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Un nuage s'est posé sur la place de Bevaix (Suisse) : un petit nuage bordé de toile rouge et verte. Deux mâts dépassent de son sommet. A y regarder moins rêveusement, on découvre que c'est une tente de cirque. La petite tente d'un petit cirque que trois familles d'artistes ambulants ont dressée elles-mêmes. Pas de flonflons ni de grande parade, aucun rugissement de fauves, pas de roulottes, juste quatre ou cinq caravanes entourant le chapiteau où tous,  hommes, femmes et enfants vont se relayer, tour à tour jongleurs, clowns, trapézistes pour amuser le public.

 

Trois poneys martèlent de leurs petits sabots la piste d'herbe entourée de planches colorées. Trois poneys galopant qui s'arrêtent et tournent et repartent soulevant des brins d'herbe sous leurs sabots. Dans un coin de la tente, un gosse s'est juché sur le tas de planches qui servira plus tard de piste. Il est aux loges ; il est aux anges. Ses yeux malins suivent les évolutions de deux marins cascadeurs chassés par un clown lui-même remplacé par un jongleur. Une jeune et jolie fille annonce les numéros. Un singe tourne sur une trottinette. On fait descendre le gosse du tas de planches. Deux hommes montent la piste en dur. Des brins d'herbe dépassent entre les panneaux.

 

 

 

 

Le professeur Indra distribue dans le public ses anneaux mystérieux. Les gosses sont très excités. Le gramophone devient orchestre, la tente prend des dimensions impressionnantes, les artistes se multiplient, une multitude de projecteurs font miroiter des milliers de paillettes sur des costumes d'or...
- Ah ! Monsieur, c'est dur pour nous autres. Nous ne pouvons pas lutter contre les grandes entreprises qui se payent des dizaines de musiciens, des multitudes de projecteurs, des habits de paillettes...


Le petit cirque s'est vidé. Le clown a gardé son grimage, mais il a changé de masque. Il raconte, il parle de son métier, de la famille, des voyages... - Et l'homme-canon ? - C'était le temps du spectacle en plein air, l'époque de la grande corde et de la voltige sur de hauts mâts flexibles. Mais les gens regardaient et passaient. Le canon, le célèbre canon des Buhlmann s'est tu. Après de multiples aventures outre-mer il s'est fait lester de ses pièces essentielles. En faire construire un nouveau coûterait très cher.
Ses yeux se plissent soudain. Il regarde bien au-delà des chaises, de la porte, loin, plus loin que les caravanes :
- Le canon, y'en a plus...
Alors doucement, il tapote l'épaule de son jeune fils :
- ... mais la munition est toujours là !


Après le spectacle du soir les artistes redeviennent gens de voyage. Ils démontent leur tente, rangent le matérie, dorment quelques heures. Demain tout recommence, quelques villages plus loin. Inlassablement. Ils n'ont pas les chromes étincelants ni les paillettes ni les grands fauves des grands cirques, mais ils transportent toujours avec eux, bien enfoui dans leurs bagages, l'émerveillement  de notre enfance, le sourire d'un enfant blond, échevelé, qui nous regardait passer alors que nous allions en classe, nous, mais sans balle...

 

 

article publié en juin 1965 (quotidien suisse)

 

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homme-canon (XIX° siècle)

 

 

 

 

 

 

 

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