ACCUEIL | LE BROL | LES PIEDS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES PIEDS

 

Très chatouilleux, bêtes comme feu leur père et souvent puants de prétention, les pieds, à part quelques pieds plats, sont de fidèles camarades qui nous suivent ici-bas, mais qui partent bravement devant quand a tinté l'heure du dernier voyage.

Serviables, ils s'entremettent volontiers pour leurs maîtres et bien des lèvres, je gage, ne se seraient jamais jointes si, dans l'ombre complice des nappes damassées, un pied, discret messager, n'avait tâté le terrain et fait en tapinois les premières avances.

Dévouement désintéressé ? N'en doutez pas. Nous sommes sympathiques aux pieds, que dis-je ? nous les bottons.

Le pied, en général, se contente de peu. Au tout petit on donne des chaussons. Le grand se satisfait — ordinaire bien modeste — comme bifteck d'une semelle, comme légume d'un oignon ! Peut-être, plus industrieux, pourrait-il améliorer ce régime presque spartiate. Mais ne sachant rien faire de ses doigts, il n'est même pas capable de cultiver son humble plante qui s'aplatit sur le sol, lamentable et racornie !l

Certains, pourtant, venus à Paris en sabots ont su y faire leur chemin, transpirent aujourd'hui dans la soie et tiennent le haut du pavé. On voit même des valets de pied sanglés dans de'brillantes livrées.

Mais l'opulence rend-elle les pieds plus heureux, les empêche-t-elle d'avoir le cor meurtri et douloureux, de souffrir de mille inquiétudes, d'être dans leurs petits souliers ? Si seulement ils vivaient largement ! Mais chez les pieds, comme chez les bourgeois, ce sont toujours les riches qui sont les plus serrés.

Malgré qu'il manque de charme au physique comme au moral, le pied l'emporta quelquefois sur les créatures du beau sexe : quiconque, jeune débutant, s'installe dans une ville, s'efforcera d'y prendre pied avant que d'y prendre femme, et le banquier crapuleux, mû par l'horreur du gendarme, songera plus fréquemment à lever le pied... qu'une poule.

Mais, en règle générale, le pied est peu considéré. On le regarde de haut en bas et s'il arrive, d'aventure, qu'on le reçoive quelque part, ce n'est jamais volontairement et l'on omet d'ordinaire d'aviser de l'événement MM. les chroniqueurs mondains.

 

Jean Bonot.

 

publié en 1922

 

 

 

coup de pied au cul

 

___________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACCUEIL | LE BROL | LES PIEDS

 

 

bachybouzouk.free.fr