LE POSTERIEUR

De ce que tout ua chacun le traite sans égards et, pour tout dire, s'assied dessus, il ne faudrait pas conclure qu'il ne joue pas, parfois, en ce bas monde, un rôle de premier plan.

Si le front peut briguer la tiare, si la main peut aspirer au bâton de maréchal, à qui sont réservés les trônes, les fauteuils de l'Institut, les sièges du Palais-Bourbon, sinon à des postérieurs royaux, académiques ou simplement honorables ?

A celui qui peut entrevoir de si hautes destinées pourquoi refuserais-je l'hommage de quelques lignes bien senties dans cette modeste galerie de nos camarades de corps ? et pour- quoi, seul, Je, postérieur ne passerait-il pas à la postérité ?

Notre héros plus connu du vulgaire sous le nom de derrière, est assez peu répandu dans les salons où ses apparitions sont extrêmement rares, et dans les salles de concert où il ne se fait entendre que tout à fait, accidentellement.

Rose et joufflu dans sa tendre jeunesse, il exhibe à tout venant ses fraîches rotondités qu'agrémente un nuage de poudre.

Plus tard il se montrera plus modeste et moins coquet. Il fera fi des fards et des vains artifices et ne recherchant pas les coiffures compliquées, vous ne le verrez jamais se peigner à l'embusqué, à la Jeanne d'Arc, à la Capoul, ni même tout bonnment, porter la raie à gauche.

Le chapitre de la chaussure est sans aucun attrait pour lui et lorsque, d'aventure, le derrière se fait botter, c'est généralement à son corps défendant.

S'il a quelques menus défauts, ou ne lui connaît qu'un vice : il a la fâcheuse habitude de prendre culotte sur culotte. Malgré cela l'humanité peut se reposer sur lui. Je dirai mieux: elle trouve en lui son fondement le plus sûr.

Mais l'humanité est ingrate. Elle ignore le malheureux ; on croirait quelle en a honte. Et, alors que tous tes patrons assurent leurs ouvriers, leurs bonniches, leurs femmes rie ménage, alors-que, centre tous risques, les pianistes prémunissent leurs doigts et les chanteurs, leurs larynx, il n'y a guère que les stratèges qui songent, à l'occasion, assurer leurs derrières.

Mais, qu'importe au postérieur ? pnilosophe et bon enfant, il oublie toutes les avanies quand il a, suprême orgueil, l'honneur, de porter la bannière.

Jean Bonot.

publié en 1922