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Tout le monde connaît le célèbre tableau de Watteau qui se nomme : L’embarquement pour Cythère, et qui représente une société élégante en robes de satin pâle, en habits zinzolin, en vestes gorge de pigeon ; marquis et marquises, personnages de la Comédie italienne qui s’installent dans une belle galère dorée au milieu d’un paysage de rêve. Une mélancolie fine et pénétrante s’en dégage, comme de tout l’art du peintre si raffiné et si sensible de cette époque.
L'Embarquement pour Cythere d'Antoine Watteau
L’embarquement pour Suresnes que nous reproduisons ici, semble une amusante parodie populaire de la pensée aristocratique de Watteau. Les personnages sont plus simples, et les plaisirs vers lesquels ils s’en vont sont peut-être moins raffinés, mais ils n’y prennent garde... le pêcheur à la ligne tout comme le petit fonctionnaire, au milieu de sa femme et de sa belle-mère, ne songent qu’à la friture de goujons et au petit vin de Suresnes dont ils feront leurs délices.
Le tableau de Watteau évoque un air léger, chanté sur un mode mineur, par un siècle qui allait mourir... ce dessin est conçu sur le mode majeur, réjouissant et prosaïque. Du reste, la chanson qui s’y rapporte est fort connue et commence ainsi : "En rev’nant de Suresnes... ", etc... Nous n’insisterons pas. Suffirait-il à fixer l’opposition des deux époques, ce croquis aurait déjà sa petite valeur, mais il nous apporte plus encore : voyez ces modes cocasses, ces longues jupes, ces chapeaux volumineux, ce sont là des documents savoureux sur un âge déjà lointain. Epoque bonace où l’auto n’écrasait pas tant d’innocents, et où Suresnes paraissait très loin.
Enfin, ce petit croquis est un tableau de mœurs typiques d’où ressort notre caractère national : la bonne humeur. Quelques années avant la Révolution, les étrangers qui voyageaient en France s’extasiaient sur la courtoisie et l’urbanité du peuple de Paris, mais si on louait ses qualités d’hospitalité, de complaisance et d’attention, en revanche il n’était pas question de sa belle humeur. Celle-ci était réservée à d’autres nations, dont les plaisirs inspirèrent les kermesses flamandes.
Il est donc reconnu qu’avant la Révolution nos fêtes populaires n’étaient pas très gaies. Ce laisser-aller, et il faut bien le dire, ce sans-gêne qui caractérise la foule de Paris, n’avaient point conquis la capitale. Depuis, nous nous sommes rattrapés, et personne ne dira plus que le peuple français manque de gaieté, quand on aura parcouru les rues et les boulevards de notre bonne ville, le soir du 14 juillet.
La gaieté fait passer le sans-gêne. C’est un fait ! Car, il faut bien le reconnaître, la gaieté est sympathique, peut-être parce qu’elle ne provoque pas la défiance ; il semble, au contraire, qu’elle soit une conséquence de la franchise et de la loyauté. Les traîtres sont toujours sombres... surtout au théâtre ! On n’imagine pas qu’un être gai puisse devenir hypocrite et sournois. "Pour bien rire, disaient nos pères, il faut avoir la conscience tranquille", et un vieux dicton assure : "Qu’il n’y a de braves gens que ceux qui rient".
publié en 1932
L’embarquement pour Suresnes
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