ACCUEIL | LE BROL | LA LOTERIE EN 1850 |
UNE LOTERIE EN 1850
Au mois de décembre 1850, Alexandre Dumas fils, alors âgé de vingt-six ans, écrivait pour un éditeur une Histoire de la Loterie, à l'occasion de l'exposition publique du lingot d'or de 400.000 francs, constituant l'un des lots, le premier, que l'on pouvait gagner en prenant des billets à la Loterie des lingots d'or, autorisée par le gouvernement.
L'idée en avait été lancée par un M. Langlois, qui appartenait à la marine marchande et était négociant au Havre. Dumas fils n'exagérait guère en disant que tout Paris, ses faubourgs, et sa banlieue,, avaient défilé ou défileraient' passage Jouffroy, devant le fameux lingot, auquel les revues de fin d'année accordaient. d'autre part, la plus large publicité.
Outre le lot principal de 400.000 francs, un lot de 200.000 francs, un de 100.000, deux de 50.000, quatre dé 25.000, cinq de 10.000 et deux cents de 1.000 francs chacun: au total 224 lots excitaient les convoitises. Le montant de la souscription devait faciliter l'émigration en Californie de cinq mille travailleurs. Prix du billet : 1 franc.
'Ce sera une heure bien dramatique, bien palpitante, écrivait Dumas, que celle où l'on proclamera les élus de la Loterie des lingots d'or, où de pauvres hères, en ce moment déshérités de tous les dons de la fortune, posséderont 20.000, 10.000 et 5.000 livres de rente..."
Et. pour leur mettre non pas l'eau à la bouche, mais l'or à la bourse, il commençait par esquisser à grands traits une Histoire de la loterie, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Il s'en déclarait nettement partisan.
La loterie, disait-il, fut souvent, une des ressources les plus fructueuses des Etats. Paris lui doit le pont du Louvre, l'Ecole Militaire, Saint-Sulpice. une foule de monuments utiles, et la France devra, dans quelques mois, à la Loterie des lingots d'or l'existence, l'avenir de 5.000 ouvriers.
Nous n'examinerons pas les motifs qui ont amené la suppression de la Loterie, cette bonne vieille Loterie aux boutiques à vitres vertes et dont un éternel enfant, costumé en Amour, tirait les numéros, d'un geste plein de candeur.
Tout n'est-il pas loterie dans le monde ? La vie, loterie perpétuelle au proflt de la mort; l'amour, loterie du cœur; l'ambition, loterie de la tête; l'avenir, loterie de tout...
Avec ses ravissantes illusions, la loterie poétise les misères du pauvre et dore sa vie d'un rayon d'espérance. Que de chaumières, de mansardes sont, à cette heure métamorphosées en châteaux et en palais par la vertu magique de ces petits carrés de papier sur lesquels sont inscrits les numéros de la Loterie des lingots d'or.
Dumas fils ne trouvait pas du tout que la Loterie fût immorale. Loin de là. Et le ministre de l'intérieur était lui-même de cet avis, puisqu'il n'avait pas hésité à monter à la tribune pour fournir à l'Assemblée législative des explications sur la loterie autorisée. Tous les deux semblaient avoir médité sur la parole de Joseph de Maistre : "Il est de la plus grande évidence que les biens et les maux sont une espèce de loterie où chacun, sans distinction, peut tirer un billet blanc ou noir."
L'antique roue de la Fortune n'a jamais cessé de tourner. Après avoir cité quelques exemples à l'appui de cette assertion, Dumas, flls s'écriait :
Niez donc ou affirmez - l'un est aussi embarrassant que l'autre — l'intervention dans les affaires humaines de cet être invisible, ce mystérieux pouvoir que les incrédules nomment fatalité, les oroyants : Providence, et les indifférents : hasard. Combien de personnes éprouveront, bientôt de vifs regrets de ne pas avoir cédé aux avis que parfois la capricieuse fortune donne la nuit par des rêves et le jour par dîvers incidents ! Qu'elles se hâtent donc, si elles veulent s'éviter (Dumas fils voulait dire s'épargner) un tardif repentir, car depuis l'exhibition du lot de 400,000 francs, les billets s'enlèvent avec un empressement facile à comprendre. Des demandes arrivent de tous les coins de l'Europe.
Dumas, à cette époque, était superstitieux et attribuait à la chance une grande part dans la destinée. Il avait aussi une bonne raison pour aimer la Loterie : il n'y pouvait pas prendre un billet sans gagner. Six ans auparavant, en 1844, il avait économisé 800 francs à son père, et sans doute davantage, en le dissuadant de lui acheter un remplaçant.
— Je ne, tomberai pas au sort... puisque je tirerai un bon numéro, disait-il.
— Qu'en sais-tu ?
— J'en suis certain.
En effet, il laissa le maire tirer pour lui et le maire amena le numéro 353 sur 400. Dumas fils n'eut donc pas besoin de s'acheter un homme.
Eh ! mais, au fait,, le tirage au sort me parait être une jolie loterie, et le gouvernement ne se contente pas de l'autoriser, il la prescrit et la rend même inéluctable, puisqu'un ofticier municipal vous supplée, si vous faites défaut. La voilà bien, la loterie immorale !
oublié en 1924
Exposition du lingot d'or passage Jouffroy
______________________________________________________
_______________________________________________
ACCUEIL | LE BROL | LA LOTERIE EN 1850 |
bachybouzouk.free.fr