ACCUEIL | LE BROL | LES OREILLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES OREILLES

 

Sans doute beaucoup d'entre elles seraient-elles demeurées d'une taille assez exiguë si maîtres et parents, pour les faire grandir, ne les avaient tirées un tantinet.

Petites ou grandes, d'ailleurs, de mœurs paisibles et honnêtes, les oreilles vivent isolées, dans les environs des tempes, où chacune d'elles possède un modeste pavillon. Elles y végètent, sans jamais joindre les deux bouts, se laissant souvent écorcher par les mercantis du son : organistes de Barbarie, vielleux et hommes-orchestres.

Dédaignant la soie, le velours, les étoffes somptueuses, certaines ont adopté une tenue tout à fait simple. S'habillant de rien, un peu de coton leur suffit, blanc le plus communément, rose parfois. Mais presque toutes restent nues, sans chaussure? même sans coiffure. ce qui est assez regrettable, vu qu'un bonnet, sur l'oreille, a de suite un petit air crâne, engageant et désinvolte, qui ne manque pas de charme.

Pourtant, les oreilles du beau sexe, que l'on distingue des mâles à une petite fossette creusée par la main de l'homme, — si j'ose m'exprimer ainsi — se parent volontiers de perles, de diamants, d'anneaux d'or et autres colifichets plus ou moins précieux ou tocards. Si l'on rencontre parfois des oreilles dures et paresseuses, qui ne veulent rien entendre, des oreilles grossières et velues, fort désagréables à voir, il en est, par contre, de charmantes, fines, roses, délicates, sensibles aux moindres attentions et que flatte particulièrement une harmonieuse sérénade.

Chose curieuse, ces mélomanes, auditrices exercées, sont incapables d'exécuter le moindre petit morceau, fut-ce sur la trompe d'Eustache.

Au reste, ces pauvres oreilles, de quoi sont-elles capables? Aider le nez à soutenir une paire de lunettes, porter un bout de crayon, une aiguille à tricoter, voire un vulgaire mégot... voilà tout ce qu'elles peuvent faire.

Moins passionnées, enfin, que leurs voisines les lèvres, elles redoutent le baiser, qui leur est presque douloureux. Mais elles sont toujours disposées, quand vient l'heure des confidences, à transmettre fidèlement, au jeune cœur intéressé, les aveux tendres ou polissons que glissent les amoureux dans leur petit tuyau ad hoc.

 

Jean Bonot.

 

paru dans un quotidien en 1922

 

 

 

 

 

 

___________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACCUEIL | LE BROL | LES OREILLES

 

 

bachybouzouk.free.fr