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Le cirque sous les étoiles - Texte et dessin de Serge (publié en 1936)

 

Les flonflons de l'orchestre viennent brusquement de s'arrêter. Le serpentin du public se disperse sur le boulevard de Vaugirard. Bientôt, il ne restera plus autour de la piste que des pochettes-surprises éventrées, des programmes froissés et un régiment de chaises, qui attendra jusqu'au lendemain pour offrir ses housses cramoisies à de nouveaux spectateurs.

Encore rutilant dans son dolman vert frangé d'or, un garçon va boucler les portes.

Le cirque, toute une nuit, va pouvoir sommeiller sous les étoiles. Mais, à la façon d'un enfant énervé, c'est par à-coups qu'il partira vers le pays des songes.

La piste, qui a perdu l'éclairage lunaire de ses projecteurs, recueille déjà une blonde trapéziste. Mais une trapéziste pas ordinaire. Celle qui fait rêver avec ses rubans, son maillot rose et son envolée magnifique, est redevenue, démaquillée, une brave ménagère de quartier qui, consciencieusement, remonte son appareil en y démêlant les fils d'acier. Lorsque les fils d'araignée de son trapèze auront l'air d'être tissés dans le ciel du chapiteau, elle pourra enfin dormir tranquille et penser au garçon qui l'attend quelque part dans le monde pour l'épouser.

Auprès de la "barrière", une équipe en bleus de mécano cloue et scie avec le rythme d'une locomotive. Ils sont en train de fabriquer un nouvel orchestre.

Des mulets dressés arrivent sur le tapis-brosse et répètent leur numéro. Un jongleur fait tournoyer ses massues, puis, fatigué sans doute, les enferme dans une valise et va rejoindre au café du coin le chef des sauteurs marocains qui ne boit que des cafés-crème.

Dans sa loge, le clown redevient comme Monsieur Tout le Monde et le dresseur de fauves reprend l'aspect du bon bourgeois qu'il a toujours été, sauf qu'il porte en breloque une griffe splendide, griffe de tigre, et qu'il possède au plus haut de sa cravate un diamant qui ferait pâmer les princes les plus riches du Bengale.

Tout semble revivre. Pourtant, petit à petit, le cirque s'en va vers le sommeil. Autour des toiles de tentes, leur gardien commence à balancer le feu de sa lampe-tempête pour la première ronde de nuit. Il passera à côté de beaucoup de poésie. Mais peu lui importe. Pourtant cette brouette de sciure qui traîne à côté de cette voiture de Lilliput, cette échelle de corde blanche comme un fantôme, ces escabeaux sur lesquels les éléphants font les beaux, ces étoiles qui éclatent sur les roulottes, ces tunnels de grilles par où les tigres et les lions pénètrent dans la cage centrale et tous ces accessoires qui gisent aux côtés de seaux, de montagnes de paille et de fourrage, sur le sol souillé de mâchefer, c'est tout le cirque, ce pays miraculeux de la couleur, de l'arabesque et du bruit.

Une à une, les lumières disparaissent et le cirque prend l'apparence, avec ses cordages, d'un fabuleux navire. Une mélopée perce doucement la nuit. Autour d'un quinquet, les musiciens chleus, le visage emmitouflé d'un capuchon bleu et le torse ceint de colliers de coquillages, font leur prière, tandis que le marabout invoque Allah et qu'un jeune Arabe regarde le ciel.

A la ménagerie, les fauves jouent encore du tam-tam. Les plus bruyants sont les éléphants de l'Inde. Ils vous flanquent de ces coups de trompette à réveiller quinze escadrons. Par contre. derrière leurs grilles, les ours du pôle prennent des poses qui feraient sensation à la devanture d'un fourreur. Un nègre du Congo a fermé les volets des voitures-cages, afin que les gentlemen de la jungle, les tigres, puissent partir sans inconvénient vers le rêve où ils pourront retrouver leur forêt natale. Un lion hurle, puis se calme. Les singes se sont blottis les uns contre les autres. Ils auront plus chaud. Une petite panthère, jolie comme un bibelot précieux, gratte encore avec sa patte le plancher de sa cage, puis tout d'un coup cligne de l'oeil et s'affale comme un gosse. Les chevaux sont plus longs à s'endormir. Ils se donnent des coups de pattes, piaffent, cherchent dans leur sac l'avoine qu'ils ont déjà avalée, hennissent, flairent les harnais, bousculent leurs seaux, et puis, satisfaits, poneys, arabes, hongrois et ardennois, s'installent dans la paille les quatre fers en l'air.

Auprès d'un piano mécanique, venu là on ne sait comment, un garçon de cage prépare son lit. Comme les bêtes, il aura de la paille et des couvertures.

Une heure du matin.

Les éléphants, enchaînés, continuent à s'agiter. Ces mastodontes finissent d'avaler leur foin. Ils le roulent avec leur trompe comme des spaghetti et le portent à leur bouche avec des gestes de manipulateurs. Dans son box, l'éléphante donne à téter à son petit, né "sur le voyage". Gavé, repu, ce petit bout d'éléphant, qui possède une trompe disproportionnée et trois sous de poils, tombe bientôt sur le sol, tandis que sa mère le recouvre de paille pour qu'il n'attrape pas froid. Le père éléphant, lui, fabrique un oreiller pour passer la nuit. Il amasse de la paille, ia piétine, laisse aller dessus son corps de quatre tonnes, puis se met à ronfler bruyamment. En face, son ennemi héréditaire, le tigre, dort comme un chat.

Les lamas, les zèbres et le dromadaire, endormis, ressemblent à des bêtes mortes.

Les hommes et les fauves piquent vers le sommeil. Un chien aboie, puis se tait.

Dans le cirque, qui prend dans la nuit glauque l'apparence d'un bas-fond marin, brille une minuscule étoile : la lampe-tempête du gardien qui continue sa ronde.

Le cirque est endormi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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