article publié en 1947

Le cirque qui, sous sa forme stable apparaît surtout comme un lieu destiné aux enfants, devient, lorsqu'il se drape dans les grandes bâches mouvantes d'un chapiteau, un endroit dont la séduction opère sur tous. C'est en province, à la campagne surtout, que le cirque ambulant a vraiment toute sa raison d'être... Là, il n'est pas simplement une curiosité à l'ambiance attirante : il est le spectacle ! Un spectacle sur lequel on ne semble pas pourtant assez se pencher, un spectacle que l'on accueille avec joie comme une splendide visite, comme un bel éblouissement, mais dont l'organisation pourtant captivante demeure secrète, presque mystérieuse.

Vous représentez-vous le magnifique effort quotidien que fournissent ces "gens du voyage" qui, avec un matériel fantastique, viennent "un jour seulement", enjoliver votre vie ?

Quelle passionnante aventure pourtant et quelle source d'exemples ! Il est vrai que le monde qui gravite autour des pistes a pour lui un gros atout : la fraternité entre ses membres. Dire que c'est une grande famille n'est pas un poncif et, si vous avez l'esprit observateur, amusez-vous à bien regarder l'ouvreuse qui vous place, le contrôleur, les hommes de la barrière ou, mieux encore, ceux qui s'occupent de l'installation puis du démontage, vous serez surpris de retrouver en eux les artisans de votre vie. Quelle que soit leur notoriété, les directeurs n'hésitent pas à donner un coup de main, on les remarque aidant à hisser les cordages, conduisant les tracteurs, s'occupant des bêtes... Quant aux femmes, outre leurs préoccupations d'ordre ménager qui, songeons-y, ne sont pas tellement simples à l’époque actuelle pour de perpétuelles voyageuses, elles font non seulement avant leur numéro d'écuyère, de trapéziste ou de danseuse, office de placeuses, mais encore ce sont elles qui installent les "premières" c'est-à dire les chaises dès que la tente et les gradins sont montés.

Lorsque les murs de votre ville seront tapissées d'affiches extravagantes et colorées annonçant la venue d'un Amar, Bouglione, Pinder, venez dès huit heures sur l'emplacement choisi, vous ne le regretterez pas. Tout d'abord vous verrez surgir dans le matin la longue file des caravanes qui, ce nos jours, ont remplacé l'archaïque roulotte de nos souvenirs d'en fance... Un cirque actuel de 3.000 places a parfois 150 voitures qui transportent non seulement les mâts, les tentes, les cordages, les gradins, les divers accessoires de piste et le matériel des artistes mais encore sont les habitations roulantes de près de 100 personnes et souvent d’un nombre égal d'animaux divers, du cheval à l’éléphant en passant par le lion, le tigre, l'ours, sans oublier le phoque et l'hippopotame : ces deux dernières espèces spécialement soignées bénéficient de voitures contenant des bassins remplis d'eau maintenue à une température voulue. Lorsqu'une girafe suit un chapiteau, bien quelle supporte mal les voyages, on lui réserve un enclos roulant doté d'une toiture extensible. Quant à certains singes et jeunes animaux qui craignent les matins froids, leurs cages sont chauffées. On voit qu'au sein de cet univers nomade où semble présider la fantaisie, rien n'est laissé au hasard.

Dès l'arrivée, le montage commence. La première manoeuvre d’une importance extrême est le tracé de la piste. Muni d'une chaîne d'arpenteur, le chef monteur y veille tout particulièrement car de cette opération dépend, non seulement la disposition générale de l'éphémère édifice mais encore la bonne marche du programme. En effet toutes les pistes du monde ont un diamètre immuable de 13 m. 50 sur lequel sont réglés la plupart des numéros et principalement on le conçoit, les exercices équestres. Pendant ce temps, les monteurs parmi lesquels nous trouvons actuellement des prisonniers allemands, en remplacement des anciennes équipes de "tchécos", déchargent les remorques et commencent à dresser les tentes annexes de la ménagerie et des exhibitions de phénomènes qui doivent être le plus tôt possible ouvertes au public...

Partout l'animation s'amplifie. Des roulottes émerge tout un peuple basané qui se préoccupe de la première corvée quotidienne : la recherche de l'eau.

Ça et là une vie intense naît : des Chinois inlassables font tourner leur éternelle assiette au bout d'un bambou, un jongleur tente un exercice qui paraît impossible, une jeune femme cerne son camping de "flip-flap" étonnants...

Au cirque l'on répète. Le continuel polissage de leur art est le propre des artistes de la piste, chez eux le métier prime, il fait corps avec leur vie et toute réussite est vraiment le fruit d'un amour. Certains numéros demandent plusieurs années de mise au point. Il faut près d'un an pour dresser un cheval, presque autant pour un fauve et, si l’on songe à la difficulté des engagements, aux énormes frais de transport de matériel et à l'accident qui plane toujours au-dessus des prouesses, l'admiration dépasse celle qui naît durant le spectacle.

Le montage du chapiteau proprement dit peut se diviser en 4 parties. Premièrement, la mise en place des grands mâts — deux ou quatre selon l'importance —, notons qu'ils ne sontpas plantés mais posés et tenus en l'air à l'aide de câbles. Ensuite, le laçage de la tente faite de morceaux numérotés et ensachés pendant le voyage ; puis son élévation à mi- hauteur au rythme bien scandé des pittoresques "ail roop, ail roop". Enfin, la pose des mâts de côté, le soulèvement complet de la toile et l'installation des gradins qui donnent à l'ensemble sa physionomie classique. Mais ce sont là des choses qu'il faut voir...

Tous les jours, quel que soit le temps, pluie ou ce qui est pire, vent, le montage doit être terminé comme si une matinée avait lieu. Lorsqu'il n’y en a pas, les monteurs qui sont également hommes de piste, se reposent... Repos bien mérité car, le soir, immédiatement après l'entr'acte, le démontage commence: les tentes annexes d'abord puis, dès la sortie du dernier spectateur, celle des représentations. Parfois, moins de 2 heures après la marche finale, le chapiteau, n’est plus qu'un souvenir, cercle jaune sur la place...