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Les étrangers parfois se plaignent des difficultés que leur réserve l'étude du français Notre patriotisme, notre habitude aussi protestent... et pourtant ! Une aimable fantaisie se glisse parfois, sinon dans l'austère domaine de Madame Grammaire, au moins dans un grand nombre de locutions, difficilement traduisibles, et consacrées par un usage à coup sûr singulier. Ou aura certainement plaisir à en trouver ici une abondante cueillette, choisie parmi les plus pittoresques de ces tournures, pour l'amusement de nos lecteurs.
Quand on dit que le soleil et la lune se lèvent et se couchent, c'est un caprice du langage, car ni l'un ni l'autre ne se lève ni se couche. La terre tourne et voilà tout.
Et pourquoi parle-t-on des quatre coins de la terre, puisque la terre est ronde ?
Monsieur, c'est en réalité mon sieur ! Il est donc bizarre de dire mon cher Monsieur.
Comment distinguer le locataire du propriétaire lorsque ces deux personnes vous disent à la fois : Je viens de louer un appartement ?
Monsieur est mon hôte ! Qui reçoit ou est reçu ?
Bonne langue ou mauvaise langue, c'est exactement la même chose !
Pourquoi dit-on qu'on applaudit des deux mains ? Comme s'il y avait une autre manière d'applaudir que celle-là !
Pourquoi dit-on généralement qu' il ne fait pas très chaud, alors qu'il serait si simple de dire qu'il fait froid ?
Comment diable peut-on faire pour dormir sur les deux oreilles ?
Pourquoi dit-on couramment en prenant congé d'une amie à laquelle on fait visite : Il faut que je me sauve, comme s'il s'agissait de quitter en hâte une maison qui brûle ?
Avec quel outil peut-on arrondir une phrase ou tourner un compliment ?
Pourquoi dit-on qu'il y a embarras de voitures là où il y a trop de voitures, et embarras d'argent là où il n'y à pas assez d'argent ?
Est-ce parce qu'il est écrit qu'on appelle procès-verbal le compte rendu d’une séance ou la constatation d'un délit ?
Pourquoi appelle-t-on bonne à tout faire une domestique qui, parfois n'est bonne à rien ?
On ne voit pas bien une chandelle brûlant des deux bouts.
Pourquoi dit-on de quelqu'un que l'on n'aime pas, qu'on l'a dans le nez ? Est-ce parce que l'on ne peut pas le sentir ?
Je n'ai pas de peine à croire que lorsqu’on veut châtier son langage, c'est pour lui donner plus de correction. Cela parait d'autant plus étrange, n'est-il pas vrai, d'entendre dire d'un graveur célèbre : C'est un burin de grand talent, qu'on est tout de suite tenté de se demander pourquoi l'on ne dit pas d'un peintre : quelle grande palette ! et d'un sculpteur : quel marteau ! D'un écrivain, on dit qu'il est un homme de lettres, mais on ne dira jamais d'un mathématicien que c'est un homme de chiffres. D'ailleurs, si l'on généralisait ces dénominations, on arriverait à dire d'un musicien qu'il est un homme de notes, d'un peintre, un homme de couleurs (couleur au pluriel pour le distinguer d'un nègre !) et d'un financier un homme d'argent, à moins qu'il ne soit un homme de bronze. On met la question sur le tapis ; pourquoi n'y met-on jamais la réponse ? Pourquoi appelle-t-on coup de grâce le coup qui tue ? Pourquoi est-ce flatter un travailleur acharné que de le comparer à un cheval, et est-ce l'insulter que de le comparer à un chameau qui est pourtant tout aussi sobre et travailleur ? Pourquoi, dans ce même ordre d'idées, l'épithète de chatte fera-t-elle plaisir à votre femme, alors que celle de chienne la mettra en colère ? Quelqu'un qui tire bien, on peut l'appeler un bon fusil, mais pas un bon revolver. Un bossu peut faire son droit, comme un nain le prendre de très haut, tout en étant bien élevé. Pourquoi dit-on que les intérêts courent quand ils s'accumulent et que le commerce s'en va quand il ne marche pas ? Il n'y a vraiment pas de quoi remercier un domestique qui vient de vous briser un vase de valeur ! Et pourtant... Pourquoi dit-on prendre un baiser à une femme, lorsque cela consiste précisément à lui en donner un ? Il parait qu'il existe des enfants qui ne sont pas naturels !
Il y a des officiers d'académie, des officiers ministériels, des officiers de la Légion d'Honneur ; voilà bien d'excellents officiers qui n'ont pas de soldats à commander. Que dites-vous d'un pied-à-terre qui se trouve au sixième étage et d'une descente de police qui se fait sur le même palier ? On ne voit pas qu'un coup de sifflet aigu soit terminé en pointe. Quand, au jeu, on accuse son point, on n'a cependant rien à lui reprocher. Ce doit être bien moelleux d'être couché sur un registre ; il vaut mieux être couché sur un testament. Avouez que c'est une fâcheuse anomalie physiologique que d'avoir l'estomac dans les talons ; cela doit être aussi gênant que d'avoir le cœur sur la main, ou le compas dans l'œil. Les noces de jeunes époux sont une promesse de prospérité pour un peuple et cependant les noces d'un million de fêtards sont pour lui une formidable menace de dégénérescence. C'est se moquer d'un chauve que de lui dire qu'il a un fier toupet. Quel drôle d’idée d’avoir donné à certain petit gâteau le nom de pet-de-nonne ! On peut laver la tête à quelqu'un sans qu'il soit plus propre pour cela. C'est quand on est feu qu'on devient froid. Il y a des croûtes dont on ferait difficilement une soupe. Pourquoi ne dit-on pas d'une personne qui a un joli timbre de voix : vous êtes joliment timbrée ? C'est bizarre ! Plus on se fait de cheveux plus on les perd. On saute au cou d'un ami et l'on saute à la gorge d'un ennemi, bien que le cou et la gorge soient à peu près synonyme. Couler à pic est dangereux, tomber à pic l'est beaucoup moins ! Pourquoi appelons-nous mon pauvre ami, fût-il le plus heureux des hommes, celui à qui nous contons un malheur qui nous arrive ? Il n'y a pas de petites économies, dit-on; alors à quoi bon en faire, s'il n'y en a pas ? C'est bizarre ! Quand on veut avoir de l'argent devant soi, il faut en mettre de côté. Pourquoi est-on un grand voyageur devant l'Eternel, un grand chasseur devant l'Eternel, alors qu'on ne dira pas, par exemple, que Félix Potin est un grand épicier devant l'Eternel.
En voilà assez, pensons-nous, pour donner une idée de l'incomparable richesse de notre langue. Une plus longue énumération deviendrait lassante, la gerbe se transformerait en fagot. Votre chroniqueur, pour aujourd'hui, vous tire sa révérence, si tant est qu'on puisse tirer un salut comme un cordon !
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article de presse de 1938 - les illustrations sont inépendantes du texte
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