Le commerce des "Miss" est une vieille histoire

 

Il y avait une fois un homme qui s'appelait Kartoffel. En flamand tout commë en allemand, cela signifie pomme de terre. Et l'on eût bien ri en France s’il se fût appelé ainsi. C'est pourquoi, en débarquant à Paris, il prit le nom de son village natal — comme Bourvil, mais oui ! — et ajouta une particule devant.

 

M. de Waleffe débarquait dans la capitale française. Il voulut devenir journaliste et collabora — déjà — à Paris-Midi. C'est lui qui écrivait dans ce même journal le 29 août 1914 : "Si quelqu'un mettait, dans la cervelle de M. Jaurès, le plomb qui lui manque, il faudrait lui dire merci..." Deux jours après, le grand tribun, le patriote au grand cœur, était assassiné. Chassé des cercles journalistiques après cet appel au meurtre, le plumitif s’en fut.

 

La Grande Guerre, celle que l'on croyait la dernière, passa... De Waleffe chercha autre chose, et l'on retrouva le personnage, un beau matin, vêtu d’une culotte courte et montrant ses jambes pleines de varices, gainées dans de magnifiques bas de soie. Il voulait, disait-il, rénover la mode masculine française. Et certaines corporations, qui essayaient de répandre la vente des bas de soie, engagèrent Maurice de Waleffe commë "mannequin à mollets". Mais l'affaire dura ce que dure les roses, et "Pomme de terre en culotte courte", n'étant en rien comparable à une fleur, dut en prendre son parti.

 

Il eut alors l'idée originale, lui, toujours avide de gains possibles, de lancer des concours de beauté. Le but était de trouver chaque année une belle jeune fille que pompeusement on surnommait Miss France et que l’on promenait ensuite à travers le continent, exhibée, exploitée à l’avantage de l'organisateur, évidemment. La première lauréate, Agnès Souret, fut déjà priée, en 1919, de relever sa robe jusqu'aux genoux et de dévoiler un coin d’épaule. Agnès Souret est morte de faim, de honte et dë misère à Buenos-Ayres.

 

A chaque Miss élue, les grandes maisons de Paris offraient qui des manteaux, qui des fourrures, d'autres des bijoux, des sacs, des chaussures ou des malles en peau de crocodile. Après une année de voyages, de plaisirs, de gâteries, de débauche, une année dë champagne et de dîners fins, une année de griserie dans une nuée d'admiratëurs, les pauvres filles étaient rendues à la rue et les grandes maisons reprenaient tous les objets prêtés. La commission était naturellemënt versée à Maurice de Waleffe, auteur de la monstrueuse publicité.

 

L'une de ces Miss fut bien heureuse lorsqu'elle put, après des semaines de misère, trouver un emploi dans une petite boutique de la rue Tronchet où elle aunait la dentelle à longueur de journée. Une autre, Raymonde Allain, expliqua dans un livre vengeur intitulé "Prix de Beauté", les dessous et les combines, les rançons exigées et lës commissions glanées par l'organisateur de cette horrible mascarade. Voilà à quoi étaient réduitës celles que les deux continents avaient tant choyées.

 

Et M. de Waleffe ? Il se porta bien jusqu’à la dernière guerre et collabora consciencieusëment. Sa femme aussi fut mêlée à des scandales. C'est chez elle que se réunissaiënt des conspirateurs du Plan Bleu. Simple remarque : lors de la prëmière élection, en 1919, un des membres du jury fut le. peintre Van Dongen qui influa sur la décision en expliquant son goût pour les femmes minces, aux hanches menues et aux beaux yeux. En 1947, Van Dongen était également membre du jury. Mais entre 1942 et 1944, Van Dongen parlait à la radio allemande. C’est tout.

 

Michel DEBONNE - article publié en 1948 dans l'hebdomadaire Regards

 

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* Maurice Cartuyvels dit Maurice de Waleffe, (1874 - 1946) est un journaliste et écrivain français d'origine belge. Il est notamment connu pour avoir dirigé le quotidien Paris-Midi de 1911 à 1944 et fondé en 1920 "La plus belle Femme de France", premier nom du concours de "Miss France".