article publié en début octobre 1989 :

Temple du music-hall, halte obligatoire de tout Américain et Japonais à Paris, symbole de la capitale française au même titre que le Centre Beaubourg ou la Tour Eiffel, le Moulin-Rouge fête ses 100 ans cette semaine. Aujourd'hui, un parterre de stars viendra souffler les 100 bougies du fameux établissement: Ella Fitzgerald, Lauren Bacall, Esther Williams, Barbara Hendricks, Ray Charles, Charles Trénet, Charles Aznavour... Tous seront réunis autour de Debbie de Coudreaux, l'actuelle meneuse de la revue, et des Doriss Girls.

Le Moulin-Rouge est né le 6 octobre 1889 — l'année de l'exposition universelle à Paris — de l'imagination entreprenante de deux frères, Zidler et Joseph Oller. Pour attirer la bonne société, ils débauchent un quadrille qui fait alors fureur dans un établissement concurrent, l'Elysée-Montmartre. "C'est de cette idée, raconte le romancier Armand Lanoux, un brassage de classes sociales dans un milieu excentrique, autour du quadrille, qu'allait naître le Moulin-Rouge". Le décor rococo signé Willette est propice à l'encanaillement des messieurs élégants que font rosir les prouesses de Valentin le Désossé et Louise Weber , dite la Goulue. Ces deux-là sont rentrés dans la légende grâce au pinceau de Toulouse-Lautrec, mais il y aura aussi la Môme Fromage, Jane Avril — qui inspira aussi une célèbre affiche à Toulouse-Lautrec - La Môme Cri-Cri, Nini Pattes-en-l'air, Mademoiselle Grille d'Egout.

Tout ce beau monde dans le Quadrille naturaliste, devenu le French Cancan depuis que l'imprésario Charles Morton l'a présenté pour la pre-mière fois à Londres en 1861. Le vrai quadrille se danse sur la musique d'Offenbach. Il exige de ses interprètes de telles qualités (souplesse, acrobatie, technique...) que la "cancaneuse" constitue une aristrocratie dans le monde des danseuses.

En 1903, P.L. Fiers, un "revuiste" célèbre, rachète le Moulin-Rouge et construit une salle de music-hall à la place du bal, innovant la formule du dîner-spectacle. Jusqu'en 1914, se succèdent opérettes et revues aux noms gentiment égrillards ("La revue amoureuse", "Par dessus les Moulins", avec Gaby Deslys, "Fais voir...dis !"...). La guerre arrive. Il faut attendre 1923 pour qu'un nouveau groupe artistico-financier s'intéresse à l'affaire avec à sa tête l'éditeur Francis Salabert. C'est l'âge d'or du Moulin-Rouge : Mistinguett triomphe dans "New York Montmartre" (20 décembre 1924, puis dans "La revue Mistinguett", "Valencia", "Ça c'est Paris !", "Paris est une blonde"... Elle est louée par Colette, François Mauriac, Léon-Paul Fargue, Pierre-Mac Orlan.

Fin juin 1929, le rideau tombe sur le Moulin-Rouge. Le parlant vient de faire son apparition et le music-hall devient une salle de cinéma. Mistinguett reviendra bien en 1938/1939 dans une mini revue en première partie d'un film, mais l'esprit n'est plus le même. Ce n'est qu'en 1951 que le Moulin-Rouge renoue avec sa vocation.

Depuis 1962, le Moulin-Rouge est dirigé par Jacques Clerico qui a su concilier tradition et marketing. L'entreprise compte actuellement 310 salariés. Contrairement à la légende, ce ne sont pas les Américains qui constituent le gras de sa clientèle mais les Japonais, devant les Italiens et les Allemands. L'affaire s'est même exportée: pendant quatre ans, le Hilton de Las Vegas a ainsi accueilli le spectacle, dans une revue entièrement montée sur place avec des artistes locaux. Il paraît que Toulouse-Lautrec s'en est retourné dans sa tombe,..