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LES CENTAURES

 

Comme tous les pauvres bougres qui ne sont ni chair ni poisson (la poule d'eau, la baleine, la chauve-souris, l'Auvergnat), les centaures avaient, dans la vie, une situation assez fausse.

Ces solipèdes androcéphales ne savaient jamais, en effet, s'ils devaient agir en hommes ou se comporter en bêtes de somme.

Entraient-ils dans une écurie ? Les étalons regardaient de travers ces fringants rivaux barbus qui, aussi entraînés qu'eux-mêmes sur l'obstacle, leur étaient fort supérieurs quand il s'agissait de plat.

Pénétraient-ils dans un salon ? En les voyant venir avec leurs gros sabots, arriver dans un fauteuil, parfois même les doigts dans le nez, tout un chacun criait: "Haro sur le bidet !"

C'était extrêmement vexant. Les petits pierrots thessaliens eux-mêmes hésitaient à butiner les vestiges que laissaient, en trottinant, ces étranges moteurs à crottin.

Quand les centaures voyageaient, les seules hôtelleries qui leur fussent ouvertes étaient celles dont l'enseigne portait ces mots rassurants : "On loge à pied et à cheval." Ils s'y faisaient, d'ailleurs, proprement étriller.

Le moindre malaise plongeait ces créatures hybrides dans un extrême embarras. A qui devaient s'adresser les centaures pour voir la fin de leurs souffrances? S'ils avaient la gueule de bois, affection propre aux humains, ils faisaient venir le docteur ; ils devaient mander le vétérinaire quand ils étaient atteints d'une fièvre de cheval.

Les centaures, me suis-je laissé dire, étaient parfois assez bien vus des dames, qui admiraient sans doute leurs allures cavalières. Au surplus, ils étaient de taille à épouser plusieurs femmes et à supporter aisément leurs belles-mères sur leur dos.

Quant à ce que pouvait être la nourriture du centaure, je ne suis pas très fixé à ce sujet. Peut-être. comme vous et moi. appréciait-il un bon entrecôte avec une vieille amphore ?... Mais sans doute, également, la bête reprenant le dessus, ne renâclait-il nullement quand, ayant de ses blanches mains lié une gerbe odorante de foin, une gente enfant souriante venait lui proposer la botte ?

 

Jean Bonot.

 

publié en 1922

 

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