Tous ceux qui furent honorés des faveurs d'une duchesse, voire d'une simple baronne, sont unanimes à déclarer que le cheval n'est point la plus noble conquête que l'homme ait jamais faite.

L'assertion de l'auteur de l'Histoire naturelle semble aujourd'hui parfaitement bouffonne.

Jadis, je le concède, bien qu'arrivé à Paris en sabots, le cheval, dans la grand'-ville, tenait le haut du pavé, roulait fréquemment carrosse et traînait, derrière lui moult gentilshommes et puissantes dames. En temps de paix comme à la guerre, des charges importantes lui étaient réservées, il tenait un rôle dans le monde.

Quantum mutàtiis ab illo !... Détrôhé peu à peu par la petite reine d'acier, la fringante; limousine et l'avion aux larges ailes, e pauvre vélosolipède ne s'attèle plus, à Paris, qu'à des besognes infimes. Les compagnies de transport en commun, elles-mêmes, qui emploient encore quelques femmes, n'utilisent plus un-seul cheval.

Le cheval se meurt, il est mort ! Seuls le pleurent sincèrement les malheureux petits pierrots pour qui ce grand diable, en somme, est, par certains côtés, un type dans le genre du bon Dieu : aux petits des oiseaux il donne la pâture.

Très simple de mise — il porte toui jours la même robe, — le cheval est également simple d'esprit. Le moindre lad américain lui montera le cou et le dernier des valets d'écurie l'étrillera comme un vulgaire touriste. S'il charrie, — ça lui arrive, — ses traits manquent de finesse... et quand, d'aventure, ses saillies désarçonnent un cavier, la plaisanterie, du moins pour la vtiçtime, est toujours dépourvue de selle.

Malgré sa fougue, ses piaffements et ses effets de crinière, le cheval, à ma connaissance, n'a jamais su conquérir le cœur d'une grande dame...

Par contre, maigre compensation, il marche avec la chambrière.

Jean Bonot.

paru dans un quotidien en 1923