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article publié en 1930

 

LES FEMMES QUI S'HABILLENT EN HOMME

 

Ne parlons pas des amazones ni de notre sainte Jeanne d’Arc, ni des courageuses Vendéennes qui allèrent au combat ; ne nous occupons que de quelques mondaines qui demandèrent à ce costume l’extension de leur liberté.

 

Plusieurs, qui ne pouvaient attendre le succès de leur beauté, eurent recours à cette originalité pour être remarquées : telle la duchesse de Luynes, née Elisabeth de Montmorency-Laval. Elle était dame du palais de la reine Marie-Antoinette, parfaitement belle dans sa jeunesse, mais la terrible petite vérole la laissa ravagée. Elle en prit bravement son parti, il lui restait bien d’autres avantages ; nom, esprit, fortune. Dès lors, elle renonça aux occupations de son sexe, s’habilla en homme, fut presque toujours à cheval par les routes, les forêts, les vallées, chassant la grosse bête, forçant cerfs et sangliers. De temps à autre, elle se brisait un bras ou une jambe, mais, une fois réparée, elle repartait avec entrain.

Quand elle était obligée de reprendre la robe pour une cérémonie, elle riait la première en voyant sa "dégaine" ainsi qu elle se désignait. Ses goûts ne l’avaient pas empêchée de se marier, en 1768, avec Louis-Albert de Luynes, remarquable par son obésité, et qui fut maréchal de camp. Lorsqu’elle devint mère, son frère, le duc de Laval, s’écria :

— Voilà un événement qui me prouve deux choses dont je n’étais pas sûr, c’est que ma sœur est une femme et mon beau-frère un homme.

Avec l’âge, la passion de la duchesse pour la chasse se mua en amour du jeu et, d’une façon plus surprenante, en goût pour le travail. Elle fit monter au château de Dampierre une imprimerie où Mme de Pompadour imprima elle-même Rodogune, la tragédie de Corneille.

Chose curieuse, l’art de l’imprimerie devint à cette époque très aristocratique; lord Horace Walpole posséda une imprimerie en son superbe château de Stawberry-Hill ; le prince de Ligne en installa une, lui aussi, dans sa terre de Belœil. Il ne redoutait nullement de faire gémir les presses et de manier les caractères de plomb.

L’intrépide chasseresse-cavalière-imprimeur possédait encore une autre rare qualité, elle était une parfaite belle-mère pour sa belle-fille : Ermesinde, duchesse de Chevreuse, dite la "reine des frivolités". Elle approuvait toutes ses folies audacieuses, et variées, depuis les mystifications qui s’attaquaient à qui lui plaisait (son beau-père n’était pas épargné) jusqu’à ses insolences envers les Bonaparte, bien qu’elle fût dame du palais de l’impératrice Joséphine. Cela alla si loin que Napoléon l’envoya en exil à Rouen. Sa belle-mère l’y suivit et la soigna avec un dévouement inlassable jusqu’au jour où elle dut la conduire au tombeau.

 

Passons à une étrange personnalité, homme ou femme, qui fut le sujet de bien des commentaires : le chevalier ou la chevalière d’Eon, né à Tonnerre en octobre 1728, mort à soixante-dix-neuf ans. Cet être mixte s’attribuait quatre prénoms, deux féminins, deux masculins : Charles, Geneviève, Louise, Auguste. Tout d’abord, il porta les armes comme officier de dragons ; puis, soudain, il reçut l’ordre de revêtir des habits de femme. Obéissant, il s’y conforma de bonne grâce et les porta le reste de ses jours, se battant dans ce peu commode costume. Le public se plaisait à le voir faire assaut avec le chevalier de Saint-Georges, fils d’une négresse, écuyer de Mme de Maintenon, qui était le plus habile des bretteurs et que le chevalier d’Eon battait souvent. Ce Saint-Georges était si adroit qu’il frappait deux écus jetés en l’air avec deux pistolets différents.

 

La jeune comtesse Lodoïska, veuve d’un général polonais, eut un jour la malencontreuse idée de revêtir la culotte de peau et l’habit pour aller incognito servir de témoin à son adorateur préféré, dans un duel qui se livrait à cause d’elle entre deux prétendants à sa main : le baron de Trautmansdorf et le baron Ropp. Ce dernier, peu belliqueux, obtint de faire battre à sa place un de ses amis. Trautmansdorf succomba. Son témoin, indigné de la lâcheté de Ropp, le provoqua et le força à mettre l’épée à la main en face de lui. Hélas ! cet adversaire n’était autre que Lodoïska qui tomba, dès le premier engagement, frappée à mort.

Désespéré, Ropp tourna son épée contre lui-même et les derniers soupirs des fiancés s’exhalèrent en même temps.

 

Plus anciennement dans l’histoire de la vie mondaine en notre France, on rencontre François Timoléon de Choisy, né en 1644. C’était un joli enfant que sa mère, désolée de n’avoir pas de fille, habillait comme s’il l’était. Un jour vint où le jeune homme eut honte de son travestissement et, pour laisser au temps le moyen de le faire oublier, il partit pour l’étranger et fut ensuite nommé ambassadeur au Siam.

 

Quelques mots pour terminer sur notre contemporaine, Mme Jane Dieulafoy. Elle recevait avec tant de charme dans son home des environs du Trocadéro, au milieu des choses rares qui l’ornaient ! Toujours vêtue en homme, elle en portait le costume avec une aisance parfaite. Souple, agile, gracieuse, presque toujours vêtue d’un costume de velours noir que rehaussait la tache rouge de la Légion d’honneur, elle était fière, audacieuse, sans peur ; elle savait voir, découvrir, apprécier, puis écrire. Elle composa "Rarisati, reine de Perse", qui lui valut un prix de l’Académie.

Une fois que nous lui disions en riant :

— Convenez que vous avez brodé...

Elle sourit :

— Si j’ai un peu brodé, c’est toujours sur la vérité, et je n’ai créé qu’une reconstitution. Non, tout est exact, intrigue et décor.

Elle aimait la vie sans redouter de la quitter; elle citait volontiers une jolie pensée d’un poète persan : "Quand tu es née, tu as pleuré pendant qu’autour de toi on souriait. Quand tu mourras, il faudra sourire lorsque les autres pleureront."

Elle essayait quelquefois de revenir au costume de son sexe, mais elle avouait être si mal à l’aise, qu elle se sentait gauche, maladroite, glacée. La pensée de se décolleter lui était odieuse : "Je suis au-dessus des critiques, que m’importe le qu’en dira-t-on, je vais où je veux aller, j’ai confiance en moi, croyez bien que c’est le meilleur élément de réussite." C’était un beau caractère, d’une grande charité.

 

Aujourd’hui l’habillement féminin est à ce point simplifié que plus n’est besoin d’imiter nos compagnons masculins, rien n’entrave la liberté de nos mouvements. Notre esprit a changé avec notre goût et nos habitudes. Mais la femme n’est-elle pas restée toujours aussi charmante ?

 

 

Charles d'Éon de Beaumont, dit le chevalier d'Éon

 

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