ACCUEIL | LE BROL | LE CIRQUE MEDRANO (1963)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une page est tournée dans l'histoire du spectacle parisien : le fameux cirque Medrano vient de fermer ses portes

 

Derniers admirateurs de la « Piste enchantée », les enfants n'ont pas compris que si les  clowns ont parfois pleuré ces derniers temps, ce n'était pas de rire. Même l'Auguste écarlate, ce nigaud, ce sot, ce « paillasse » en jargon de cirque, a laissé couler quelques larmes entre deux pantomimes. La sciure de la piste les a vite bues: il ne restait plus que deux longues traînées grises sur son visage enfariné. Le cirque du boulevard Rochechouart, le plus célèbre de Paris, change de mains. Les grandes lettres joyeuses, M.E.D.R.A.N.O., qui illuminaient la grande artère parisienne vont disparaître. Le dernier programme de Medrano, sorti pour les fêtes « Spécial Circus Edition de Noël »  affiche maintenant en sous-titre : « Ce n'est qu'un au revoir »  ... Bien sûr ils reviendront les chiens savants, les éléphants, les panthères et les clowns, mais ils planteront leurs tentes aux portes de Paris. Désormais il faudra faire et défaire les chapiteaux, monter et démonter les cages aux fauves...

 

Un triste chapitre de l'histoire du cirque
« Boum-Boum », le pitre joyeux qui faisait en 1874 les beaux soirs du cirque Fernando avant de lui donner son nom, n'avait sûrement pas prévu que moins d'un siècle plus tard, une autre dynastie du cirque, les Bouglione obligerait «son » chapiteau à émigrer. Car il s'agit là d'un triste chapitre de l'histoire du cirque qui ne fera sans doute qu'accélérer le déclin de cette corporation qui fut naguère l'enfant chérie du public. Les Bouglione, grands patrons du Cirque d'Hiver, étaient également propriétaires du terrain et des murs de Medrano dont ils étaient les concurrents, les seuls redoutables. Depuis toujours, les deux célèbres familles du cirque sont en guerre. Entre elles, les différends ne pouvaient se régler qu'à coup de procès (cinq depuis 19i9). Jusque-là, les adversaires étaient à égalité. Mais aujourd'hui, c'est Bouglione qui marque un point de plus et les Medrano sont bien obligés de leur céder la place. On dit que Joseph Bouglione aurait reçu des offres fabuleuses de la part d'hommes d'affaires qui verraient très bien boulevard Rochechouart le plus grand parc de Paris ou encore un immeuble commercial ultra-moderne.


Les origines du grand cirque

C'est en 1873* que Fernando-Fernand Baert, d'origine espagnole, planta avec ses deux fils, Louis et Adolphe, son chapiteau boulevard Rochechouart sur l'emplacement d'un terrain vague. Sa troupe n'était pas inconnue des amateurs pour avoir « fait les portes » un peu partout en province et dans la capitale. De la part du public, ce fut un engouement extraordinaire, tant et si bien que l'année suivante, Fernando commença à bâtir son cirque en «dur». Dans cette troupe uniformément brillante il y avait l'étoile « Boum-Boum », béguin des titis parisiens, un trapéziste espagnol moins connu sous le nom de Jérôme Mdrano. Celui-ci, en 1898, aidé par l'ex-champion de saut au tremplin Emilio Onra, reprit à son compte la troupe Fernando qui devint alors le cirque Medrano. C'était pour l'époque le cirque le plus brillant le plus exubérant et dont la formule des spectacles était, en ce début de siècle, absolument inédite. Parodie de la gaieté, le clown triste et muet laissait place à une merveilleuse pantomime naïve dans laquelle deux pitres à la face barbouillée de farine se donnaient une réplique étourdissante de gaieté et de drôlerie. Rien d'étonnant alors, à ce que Medrano se soit taillé une place de roi aux côtés des autres cirques parisiens : les Cirques d'hiver et  d'été et l'hippodrome de l'Alma,

 

 

publicité de 1932

 

 

publicités de 1939

 

 

 

 

Le cirque le plus couru de Paris
C'est sur sa piste qu'est née cette race extraordinaire des grands clowns mystérieux et solitaires tels que le furent Porto, Rhum, Grock, Little Titch et Bagessen. Medrano fut longtemps le cirque le plus couru de Paris. Les gens étaient irrésistiblement attirés par cette commedia dell'arte dont les acteurs, fantaisistes magistraux, étaient, grâce à l'élégance de leur style et à leur dépouillement, au-delà de la parodie, l'image grimaçante d'un monde absurde qui avait perdu son âme. L'extase était unanime. Politiciens, romanciers, dramaturges et comédiens venaient sans pudeur aucune prendre à Medrano un bain de jouvence. Pour la première fois Montmartre, Montparnasse, les habitués du Fouquet's ou de chez Maxim's n'avaient pas de gêne à se montrer côte à côte : Mac Orlan, Picasso, Marcel Achard, Eluard, Foujita, Alexis Léger, Maurice Garçon, Aragon, André Breton, Vitrac... Public bigarré, hétéroclite, qui devenait un même cœur quand il s'agissait d'applaudir aux facéties quasi miraculeuses des Fratellini. Les Fratellini — ceux-là, on ne les oubliera jamais. Trois frères, Paul, François, Albert tour à tour dignes, joyeux idiots, burlesques, soudards, naïfs, ont servi à eux seuls la meilleure tradition clownesque. C'est à eux que Medrano doit sa «Belle époque »…  Il y en eut d'autres, bien sûr, différents mais également géniaux. Bugny, Busby, Price — empêtrés dans leurs froques, bégayants, ivres déclamant à toute vitesse, des vers sans rimes ni raison jusqu'à ce que les gradins n'en puissent plus de crouler de rire. On se souviendra aussi de Porto dont l'humour provocant faisait mouche à chaque fois : alors de son air le plus imbécile, il fixait le public qui explosait de joie. Dario, Carolli, Rivels, à qui succéda l'équipe nouvelle vague de Rhum et Zavatta dont les numéros alternaient avec ceux des acrobates de plus en plus fréquents. Et puis tant et tant d'autres qui se relayèrent sous les chapiteaux de Medrano, sauvegardant ainsi le prestige des clowns, face à la poussée du music-hall.

 

 

 

publicité de décembre 1950

 

 

article publicitaire publié en décembre 1950

 

 

le singe Andrès dans une publicité Philips (Téléviseur modèle 402) - article publicitaire publié en décembre 1950

 

 

 

 

La Belle époque est révolue
Mais depuis la libération, le cirque eut à compter avec la réelle désaffection de son public parisien. Au Contraire de la province qui, moins gâtée, continua à lui réserver un accueil enthousiaste. Finalement, seuls les enfants restèrent, en matinée, le meilleur public. Même les amateurs qui connurent naguère l'âge d'or du cirque ne vinrent plus sous les chapiteaux renouer avec leurs émotions de jeunesse. C'était bien le signe, n’est-ce pas, que le cirque a appartenu à une époque aujourd'hui révolue, où les gens simplement, savaient apprécier l'impérieuse bouffonnerie et l'astuce des comédies clownesques.

 

article d'Anne-Marie Prouteau publié dans un quotidien suisse (janvier 1963)

 

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Note personnelle :

 

* le Cirque Fernando (sous chapiteau) avait été remarqué à Vierzon en 1872. Ce petit cirque arriva à Paris sur un terrain vague le 9 août 1873. Les planches succédèrent aux baches, puis ce fut l'édification en pierres en 1875.

 

 

publié en janvier 1952

 

 

publié en 1953

 

Les intrépides et charmantes Chaludis démontrent avec une admirable aisance, sur la piste du cirque Médrano, que les fortes têtes ne sont pas toujours les moins bien équilibrées...

 

publié en 1953

 

 

 

 

 

 

 

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