LE NEZ

Atteint d'un sombre coryza — ce mal est sans remède, et j'aurais dû le taire — force m'est de parler du nez.

Le nouveau nez est rose, tendre; minuscule, parfaitement insignifiant. Il vient d'arriver au monde ; il en est tout épaté.

Mais le petit nez gosse prendra de l'éxtension, l'humble morveux deviendra grand ; son caractère s'affirmera ; sa personnalité se dessinera et il ira de l'avant. Arrivera-t-il à quelque chose ? Nul ne le sait. Ce ne sont pas, en tout cas, les aspirations qui lui manqueront.

Vous rencontrerez, par le monde, une variété infinie de nez. Vous verrez des nez vulgaires, qui ne prisent ici-bas que la poudre de Nicot ; des nez fureteurs, indiscrets, qui se fourrent un peu partout ; vous apprécierez, en hiver, la tiédeur d'un nez de Redon, et vous vous laisserez aguicher, au printemps, par un petit nez retroussé comme un alerte trottin. Il y a aussi ces grands nez, dont les dames apprécient l'énergique et mâle vigueur. Mentionnons enfin les gros nez qui, pour être des nez ronds, ne sont pas forcément des monstres.

Bien qu'il possède des ailes, le nez ne pose pas à l'ange. Par les temps froids, il s'offre fréquemment la goutte... petit excès pour lequel il se fait copieusement moucher par son patron.

A ses heures, il est poète, mais les vers qu'on tire du nez, s'ils ont quelquefois du fond, ne riment qu'exceptionnellement. On trouve plus d'esprit d'ailleurs dans ses pieds que dans ses vers. Rien n'est plus vif, plus malicieux, plus spirituellement narquois que certains petits pieds de nez.

Au point de vue économique, la valeur du nez est à peu près nulle. On prétend qu'en pressant certains jeunes nez, on peut en traire du lait. J'ai essayé, et je confesse que, même en utilisant un appareil ad hoc (le pincenez), je n'ai rien vu.

Les fosses nasales, cependant, sont l'objet de la part des petits enfants d'une exploitation intensive, dont ces industriels en herbe destinent, d'ordin.aire, les produits à un usage alimentaire.

Jean Bonot.

publié en 1922