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article publié en 1949
Le Music-Hall va-t-il mourir quinquagénaire?
Il aura fallu cinquante ans au music-hall pour naître, atteindre son apogée puis partiellement disparaître, sinon se transformer. Mais, ceci dit, qu’est-ce que le music- hall ?
Il se présente sous deux formes bien cistinctes. C'est, d’une part, le music-hall de "Variétés", composé de tours de chant, de numéros d’acrobatie, de jonglerie, d'illusionnisme et de danse. De l’autre côté, nous trouvons le music-hall à grand spectacle qui est une succession de tableaux, en principe féeriques, coupée de sketches et d'un ou deux numéros de variétés, animée par une grande vedette, le plus souvent féminine.
En 1900. le music-hall de variétés empruntait ses origines au caf’ conc’, ces cafés chantants où triomphaient les "fins diseurs", les "chanteurs à voix", les "comiques paysans", les "comiques troupiers", les "divettes" et les "gommeuses". Peu à peu les banquistes du cirque, d’ascendance immémoriale. s’infiltrèrent dans le caf’ conc’, en même temps que les forains, restituant ainsi l’atmosphère créée au XVIII° siècle par un précurseur, Nicolet.
Entre 1900 et 1939, tout le monde devait venir au music-hall de variétés, du sportif — tel que Ladoumègue — à l’écrivain en renom — tels Colette, Francis Carco et Tristan Bernard. Ce genre de spectacle affectait une forme synthétique ; il était le carrefour du singulier, le paradoxal point de rencontre de l’exceptionnel. On vit à l'A.B.C. des programmes réunir un grand danseur classique, un pianiste virtuose, des vedettes de l’écran interprétant un sketch, un conférencier, une cantatrice de l’Opéra, une ex-sociétaire de la Comédie-Française dans un tour de poésie, une chanteuse réaliste, des acrobates, des prestidigitateurs et un chansonnier.
Car les chansonniers eux-mêmes, naguère confinés dans les chapelles de leurs cabarets montmartrois, firent un jour le pas et sollicitèrent les applaudissements des foules du music-hall. Du "Lapin à Gilles" à l'Alhambra, en quelque sorte.
un numéro de caf' Conc' en 1905
D'Yvonne George (suivie de Damia et de Fréhel) à Yvette Guilbert et à Marie Dubas
On eût bien étonné les gloires chansonnières d’avant 1914, les Aristide Bruant, les Xavier Privas, les Marcel Legay, les Maurice Boukay, les Ferny ou les Vincent Hyspa en leur prédisant qu’eux-mêmes ou leurs successeurs — de Noël-Noël à René-Paul. en passant par Raymond Souplex — affronteraient un jour des salles de trois mille spectateurs, entre un numéro de trapézistes et l’exhibition de l’homme-aquarium.
Et pourtant ce fut ainsi, à la faveur de ces cinquante années qui eurent leurs gloires, leurs fondateurs de genre et leurs créateurs de styles.
Yvonne George inventa la chanson réaliste qu’illustrèrent par la suite Damia, Fréhel, Edith Piaf et, dernières venues, Renée Lebas et Anne Chapelle. Yvette Guilbert fut sans doute la première chanteuse fantaisiste, ouvrant ainsi la porte à une Marie Dubas, puis à une Lily Fayol et à une Marie Bizet, tandis que Félix Mayol préparait les voies à Maurice Chevalier, à Yves Montand... et à combien d'autres. Fragson et Dickson furent les ancêtres des chanteurs de charme, de Jean Sablon et Tino Rossi à Georges Guétary.
Et d'année en année, le music-hall marquait sa personnalité vis-à-vis du caf' conc’. De même que les numéros de variétés, les tours de chant se servaient d’agrès. Ces agrès, c'était la chanson, dans une interprétation de plus en plus mimée et jouée, où l’artiste déployait toutes les ressources de son physique, de son talent de metteur en scène, de comédien, voire d’éclaragiste.
Marie Dubas
Layton et Johnstone
Layton et Johnstone furent les premiers duettistes
Des présentations nouvelles naissaient des nécessités qui imposaient de vastes scènes. duettistes, prédécesseurs de Pills et Tabet et de Gilles et Julien. Les Comedian Harmonist introduisirent les ensembles choraux des Compagnons de la Chanson, du Trio des Quatre et des Frères Jacques.
Parallèlement, l’alliance se fit entre le chanteur et le poète, entre le chansonnier et le chanteur de charme et l’on, vit apparaître Charles Trenet et Georges Ulmer, auteurs de leurs propres chansons.
De semblables évolutions pouvaient se constater dans le domaine des "variétés" pures. Les clowns du cirque se transformènent en "excentriques de music-hall" : Little Tich reste dans cette catégorie un inimitable novateur.
Le comique, plus tard appelé le "burlesque", modifia profondément l’aspect de certains numéros acrobatiques et en fit de sensationnels numéros vedettes, tels que ceux de Baggessen, "le casseur d’assiettes", Joë Jackson, le voleur de bicyclettes, etc... et jusqu’à ceux, dernier cri de la spécialité, des Craddock, fils des fameux clowns Fratellini.
Des prestidigitateurs s'intitulèrent maîtres de la féerie et du mystère dans un déploiement de mise en scène, d’une nombreuse figuration et même de ménagerie. Ce fut l’ère de Great Carmo, qui faisait disparaître odalisques et tigres dans le temps d’un éclair et d’un simple geste de la main.
Mistinguett et Max Dearly dansent pour la première fois la valse chaloupée...
La danse maria la chorégraphie traditionnelle et les succès des bals populaires (quand elle ne lança pas ces derniers) : le cake-walk, la matchiche. le tango, plus tard la valse chaloupée — premier essai de danse acrobatique — exécutée pour la première fois par Mistinguett et Max Dearly (photo ci-dessus), le charleston d’Al Sherman et des Dolly Sisters, le black-bottom de Joséphine Baker, le lambeth-walk et, plus proches de nous, la rumba et la samba fournirent leurs rythmes non seulement aux danseurs acrobatiques, parodistes ou à claquettes strictement professionnels, mais encore aux chanteurs qui se mirent à danser leurs chansons. L
e rythme s’était imposé comme le facteur essentiel de tout spectacle de music-hall de variétés. D’ailleurs la présentation sur scène des grands jazz, introduite par Jack Hylton et perpétuée par Ray Ventura, Jo Bouillon et Jack Hélian, ainsi que par des orchestres exotiques du type des Lecuona Cuban Boys, avait fortement pesé sur la nouvelle orientation musicale et rythmique des "variétés".
Une constellation de première grandeur : Mistinguett (encore elle), Maurice Chevalier, Joséphine Baker...
Cette influence de la musique de jazz s’était plus profondément, et plus précocement aussi, exercée sur le music-hall de revue.
Gaby Deslys et Maurice Chevalier furent les importateurs au music-hall français de ce qu’on appelait alors, vers 1919, les rythmes anglais. Mistinguett, dont Maurice Chevalier avait été naguère le partenaire, ne fut pas longue, on s’en doute, à s'adapter au nouveau genre, qui allait d’un seul coup faire progresser la chaude frénésie de Joséphine Baker, vedette instantanée, et d’avant-garde, du music-hall de revue. Ce music-hall de revue à grand spectacle qui emprunta ses merveilles mécaniques et optiques à la tradition du Châtelet, au cinéma et quelquefois à la science la plus sérieuse, eut son heure de panache entre 1925 et 1935. Mistinguett en était la reine incontestée, tant à cause de sa "présence" personnelle qu’à cause de son rayonnement sur tous ses collaborateurs, partenaires, dessinateurs, metteurs en scène et musiciens.
Aujourd’hui le music-hall se meurt. Les salles populaires de la périphérie ont fait place à des cinémas. Il ne reste que deux music-halls de revues : les Folies-Bergère et le Casino de Paris. Bobino et l’Européen ont délaissé les variétés pour l’opérette. L'A.B.C. demeure le seul établissement fidèle à la tradition des saisons composées pour moitié de programmes de variétés et de revues d’actualité. Les attractions trouvent refuge dans les cabarets dont quelques-uns. tels Tabarin et le Lido. donnent de courtes revues de music-hall, surtout riches de costumes somptueux et de jolies femmes.
Mais les vedettes du tour de chant sont désormais lancées par la radio — surtout dans les émissions publiques — le disque, le cinéma, l’opérette et demain, à coup sûr, la télévision.
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Au Casino de Paris : la revue "Amours de Paris" avec Maurice Chevalier (1939)
en 1939
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