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Les articles de cette page sont de Thomas Sandoz et ont été publiés en 1997

 

Ce sont parfois des objets anodins qui livrent les messages les plus concis sur la culture d'une population. La machine à laver est l'un de ces objets typiques qu'un regard curieux met en valeur. Quatre dimensions complémentaires (au moins) se croisent dans la machine à laver. En premier lieu, la dimension historique permet de retrouver différents emprunts et héritages ayant conduit à la création au XIXe siècle des prototypes, puis des premiers modèles. Le cas de la machine à laver a bien valeur de symbole, puisque ses créateurs se sont inspirés des gestes et des méthodes traditionnelles (cuissons, frappage; chaudrons, bouilloires pourvues de brassoirs, etc.). C'est ainsi directement l'histoire des techniques qui setrouve résumée dans cette transition de l'outil traditionnel vers ses avatars manufacturés.

 

Tradition du linge

 

Une deuxième dimension permet de rendre compte de l'histoire de la machine à laver: la tradition du linge et les comportements qui s'y rapportent. Le savoir-faire des blanchisseuses de France, qui combinait autant pratiques que valeurs sociales, a servi de point de départ à l'élaboration de la machine. I1 ne fait aucun doute que les premières machines à bouillir suscitèrent de vives méfiances, tant le linge était précieux et que l'on craignait que la machine fût l'instrument de sa destruction. En d'autres termes, comme souvent dans l'histoire des arts mécaniques, c'est une crainte d'ordre psychologique qui freina l'expansion de l'innovation.

Cette troisième dimension, peut-être la plus importante, complète le récit historique de la machine à laver: celle de l'évolution des mœurs et des aspirations. En bref, la culture de la lessive, prégnante au XIXe, valorisait le travail féminin, l'effort musculaire des lavandières et du personnel de maison. Toutes unies contre la saleté, ces dames participaient à leur façon au grand mouvement hygiéniste. La naissance des agitateurs mécaniques bouleversa de façon importante cette imagerie de la femme et nul doute que les mœurs furent parfois heurtées par cet objet susceptible de nier la valeur de la peine et de l'effort physique.

 

Aspirations populaires

 

Enfin, une quatrième dimension rappelle que l'économie conduit généralement les mutations techniques. L'industrialisation de la fin du XIXe œuvra ainsi en faveur du développement de vastes blanchisseries dotées d'instruments performants. Le terrain social était prêt à accueillir les versions familiales des lavoirs automatiques. D'abord attribut bourgeois, la machine allait peu à peu devenir un appareil populaire investi des ymboles valorisés (modernité, aisance financière, bienséance,...). La machine à laver est donc moins l'œuvre d'inventeurs géniaux que la cristallisation dans un instrument utile des aspirations populaires (entre autres le paraître social lié à la mythologie de la blancheur et de la pureté). De façon plus générale, et à leur manière, les slogans publicitaires reflètent également les valeurs enracinées culturellement ayant accompagné la naissance et le développement de l'art de blanchir à la machine. En 1896, la "Lessive de la ménagère" affirme par exemple qu' "Elle blanchirait un nègre". On est guère éloigné de l'assurance de Calor-Lyon (1933) : "Madame, Jour de lessive !..jour de bonheur !..".

 

 

 

au centre : lessive Jeanne d'Arc (publicité de 1933)

 

 

La machine à laver est un objet d'étude moins noble que l'automobile, le microprocesseur, la psyché des nouveau-nés ou la culture du chanvre. Peut-être est-ce là l'une des raisons du peu d'intérêt qu'on lui a porté en dépit de sa présence dans le ménage contemporain typique. Minimiser l'importance des outillages peuplant la vie quotidienne conduit à une méprise consistant à assurer que les appareils électroménagers (pourcontinuer cette illustration) n inventent rien. La machine à laver remplacerait la lessiveuse comme l'aspira-eur a remplacé le balai — et ce sans rien changer des habitudes, coutumes et rôles convenus. Une analyse même superficielle souligne la faiblesse d'une telle approche.

 

Dans les faits, le développement de la lessiveuse électrique, sa multiplication et sa diffusion a profondément modifié non seulement une pratique ancestrale (!), le nettoyage des vêtements, mais a également transformé l'organisation sociale de la famille. Libérée d une tâche chronophage, la ménagère (ou l'auxiliaire de maison)a vu sa "mission familiale" renouvelée. Inversement, l'essor de la machine à laver a grandement dépendu du développement des rapports marchands et du salariat de l'entre-deux guerres. L'irruption dès les années vingt des femmes dans l'activité salariée et l'urbanisation qui suivit la Première Guerre mondiale constitua un accélérateur du développement de la machine à laver. C'est dire si les objets ne sont pas "neutres", muets ou impassibles. C'est dire également qu'au-delà du seul brassage de linge tiédi, la machine à laver condense — entre autres — une partie de l'histoire des rôles féminins. Car en marge des défilés, la libération de la ménagère est aussi passée par les lessiveries.

 

 

 

 

 

 

Gestes et brevets

 

De toute évidence, le monde des objets utilitaires se développe en fonction des services qui lui sont demandés. A ces services s'ajoutent diverses dimensions plus souples — par exemple la beauté ou le confort d'utilisation. De ce point de vue, il est possible de diviser l'histoire d'un objet pratique tel que la machine à laver en quatre périodes de production (artisanale, en série, en masse, de variété), renvoyant chacune à une dimension privilégiée de l'effort de fabrication.

La phase artisanale fut marquée par la fabrication de prototypes essayant, avec plus ou moins de bonheur,de faire réaliser par une machine toutes les étapes menant du linge sale au linge essoré. En s'inspirant des pratiques locales ancestrales, les concepteurs mécanisèrent les opérations de l'échangeage (le prélavage actuel), du coulage (cuisson de l'eau), du retirage (après un temps de trempage), du savonnage. Aussi peut-on assurer que la machine à laver française ne fut, historiquement parlant, à nulle autre comparable.

Les premières machines ne furent donc souvent que des hybrides de techniques restant proches des gestes humains qu'elles devaient imiter. On ne parla d'ailleurs de machine automatique seulement lorsque la ménagère put faire sa lessive sans se mouiller les mains, autrement dit lorsque les problèmes d'arrivée d'eau et d'évacuation furent résolus (années 50).

De la production en série et de la production en masse, la machine s'est popularisée, développée et diffusée largement, renouvelant profondément les rituels du linge (qui fait la lessive, quand, enq uelles quantités; où mettre le meuble; où suspendre?).

La phase de différenciation marque l'étape industrielle contemporaine, caractérisée par le fait que les ménages ont pour la plupart accès à une lessiveuse performante. Dans une perspective commerciale, un souci particulier est alors porté aux caractères secondaires de l'appareil — forme, couleur, ergonomie (facilités d'usage). De plus, des valeurs complémentaires, surajoutées en tant qu'elles ne sont pas directement liées au lavage, sont associées à l'engin. Ainsi, la sensibilité écologique contemporaine a-t-elle motivé (voire obligé) l'élaboration de machines consommant moins d'eau, moins énergivores, plus souples (programmes différenciés). De petits détails qui, sans préjuger de leur intérêt, ne sont pas véritablement du ressort des techniciens (ce sont là des modifications mineures), mais des marchands d'imageries. On s'en assurera en décodant les messages publicitaires (mises en scène, illustrations musicales, type d'exhortation à l'achat) qui font aujourd'hui une part mineure à la question du lessivage.

 

 

 

publicité de 1909

 

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machine à laver le linge Familia (publicité de 1928)

 

 

stand des machines à laver le linge Nec Plus Ultra de M. Bouchery à La Foire de Lille de 1930

 

 

stand des machines à laver le linge La Berceuse Mécanique (M. A. Brice - Lesquin) à La Foire de Lille de 1930

 

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L'entretien du linge

 

La machine à laver française est officiellement née en 1904. A son origine, elle devait répondre non à la question de l'effort ou de la rapidité , mais à la question de l'entretien du linge. Partant, sa conception fut loin d'être aisée. Elle nécessita plus d'un demi-siècle de réflexions et d'élaboration de prototypes. Si son architecture générale ne posa guère d'embarras, sa réalisation pratique dépendit de l'avancement de l'industrie et, en particulier, des possibilités nouvelles de miniaturisation.

La machine à laver fut évidemment conditionnée par un certain nombre de problèmes purement techniques, souvent liés aux tissus (risque de déchirure, d'usure,...). Les effets de la vapeur d'eau chaude durent être contrecarrés, tout comme ceux du dosage de la lessive ou de la classique Eau de Javel. II fallut aussi venir à bout des vibrations, coordonner les câblages électriques, imaginer des systèmes de sécurité.

L'évolution des lessives se joua en parallèle. Du savon additionné de perborate (1933) aux assouplisseurs (1966), des détergents biodégradables (1971) aux poudres à basse température (1981),sans oublier les lessives liquides (1982), la conception des machines à laver su (ou dû) tenir compte du produit dont elle dépendait nécessairement — le savon et ses dérivés.

 

 

 

 

 

publicité Vedette (1974)

 

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publicité de 1900

 

 

LA LESSIVE

 

article publié en 1929

 

Voici la saison des longs jours, de la pleine lumière, incitant les flâneurs à la promenade et les ménagères actives à l’assainissement de la maison. Quels bons associés que le grand air et le soleil, surtout si l’on possède un jardin ! Battre les tapis, les fourrures, réparer la literie, faire d’importantes lessives sont des occupations printanières et estivales.

 

Faire la lessive. — C’était un événement autrefois, chez nos grand’mères. On s’y préparait plusieurs jours à l’avance; on engageait une escouade de laveuses, et les différentes phases du travail remplissaient la semaine. Il faut dire que cela n’avait lieu que trois ou quatre fois par an. peut-être moins, quand le trousseau le permettait. Aujourd’hui, sauf dans certaines maisons à la campagne, on a généralement, et avec raison, renoncé à cette manière de faire. Le linge sale conservé s'abîme, prend une mauvaise odeur; en outre, l’amas de linge complique le travail. N’est-il pas plus simple et plus sain de faire la lessive tous les quinze jours environ ?

 

Lessiveuses. — De même, le cuvier et les cendres de bois sont avantageusement remplacés par les lessiveuses en tôle galvanisée, qui représentent une économie notable de temps et de main-d’œuvre, et par des sels, des cristaux de soude, ou par des préparations toutes faites qu’on trouve dans le commerce. Du reste, la houille ayant presque partout remplacé le bois comme combustible, la cendre de bois n’est plus guère recueillie en grande abondance dans les ménages. Au début, on accusait les lessiveuses de brûler le linge. Erreur, puisque ce dernier n’est jamais en contact direct avec le foyer, grâce au double fond de l’appareil. Tous les systèmes de lessiveuses sont bons. Chaque exposition ménagère nous présente des inventions nouvelles ou des perfectionnements ; le mieux est de bien étudier le modèle, de bien en comprendre le fonctionnement, avant de faire un choix, puis de prévoir les petits inconvénients, car il peut s’en présenter. Ainsi, certaines laveuses à ailettes mettent le linge en boule. Il faut donc mélanger les pièces de linge entre elles, grandes et petites, ne pas les fouler, ouvrir et étendre les poignets et les cols en les plaçant dans ces appareils.

 

Produits. — Les meilleurs sont les cristaux de soude ou, mieux encore, la soude calcinée, qui est du carbonate de soude pur et qui, à action équivalente, revient moins cher que les cristaux : 2 à 3 p. 100 du poids du linge suffisent pour une bonne lessive. Les sels de soude artificiels risquent de contenir de la soude caustique qui blanchit rapidement le linge, mais le détériore de même et le constelle de petits trous en peu de temps. Les nombreuses lessives toutes préparées que l’on vend sont à base de soude. Donner la préférence aux moins fortes.

 

Procédé. — Je l’indique rapidement, car il n’est pas une ménagère qui l’ignore, sans doute : Faire tremper le linge plusieurs heures, toute une nuit même, dans l’eau froide. Placer les cristaux ou le carbonate de soude mélangés avec du savon de Marseille râpé, sous le double fond de la lessiveuse. Disposer le linge sur le double fond en mettant le plus sale en dessous, afin qu’il ne remonte pas, tendre des cordes au-dessus. Généralement, les lessiveuses ont un système d’agrafes, glissant sur un cercle, qui vaut mieux que les cordes. Si le linge n’est pas trop sale, l’essangeage, qui use le linge, doit être supprimé. Remplir aux deux tiers d’eau la lessiveuse et mettre le feu dessous. Fermer le couvercle. Après deux heures d'ébullition, éteindre. Ne pas laisser refroidir le linge dans la lessive et procéder au dernier lavage le plus tôt possible. Puis rincer à grande eau. Les laveuses à ailettes remplacent ce lavage.

 

Recommandations. — Eviter l’emploi de la brosse et du battoir ; s’il le faut, ne se servir que d’une brosse douce, jamais de la brosse en chiendent. Eviter également l’emploi de l’eau de Javel, et surtout celui du chlorure de chaux.

 

Eau de Javel. — S’il est absolument nécessaire, pour faire disparaître des taches rebelles, d’user d’eau de Javel; faire tremper le linge dans une préparation aussi faible que possible, le laisser juste le temps voulu et le rincer ensuite dans la valeur d’un baquet d’eau contenant trois cuillerées à bouche d’ammoniaque, ou bien 30 grammes d’hyposulfite de soude. Cette dernière substance est très bon marché et dissipe l’odeur désagréable et persistante. Elle enlève aussi les taches d’encre sans brûler le linge.

 

Essence de térébenthine. — On obtient du linge très blanc par le procédé suivant : Préparer une eau de savon très forte, y ajouter une cuillerée à bouche d’essence de térébenthine par 10 litres d’eau. Le linge sorti de la lessive et égoutté, le mettre dans la préparation et le laisser tremper toute une nuit; le lendemain, savonner et rincer définitivement.

 

Rinçage. — Ce dernier doit se faire à grande eau courante, à la rivière si possible, ou tout au moins sous un robinet ouvert. Recommencer plusieurs fois, jusqu’à la disparition de toute trace de savon.

 

Séchage. — Le séchage au grand air est le meilleur, bien entendu, mais sur des cordes ou des fils de fer galvanisés. Sur les haies ou sur les prés, le séchage du linge présente un danger. Certaines petites chenilles ou d’autres insectes peuvent laisser dans les tissus des matières nuisibles à la peau. Or, chenilles et insectes vivent en abondance dans les haies et les prés. Si l’on ne peut faire sécher dehors, établir un courant d’air dans la pièce où le linge est étendu.

 

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Pierre-Auguste Renoir - Les Laveuses

 

 

 

LES LAVEUSES

 

Le soleil luit; le vent fait rage;

Bras nus et le buste ployé,

Les femmes vont, sur Je rivage,

Etendre le linge mouillé.

 

Deux à deux, fermes sur les hanches,

En jupon rouge et bonnet noir.

Elles tiennent les toiles blanches

Humides encor du lavoir;

 

Et droites dans la brise folle

Toute claquante de soufflets.

Elles fixent le drap qui vole

Par un triple rang de galets.

 

Et tout le long de la mer bleue.

Pleine d’écume et de sanglots,

Se déroule la longue queue

De ces hardes de matelots,

 

Pauvres lambeaux de toile écrue.

Tristes loques de l’indigent.

Qui font, sous la lumière crue.

Une mosaïque d’argent !

 

Jacques Normand.

 

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