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La Femme est-elle l'égale de l'Homme ?
Les suffragettes de Londres veulent faire résoudre la question en faveur de leur sexe. Mme Curie l'a posée autrement en se présentant à l'Académie des Sciences*. Le docteur Toulouse dit ce qu'il faut penser de l'infériorité féminine, que certains opposent à ces efforts.
S'il est une question plaidée depuis longtemps sous ses deux aspects, c'est bien celle de l'égalité des sexes. Les suffragettes de Londres la discutent aujourd'hui avec des arguments frappants et même contondants pour les ministres anglais qui hésitent à lancer leur pays dans cette grosse nouveauté du vote politique des femmes. Une savante de haute originalité la présente sous la forme la plus pressante en demandant une place à l'Institut.
A cette occasion, on a de nouveau parlé de l'infériorité féminine; — j'entends l'infériorité physiologique et psychologique. Existe-t-elle ? En quoi ? Et qu'en conclure pour la vie en société, en écartant les questions accessoires de convenance et tous les préjugés qui ne peuvent atteindre au fond du problème ?
Il n'est pas douteux que la femme soit physiquement plus faible. Sa taille plus courte, ses muscles et ses os moins robustes lui créent une infériorité réelle... tout au moins pour la lutte. Son anatomie est fine, mais plus fragile ; le modelé qui en fait le charme, étant donné par de souples épaisseurs de graisse qui courent sous la peau nue et lisse, peut être gâté par le plus petit embonpoint comme par le plus léger amaigrissement. C'est pourquoi la vraie beauté est peu commune chez la femme et dure peu ; alors que le type de l'homme, fait de reliefs musculaires plus stables et de frondaisons qui masquent les petits défauts du visage, comme la verdure dans les paysages ingrats, se réalise plus fréquemment. Et voilà, pour l'esthétique.
La femme paraît encore plus simple comme facture, moins différenciée. Elle serre des deux mains à peu près également ; elle, peut chausser indifféremment à chaque pied l'une et l'autre bottine tandis qu l'homme est franchement droitier. Habillée en travesti, elle a l'aspect d'un jeune garçon et les anthropologistes peu galants sont allés jusqu'à dire qu'elle était — j'atténue — un homme inachevé.
Ce qui est sûr, c'est qu'elle vieillit plus vite. Son activité et sa jeunesse sont étroitement liées à sa fonction de mère, dont l'arrêt brusque la marque brutalement, alors que l'homme jouit d'un automne qui meurt dans une courbe indéfinie.
On a soutenu qu'elle avait des sens moins parfaits, et que si elle exagérait parfois la dose des parfums, c'est que la faiblesse de son odorat la faisait heureusement échapper à leur incommodité.
Elle serait moins capable d'attention soutenue et aurait une imagination créatrice faible — puisque les femmes de génie ont été rares à toutes les époques et chez tous les peuples. Enfin, le sentiment prédominerait chez elle sur la raison, et toute sa vie se ressentirait de cette force instinctive qui la domine et la mène.
La femme paraît plus résistante aux maladies; car force et santé ne vont pas nécessairement ensemble, et les athlètes étaient jadis réputés pour de mauvais soldats.
Elle vit plus longtemps à cause de sa, nature, peut-être parce qu'elle est peu active et se dépense moins, sans doute parce qu'elle a une hygiène meilleure. Son encéphale ne pèse que 1,200 grammes, alors que celui de l'homme est de 1,350 grammes environ. Mais l'organe cérébral rapporté à la masse du corps en constitue chez elle la quarante-cinquième partie, au lieu que chez l'homme il n'est que la quarante-huitième. Elle aurait donc un cerveau au moins égal, sinon supérieur.
Pour le reste... nous n'en savons rien. Expériences douteuses, affirmations gratuites, hypothèses mal fondées, et surtout préjugés — tel est le bilan de notre savoir en la matière.
L'erreur courante est d'attribuer à la nature de la femme ce qui n'en est que la parure, le vêtement, le masque, donnés par l'éducation, par la formation sociale. Elle est futile, mais seulement lorsqu'on l'habitue à une vie frivole ; tandis que dans l'enseignement supérieur elle se montre souvent plus appliquée que son camarade masculin. Elle est, croit-on, au fond dissimulée, réservée, douce, de tendances sages,. hors de l'alcool et du tabac ; mais nous la demandons, ainsi. Et sa vraie nature n'est peut-être pas plus tout cela que la nature des pauvres gens d'être honteux.
Même physiquement, elle se présente à nous sous des dehors décevants. Coupez-lui les cheveux, et dans un lit d'hôpital, même jolie, on se demande si ce n'est pas un jeune garçon. La femme est certainement des deux l'être le plus truqué, le plus artificiel, le plus énigmatique. Par exemple, il est possible qu'elle ait plus de mémoire que d'invention. Mais on ne peut l'affirmer; car elle est depuis des siècles dans un état de sujétion, de compression, de déformation qui complique singulièrement le problème.
Et en concluant, je ne sais pas comment on pourrait dire avec assurance qu'elle est ou qu'elle n'est pas l'égale de l'homme. Cela dépend de ce qu'on lui demanderait : pour la lutte, la boxe et la bataille, elle semble évidemment en moins bonne posture que l'homme, tandis que pour la conception et l'allaitement des enfants, elle a, semble-t-il, un certain avantage sur son compagnon.
Quant au reste — à tout ce qui fait la vie intellectuelle et sociale — rien, absolument rien ne prouve que la femme soit foncièrement inférieure à l'homme. Elle a donc raison, en Angleterre et ailleurs, de réclamer les privilèges nlasculins, le droit de voter, de siéger dans les Académies, et — si elle y tient — de devenir fonctionnaire.
Ce n'est point — j'imagine — parce qu'elle pèse seulement 54 kilos, et non 65, comme son mari ou son frère, qu'elle doit être en tutelle. Or cette infériorité de la balance donne assez bien la mesure des défauts que nous pouvons en science exactement établir à son encontre.
article du Docteur Toulouse publié en décembre 1910
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* Le 23 janvier 1911, l'Académie des Sciences a nommé M. Branly en remplacement de M. Gernez, décédé. Mme Curie, la veuve de l'illustre savant ayant obtenu 28 voix et M. Branly 30 voix, au second tour.
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