LE PERE NOEL

 

 

Les parents trouvent ça très bien. Moi, si j'avais une fillette, je ne tolérerais jamais qu'elle acceptât quoi que ce fût d'un vieux monsieur inconnu.

Or, ce bonhomme Noël, nul ne saurait dire d'où il sort, quels sont ses antécédents ni ses moyens d'existence. Vend-il du buis, le dimanche des Rameaux? Commande-t-il un théâtre ? Chante-t-il, dans Faust, le chœur des vieillards? Mystère!

Vêtu d'une chaude pelisse, douillettement encapuchonné, il s'amène, chaque année et, la hotte sur le dos, escaladant nos immeubles, comme un jeune monte-en-l'ai, il inonde de mille présents notre innocente progéniture. De quel droit et dans quel but?

J'ai vu, naguère, appréhender, à la sortie de la laïque, un digne septuagénaire convaincu d'avoir distribué à quatre petites poulbotes un demi-quarteron de crottes pralinées !... Le Père Noël, que je sache, n'a jamais été inquiété. Et son crime, pourtant, s'aggrave de circonstances de nuit et d'escalade !

Pourquoi deux poids et deux mesures ? Les toits sont-ils trop éloignés du Parquet pour que celui-ci s'intéresse à ce qui se passe sur ceux-là ?

Une enquête sérieuse s'impose. Il est urgent que l'on sache ce qu'est exactement cet étrange maniaque, que l'on s'enquière de sa famille et de son genre de vie. A-t-il des papiers? Vote-t-il? Et pour qui ?. Que pense la mère Noël de ses dilapidations et pourquoi, en plein hiver, laisse-t-il son petit-fils, tout nu, sur quatre brins de paille tandis que, gaillardement, il va, lui, de faite en faite?

Et d'abord, s'appelle-t-il Noël?... Noël, cela sent à plein nez le pseudonyme, le nom de guerre, et c'est, d'ailleurs, l'anagramme d'un prénom fort bien porté par MM. Bourgeois, Bérard et Barthou.

Je suis très enclin à croire que le père Noël, en somme, n'est autre que M. Léon, ce brave et populaire M. Léon, qu'on encourage familièrement en lui criant : Vas-y Léon!

Et, chaque année, il y va de sa petite tournée, passant une revue détaillée des souliers, bottes, et sabots des enfants, et des petites femmes, avec l'espoir de rencontrer, d'aventure, une chaussure à son pied ! Mais, gageons que, parfois, Léon tombe sur la bûcbe de Noël.

 

Jean Bonot.

 

publié en 1921