuchâtel n'est pas épargné. Les bûchers sont allumés plus souvent qu'à leur tour. En 1620, le territoire du comté était sensiblement le même qu'aujourd'hui, à l'exception de Lignières (propriété du prince-évêque de Bâle) et Le Cerneux-Péguignot, village catholique alors français. Neuchâtel était une ville d'environ 3000 habitants, limitée au sud par le lac, au nord par le Seyon. La rivière coulait par la rue qui aujourd'hui porte son nom. Le cours d'eau provoquait souvent des inondations catastrophiques à l'intérieur des maisons. A l'est, la ville était limitée par des fortifications allant de la tour des Chavannes au lac. Enfin, les remparts du château et la tour des prisons fermaient la localité en ouest. Le souverain du pays était alors Henri II de Longueville, prince français représenté dans son domaine par un gouverneur. Pendant son règne, ce poste fut occupé successivement par Jacob Vallier (jusqu'en 1623), François d'Affry, Fribourgeois au service des armées deFrance, et, dès 1645, Starray Molondin. Un des personnages les plus importants à Neuchâtel à l'époque était David Favarger, juge au tribunal desTrois-Etats, procureur général en 1628, conseiller d'Etat, maire du Locle en 1630-31, maire de Neuchâtel en 1642. Il jouissait de l'entière confiance d'Henri II de Longueville et reçut de lui une lettre de noblesse en 1641.
HENRIOPOLIS DANS LES TIROIRS
Comme procureur général, il exerça une influence certaine dans les procès de sorcellerie, si nombreux à l'époque qui nous occupe. A côté d'eux, Jean Hory était secrétaire d'Etat et lieutenant du gouverneur. Homme très actif, dévoué au souverain, mais aussi ambitieux et volontaire, Hory avait conçu le projet de construire de toutes pièces une nouvelle ville commerçante à l'embouchure de la Thielle, au bord du lac de Bienne. Cette ville, appelée Henriopolis en l'honneur du souverain, existait sur des plans approuvés par Henri II et devait servir de plaque tournante pour le commerce entre le nord et le sud de l'Europe, comme entre l'est et l'ouest en utilisant les voies d'eau. Elle ne fut jamais réalisée, en tout premier lieu par manque d'argent.
En revanche, Hory réussit à obtenir que Lignières devînt terre neuchâteloise. En 1623, au décès du gouverneur Vallier, il avait espéré en recevoir la charge, mais celle-ci fut attribuée à François d'Affry. Cela fut une source de conflit très grave entre les deux hommes. Peu après, il dut rendre des comptes sur sa charge de receveur. Il manquait 143.000 livres au trésor. Ses biens furent confisqués, lui-même, proscrit, dut rester 12 ans en exil. En son absence, sa femme fut dénoncée comme sorcière par un détenu du château de Thielle. Nous examinerons en détails son procès qui aboutit à son exécution le 3 juillet 1640.
UNE MAIRIE A LA CHAUX-DE-FONDS
Au début de son règne, Henri II de Longueville était venu au pays. C'était en 1617, il avait 22 ans. Lors de son séjour, il eut de graves démêlés avec les autorités locales de Neuchâtel, spécialement les Quatre-Ministraux, qui formaient l'Exécutif. C'était un conflit de nature religieuse, car le souverain, catholique, semblait bien décidé à rétablir ce culte dans le comté. En outre, les Neuchâtelois tenaient à leurs libertés et privilèges, alors qu'Henri II aurait voulu être souverain absolu en abolissant beaucoup de ces droits. Invités à présenter leurs revendications par écrit, nos compatriotes d'alors avaient répondu que la papeterie de Serrières ne pourrait pas en cent ans fabriquer le papier nécessaire pour les enregistrer. Le lac de Neuchâtel changé en encrier ne pourrait pas fournir assez d'encre pour les écrire. Ils étaient soutenus par Leurs Excellences de Berne, eux aussi fermement opposés à la construction d'Henriopolis. Un traité de combourgeoisie existait entre Neuchâtel et Berne et le souverain dut en tenir compte. Vers la fin de son règne, Henri II eut plus de succès dans sa visite des Montagnes neuchâteloises. En 1656, il érigea la localité de La Chaux-de-Fonds en mairie. Dans ces négociations, le gouverneur Molondin se dépensa beaucoup en faveur des habitants. Abram Robert fut le premier maire de la ville en 1657. La mairie comptait alors près de 1000 habitants. Starray Molondin fit don à la localité d'une horloge provenant du château de Joux. Nous sommes à l'époque de la guerre de Trente ans. Des incursions de maraudeurs se produisirent dans la région du Doubs, parfois avec effusion de sang. En 1657 encore. Colombier fut embellie par les grandes villes de beaux arbres.
DES SOCIÉTÉS DE DROIT...SATANIQUE
L'Histoire montre qu'à l'époque d'Henri II était apparu en Europe, et cela avec une intensité toujours croissante, un crime qui répandait la terreur et contre lequel les tribunaux s'armaient en vain de toutes les rigueurs. Les procédures de l'époque mentionnent qu'il existait une association de scélérats ayant des affinités dans chaque ville et chaque village. Leurs membres se réunissaient - disait-on - la nuit en assemblées très nombreuses. Le Diable était le chef de cette société. Il y paraissait même en personne! Les affiliés s'y livraient à toutes sortes d'abominations et sodomies. Ils y reniaient Dieu, rendaient hommage àSatan, s'engageaient à faire le mal, recevaient du démon des poisons de diverses espèces, s'en servaient pour commettre de nombreux assassinats, tuaient et mangeaient de petits enfants. Ils prenaient plaisir également à nuire aux animaux. Ils pouvaient jeter le mauvais sort sur gens et bêtes, d'où le nom de sorciers. Le Diable leur donnait des esprits malins qu'ils avaient le pouvoir d'introduire dans le corps de ceux auxquels ils voulaient nuire. Ces esprits avaient parfois la figure de moucherons, des "mosilions", comme on disait alors. Ces sorciers avaient aussi le don de marcher sur les eaux, pouvaient se transporter sur de grandes distances à califourchon sur un manche à balai. Ils commandaient également la nature, faisant la grêle et les tempêtes. Toutes ces croyances étaient à tel point ancrées dans la tête des gens que même les personnes cultivées pour l'époque étaient persuadées de leur véracité. Ainsi, à Boudry, le médecin dit à Catherine Bounard dans l'incapacité de la guérir:
- Ma fille, il n'y a rien à faire, vous avez été attouchée par de mauvaises gens !
Le comble est que certains accusés de sorcellerie se sentaient fautifs. On vit à Valangin, le 14 juin 1666, Madeleine Simonin venir se livrer à la justice en s'accusant elle-même ! Le médecin de Boudry n'était pas seul dans ses croyances. Pasteurs, curés, magistrats, à plus forte raison les témoins cités, jurés, juges et bourreaux les accompagnaient. Pourtant, nous ne sommes pas à une époque barbare, d'ignorance. Sciences, arts et lettres fleurissaient. C'est l'époque de Colbert, La Fontaine, Boileau, Bossuet. On allait construire Versailles, on applaudissait Molière, on admirait les lettres de Mme de Sévigné.
FLAMMES TOUS AZIMUTS
Chez nous, c'est la jeunesse du grand théologien Osterwald, contemporaine de ces procès. Le Pays de Neuchâtel, nettement moins peuplé qu'aujourd'hui, était divisé en neuf juridictions criminelles. Les procès de sorcellerie s'y déroulaient à un rythme effréné. En 1619 et 1620, on a brûlé 13 sorciers à Colombier. En 1619, àValangin, on en brûlait 10. En 1647, le châtelain de Thielle faisait bouter le feu à 11 sorciers en deux mois.En novembre 1665, à Thielle encore, 10 sorciers de Lignières étaient livrés aux flammes. L'un d'eux, Michel Gauchat, indiquait les noms de 31 personnes de Lignières, Nods, La Neuveville et du Landeron qui fréquentaient les danses diaboliques. Effrayant bien sûr, mais ailleurs ce n'était pas mieux. L'année 1629 vit livrer aux flammes 62 personnes à Stans. A Bamberg, en Allemagne, de 1625 à 1630, on brûla 600 personnes. Aux environs de Trêves, 20 villages furent dépeuplés. En Angleterre, c'était pire encore. Même des duchesses et des gentilshommes furent condamnés. De 1627 à 1629, l'évêque de Wurzbourg fit jeter au feu 857 victimes. La reine Christine de Suède fit brûler en un seul jour 72 sorciers et 15 enfants. En France, les prisons étaient pleines de sorciers. Un des juges prétendait qu'il y avait, en 1594, 300.000 sorciers dans le royaume. En 1617, on fit brûler la maréchale d'Ancre, en 1635 le curé Urbain Grandier, en 1680 la Voisin, une criminelle également accusée de sorcellerie. La même année, on arrêtait le duc de Luxembourg.
PLANTES HALLUCINOGÈNES
Comment une telle calamité a-t-elle pu sévir dans toute l'Europe? Comment a-t-elle pu prendre naissance et se développer? C'est au milieu du XVe siècle que l'on commença à se méfier de certaines gens, les "Zigeuner" ou "Bohémiens", appelés aussi "Egyptiens". Ces gens-là pratiquaient presque ouvertement la magie, un peu plus tard l'alchimie et l'astrologie dans les cours des souverains d'abord, dans les châteaux de la noblesse, puis dans le peuple.On faisait alors grand usage de plantes dans les remèdes et enchantements ! Malheureusement, ils se trouvait aussi des personnes qui faisaient mauvais usage de ces produits, induisant en erreur des malheureux, des femmes perverses. Elles se faisaient passer pour le diable et remettaient par l'intermédiaire de gens influençables des poudres nuisibles, afin de porter préjudice à leurs ennemis. Bien entendu, ces poudres, comme les onguents fabriqués, pouvaient être à base de plantes provoquant des hallucinations, des malaises, des empoisonnements. Ils'agissait avant tout de la belladone, la jusquiame, la stramoine, la mandragore, d'autres encore. Cependant, la cause principale était la surexcitation des esprits, due à la terreur universelle issue de la recrudescence de la superstition populaire. Curieusement, les femmes étaient plus souvent impliquées dans ces affaires de sorcellerie que les hommes dans la proportion de 10 contre 1. Il suffisait d'être différent des autres gens pour éveiller les soupçons, d'être un peu simple d'esprit, naïf, impressionnable, d'aimer se promener la nuit. Bref, un comportement bizarre pouvait aboutir à une accusation. De plus, on pouvait facilement être victime d'une vengeance, de méchanceté ou de haine, aboutissant à une accusation fantaisiste du crime de sorcellerie.
CHÂTEAU DE VALANGIN. - Madeleine Simonin vint s'y accuser elle-même de sorcellerie.
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En cas de soupçons, la procédure était faite avec un sérieux qui peut nous étonner, mais nous prouver aussi combien préjugés et superstitions étaient, dans les mœurs du temps. Une enquête préliminaire et secrète avait lieu. Tout d'abord, on entendit des témoins souvent en grand nombre. Il leur était recommandé de bien examiner leur conscience avant de témoigner. Ils étaient assermentés. Si l'accusation pour sorcellerie était portée par un détenu, le juge l'admonestait de ne faire tort à personne pour l'enfer et le paradis. Pour cette raison peut-être voyons-nous, le 21 janvier 1585, Marie Breguet, condamnée à être brûlée vive, disculper, au moment de périr, quatre personnes qu'elle avait accusées. De même, Pervenon Gérard, des Geneveys-sur-Coffrane, réfute deux accusations à Neuchâtel dans des circonstances identiques.
Que pouvaient déclarer ces témoins au tribunal. Nous avons le dossier concernant le procès de Rebecca Walther, d'Hauterive, incarcérée à Thielle. Jacques Baillod dit que s'en retournant parfois de Neuchâtel à Saint-Biaise après le jour il avait rencontré Rebecca descendant la Combe ne sachant pas où elle allait. Pierre Reynaud rapporte que son chien Boret était ressorti malade de la maison de Rebecca Walther. Moyse Jaccottet rapporte qu'il avait acheté une vache prête à vêler à Siméon Berthod, mari de Rebecca, mais que celle-ci s'était opposée. La vache perdit presque tout son lait après avoir vêlé. Suivent d'autres témoignages du même genre. L'enquête préalable étant terminée le 26 janvier1647, l'interrogatoire eut lieu le 5 février. On ignore dans quelles circonstances elle fut amenée à avouer que quinze ans plus tôt, elle s'était donnée au diable, apparu sous la forme d'un homme habillé de noir ayant comme des pieds de bœuf et qui s'appelait Pierrasset, et qui l'avait marquée sur l'épaule droite. Rebecca avoua d'autres choses encore sous la torture. C'est ainsi que l'on déterminait ou non l'arrestation des suspects, qui étaient enfermés dans une tour du château de la juridiction.
HAUTERIVE. - Rebecca Walther, femme de Siméon Berthod, fut convaincue de sorcellerie grâce aux témoignages épouvantés de ses voisins.
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C'est après avoir entendu les témoins durant l'enquête préliminaire que se décidait ou non l'arrestation du suspect. Une fois le prévenu arrêté, on l'enfermait dans une tour du château de la juridiction, dans un "croton", dans lequel on descendait avec une échelle, ou des cages de poutres en chêne assujetties par des boulons de fer, telles qu'on peut les voir au château de Valangin ou à la tour des prisons de Neuchàtel. Dès le premier jour, le maire ou le châtelain posait des questions précises concernant toutes les accusations portées contre lui, et cela en présence de quatre ou cinq jurés. Ceux-ci étaient eux aussi assermentés sous peine de perdre une part au paradis ! Si la confession attendue n'aboutissait pas, comme c'était généralement le cas, l'autorisation de soumettre l'inculpé à la torture était demandée au Conseil d'État, qui l'accordait ou non. Mais l'accusation de sorcellerie était si grave que le supplice avait généralement lieu.
La première phase était la "territion", c'est-à-dire qu'on expliquait au prisonnier l'horreur de tout ce qui l'attendait. Puis on le déshabillait, on lui passait une chemise grossière et on l'exposait à la question simple. Une poutre le relevait au plafond, suspendu par les mains liées derrière le dos. Il y restait un temps plus ou moins long au gré de l'officier. Si le prisonnier persistait à nier, on passait à l'épreuve de la marque. On croyait en effet que toute personne dévouée à Satan portait sur son corps le signe de cette appartenance, reconnaissable à une insensibilité locale. Aussi le bourreau épilait-il soigneusement tout le corps de l'accusé, puis piquait les endroits qui lui semblaient suspects. L'épreuve de la poutre pouvait être renforcée en attachant aux orteils du prisonnier un poids de 25, puis 50 ou 100 livres, soit environ un quintal. On procédait en général à deux extensions par jour, chaque fois entre une et quatre heures de temps. Pour corser le tout, on pouvait lâcher brusquement la corde et hisser à nouveau et rapidement le prisonnier. Enfin, en cas de nécessité extrême, on pouvait écraser pouces et jambes avec des boulons jusqu'à ce que le sang coule et que les os soient touchés. Si cette dernière épreuve, qui, chez nous, ne pouvait être appliquée qu'une seule fois, ne provoquait pas d'aveux, on relâchait le prisonnier. Celui-ci n'était alors toutefois pas au bout de ses peines. Il était contraint à ne plus jamais quitter sa maison ou alors exilé. Étiennette Tachuz, de Peseux, a été condamnée à 101 ans d'exil ! Il semle pourtant que, dans nos régions, l'épreuve des membres serrés entre des boulons n'était guère acceptée par les Quatre-Ministraux. Dès 1640, ils se rendirent compte de l'injustice de ce traitement. Plus tard, le gouverneur Stavay Molondin fut du même avis. Dans d'autres pays, la torture était bien pire.
ÉXECUTION EXPRESS
Une fois les aveux arrachés, on procédait au "libéré". L'inculpé, en public, à genoux et tête nue, confirmait ses aveux devant les juges et les gens rassemblés. À Thielle, cela se passait sur le pont devant le château. À Neuchàtel, devant la porte principale de la collégiale. On pouvait alors passer au jugement. Pour cela, lechâtelain demandait l'avis de douze jurés, puis envoyaitle résultat de l'enquête et des délibérations au Conseild'État, ainsi qu'au gouverneur. Après avoir contrôlé le bon fonctionnement de la justice, un arrêt définitif était rendu. Si l'on sait que le gouverneur François d'Affry voulait à tout prix extirper à tout jamais la sorcellerie du pays, on comprend encore mieux que la condamnation à mort était inévitable. L'exécution avait lieu le même jour que la sentence. Bien entendu, Rebecca Walther (voir plus haut) fut exécutée à Thielle. Le premier procès de sorcellerie s'est déroulé au Val-de-travers en juillet 1580, sous la présidence du châtelain Jean Verdonnet, contre Guyette et Claudia B, toutes deux de Fleurier, et Junon M, de Saint-Sulpice. Guyette,âgée de 70 ans, déclara dans les interrogatoires qu'elle s'était donnée au diable 34 ans plus tôt. Elle dit avoir d'abord enlevé un enfant à Jeanne M, qu'elle s'était aidée à manger avec plusieurs de ses complices à la combe des Mailles. Elle avait encore enlevé un enfant à Jacques C. et tenté de faire de même, mais en vain, avec un autre aux Verrières. Elle avait fait peur à des enfants et à des animaux.
BRULEES VIVES
Elle s'était rendue plusieurs fois aux assemblées du diable montée sur un "remasse", c'est-à-dire un balai ! Les trois femmes furent brûlées vives. Procès et condamnations furent si nombreux qu'il est impossible de les citer tous. Du reste, elles se ressemblent toutes. Dans une procédure entamée au Landeron, il est dit de quatre femmes qu'elles semaient du "pousset" dans les pâturages surplombant Lignières dans le but de nuire au bétail. Lorsqu'elles remarquaient qu'un orage se préparait, elles s'approchaient des fontaines et des sources, frappaient l'eau avec des baguettes blanches dans le dessein de provoquer la grêle. Bien entendu, les quatre femmes avaient été condamnées. L'une d'elles, Laurenette, fille de feu Gerber, de Fenin, avait déclaré que, neuf ans auparavant, revenantde la forêt en plein midi, se trouvant derrière le château, succombant de fatigue sous le poids d'une charge de bois, elle pleurait et se désolait de ses labeurs journaliers. Alors survint un homme vêtu de noir, qui lui dit:
- Pauvre femme, tu as bien du mal. Mais si tu voulais te donner à moi, je te ferais riche.
Ayant prononcé le nom de Jésus, elle vit l'homme disparaître, mais il revint aussitôt. Elle renia Dieu, fit hommage à Satan en lui baisant la main. Elle dit être allée quatre fois au Sabbat, où elle dansait avec des compagnons au son du violon. Marie, fille de Claude Abian, de Lignières, fit une déposition dans le même sens. Pour toutes les quatre, la sentence fut qu'elles fussent livrées aux mains de la haute justice. Elles devaient être noyées et mises en terre.
PROCÈS IRRÉGULIER
Le procès de Madeleine Hory-Fornachon fut entaché d'irrégularités ! Il fit beaucoup de bruit à Neuchàtel en 1640. Le gouverneur d'Affry et le procureur général Favarger semblent avoir joué un rôle personnel, critiqué déjà par un contemporain, le chancelier de Montmollin. Madeleine Hory, femme de Jean Hory alors en exil (voir plus haut), fut accusée de sorcel-lerie par une détenue du château de Thielle, la nommée Perrenon Méguin, elle-même condamnée pour sorcellerie. Or, cette femme avait été enlevée par le procureur général aux autorités de la ville de Neuchàtel et emprisonnée à Thielle. Madeleine Hory, bourgeoise de Neuchàtel, fut elleaussi conduite à ce château, dépendant d'un juge impi-toyable en matière de sorcellerie, or, être accusé d'un teldélit par une détenue était sans recours possible. Etaucun témoin n'était cité. Perrenon Méguin, soumise àla torture, avait déclaré avoir vu Madeleine Hory lorsd'une danse diabolique à Neuchâtel.
A LATORTURE
Soumise à la torture, Madeleine Hory nia tout, ne put être convaincue de sorcellerie. Mais elle avoua autre chose. Il y a plusieurs années, sa propre mère avait été accusée de sorcellerie. Son mari, elle-même et deux de ses frères, pour éviter la honte d'un procès pour un crime si grave, avait décidé d'empoisonner leur mère. Un ingrédient gris comme le sel avait été préparé, mis dans un bichet de genièvre et porté par son frère Jean-Jacques de Neuchàtel à Auvernier, où résidait la mère. Celle-ci avait pris le poison de son propre gré. Madeleine Hory déclara que Dieu avait permis qu'elle-même soit accusée de sorcellerie pour permettre la découverte du parricide, afin d'en recevoir la juste punition. David Favarger fit arrêter les deux frères Fornachon, enfermés au château de Colombier et interrogés par lemaire. Le procureur général réussit à obtenir de les juger lui-même. Dix jours plus tard, ils étaient exécutés. Normalement, tout aurait dû se faire sous l'autorité et le contrôle des autorités de la ville de Neuchàtel. Après coup, doute et contestation apparurent sur cette affaire. Quant à Madeleine Hory, conduite en "libéré", sur le petit pont du château, elle devait confirmer sa déposition en présence du notaire Jean Cordier et de onze autres jurés. La sentence fut prononcée le 2 juillet 1640. Madeleine fut condamnée à être abandonnée aux mains de l'exécuteur de haute justice et conduite à la roue. Cette sentence fut soumise au gouverneur François d'Affry, qui la modéra. Madeleine Hory eut la tête tranchée et son corps fut mis en terre sur le lieu d'exécution.
CAGE EN POUTRES DE CHÊNE. - Les personnes fortement suspectées de sorcellerie étaient enfermées
dans des cellules comme celle-ci, encore visible à la Tour des prisons à Neuchàtel.
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Voici l'histoire d'une femme bizarre qui, à l'époque des procès de sorcellerie, avait certainement été accusée et conduite devant le tribunal. Arriva un jour dans l'un de nos villages une petite femme noire et laide, au nez incroyablement long et pointu. Elle portait dans un mouchoir à carrés jaunes et rouges tout ce qu'elle possédait. Dans un jargon mi-français mi-allemand, elle explique aux autorités qu'elle avait eu des chagrins dans son pays natal, que son mari était mort et qu'elle désirait gagner sa vie en faisant des journées dans un lieu où rien ne lui rappellerait son passé. Elle fut autorisée à rester et quelques dames la prirent en journée pour aider au ménage. Elle se révéla très capable et habile. Pourtant les gens ne l'aimaient pas. On l'appelait la "Quibi" (la sorcière).
D'étranges bruits commençaient à courir sur son compte. Les voisins racontaient que dans son logis, la nuit, on entendait du tapage, des voix d'hommes et de femmes. Et pourtant personne n'entrait ou ne sortait. On prétendait qu'elle sortait vers minuit par clair de lune et se dirigeait vers le cimetière accompagnée de Balthasar, un énorme chat blanc. Un soir, un vigneron sortait du café un peu éméché et la suivit. Il devait rentrer chez lui livide et tremblant. Il aurait vu la "Quibi" entrer dans le cimetière en faisant des gestes et prononçant des paroles incohérentes tout en se promenant entre les tombes. Puis, la terre se serait soulevée et David Pinson, un mauvais drôle décédé un an plus tôt, était apparu, ainsi qu'une fille de rien, morte également, Elodie Brun.
La "Quibi" perdit des journées à la suite de cette histoire. On lui reprochait aussi de préparer, au moyen de plantes dont elle connaissait les vertus, des philtres d'amour. On avait peur d'elle. On disait que le fermier Jean bourquin avait perdu ses deux plus belles vaches parce que sa femme avait refusé un abri à la sorcière. Elle vivait ainsi au village haïe et redoutée. Un jour, elle tomba malade et l'on vit qu'elle n'en avait plus pour longtemps. Le bruit courut qu'elle ne voulait pas se laisser hospitaliser pour ne pas se séparer d'un magot. Deux voisines s'offrirent pour la garder lorsqu'elle fut au plus mal. Le chat Balthasar ne quittait plus le pied du lit. On disait que la "Quibi" refusait de mourir parce qu'elle s'était vendue au Diable.Quand elle expira, on prétendit qu'une forme monstrueuse s'était penchée sur le lit. Lors de sa dernière toilette, on découvrit sur son épaule l'armoirie de Berne imprimée dans la chair par un fer rouge, de la main du bourreau sans aucun doute. On se mit à chercher le magot et l'on trouva un paquet enveloppé d'un mouchoir à carreaux jaunes et rouges, contenant une brassière, un bonnet de bébé et une barrette. Contre toute attente, rien d'extraordinaire ne se passa le jour de l'enterrement. Mais, à cause de l'horreur qu'inspirait.la misérable femme, personne ne voulut prendre quoi que ce soit de ce qui lui avait appartenu. On chargea son mobilier sur un char et le brûla sur un terrain vague.
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Autodafé d'un sorcier
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